15 % des soignants touchés par le Covid long selon une étude de l'INSPQ
Alors que la pandémie de COVID-19 semble reculer, les effets persistants du covid long continuent d’affecter un nombre croissant de soignants. Une étude québécoise révèle l’ampleur de ce phénomène et les défis posés au système de santé. Fatigue, essoufflement, troubles cognitifs : ces symptômes persistants affaiblissent un personnel déjà surchargé.
Face aux impacts persistants de la COVID-19 sur les soignants, l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) a mené une enquête approfondie entre mai et juillet 2023 pour mieux comprendre l’ampleur et les caractéristiques des symptômes prolongés de la maladie, également connus sous le terme de covid long. Ce premier rapport met en lumière la fréquence des symptômes persistants, leurs facteurs de risque et les difficultés d'accès aux soins pour ces professionnels.
La persistance du covid long chez les soignants québécois
L’étude réalisée par l’INSPQ auprès de près de 400 000 soignants révèle des statistiques inquiétantes quant à la persistance des symptômes post-COVID-19. Selon les résultats, plus des trois quarts du personnel de santé ont contracté la COVID-19 depuis le début de la pandémie. Parmi eux, environ 15 % ont rapporté des symptômes persistants au-delà de douze semaines suivant l’infection initiale. En juin 2023, on estime que 6 % de l’ensemble des soignants souffraient encore de covid long, une situation qui perturbe fortement le fonctionnement du réseau de la santé en raison de l’absentéisme et des impacts sur les capacités professionnelles de ces professionnels.
La probabilité de développer des symptômes de covid long augmente avec le nombre d’infections successives : un seul épisode de COVID-19 présente un risque de covid long d'environ 13 %, qui monte à 23 % avec deux infections et atteint 37 % pour trois épisodes de contamination.
Caractéristiques des symptômes du covid long et des groupes les plus touchés
Parmi les symptômes les plus couramment rapportés, la fatigue prédomine chez 72 % des cas de covid long, suivie par l’essoufflement (53 %), les difficultés de concentration (50 %), les problèmes de mémoire (48 %) et le brouillard mental (44 %). Une répartition selon la sévérité des symptômes montre qu’un quart des personnes atteintes ne présentent que des symptômes légers, 42 % rapportent des symptômes modérés, et un tiers des cas de covid long incluent au moins un symptôme sévère.
L’enquête de l’INSPQ a permis d’identifier certains sous-groupes de soignants plus à risque. Les femmes, les personnes âgées de 40 à 59 ans, celles atteintes de maladies chroniques (notamment respiratoires ou dépressives) ou d'obésité, les personnes économiquement défavorisées et les membres de minorités ethniques sont particulièrement vulnérables au covid long. En outre, le risque de covid long est accru pour les soignants qui ont été infectés lors des premières vagues de la pandémie, lorsque le variant ancestral du SRAS-CoV-2 circulait.
Accès limité aux soins pour les soignants souffrant de covid long
Malgré la nécessité de soins pour ces travailleurs, l’accès aux services reste limité. L’étude rapporte que 67 % des soignants souffrant de covid long ont souhaité recevoir des soins médicaux, mais seulement 48 % ont pu y accéder. Les services de réadaptation et de suivi psychologique, bien qu’essentiels pour la réhabilitation, ne sont obtenus que par environ 12 % des demandeurs.
Le rapport souligne des besoins spécifiques pour la gestion des symptômes cognitifs (seulement 2 % des soignants ont obtenu des soins pour troubles de mémoire et concentration malgré une forte demande), illustrant un manque de prise en charge de ces symptômes encore sous-estimés. La disparité entre le besoin et l’accès réel aux soins de réadaptation ou de suivi psychologique met en lumière une pression accrue sur le système de santé.
Méthodologie : une approche rigoureuse et représentative
L’étude de l’INSPQ se base sur une méthodologie en trois phases (2023-2025), visant à évaluer l’évolution des symptômes du covid long et ses effets sur la capacité professionnelle des soignants :
- Phase 1 : collecte initiale de données en 2023.
- Phase 2 et 3 : suivi à un et deux ans (2024 et 2025).
Pour garantir la représentativité, un échantillon aléatoire a également été sélectionné parmi les non-répondants, permettant de comparer les caractéristiques des répondants et de l’ensemble des soignants québécois. Les informations sociodémographiques, cliniques et relatives aux comorbidités ont été recueillies via des bases de données administratives et un questionnaire détaillé, assurant une couverture complète des aspects influençant le covid long.
Analyse détaillée des résultats et des biais méthodologiques
Un complément d’analyse met en évidence des résultats nuancés entre les réponses issues du questionnaire électronique (taux de réponse de 6 %) et du questionnaire téléphonique (taux de réponse de 69 %). Cette différence significative a un impact notable sur les résultats : la prévalence de covid long au moment de l’enquête téléphonique est environ moitié moindre que celle observée dans le questionnaire électronique. Cela pourrait s’expliquer par le fait que les soignants lourdement affectés par le covid long sont plus enclins à répondre aux enquêtes électroniques, tandis que les résultats téléphoniques, plus représentatifs, pourraient refléter davantage la situation générale.
Symptômes et sévérité
Le document apporte également des données détaillées sur les symptômes : 74 % des soignants souffrant de covid long rapportent trois symptômes ou plus. Les symptômes les plus fréquents restent la fatigue, l’essoufflement et les troubles cognitifs, dont la fréquence est deux à sept fois plus élevée que chez les groupes témoins.
Impact des réinfections et des variantes du virus
Les données montrent que les soignants ayant contracté la COVID-19 plusieurs fois voient leur risque de covid long s’amplifier : 11 % après une première infection, 20 % avec deux infections et 32 % pour trois infections. Ce risque augmente également en fonction de la sévérité de l’infection initiale, les hospitalisés présentant un risque particulièrement élevé. Cependant, les infections par le variant Omicron, bien que moins virulentes, sont responsables de la majorité des cas en raison de leur propagation rapide.
Enjeux pour le système de santé québécois et perspectives
Les résultats de cette enquête montrent l’ampleur de l’impact du covid long sur les soignants et les défis que cela pose pour le système de santé québécois, notamment en termes d’absentéisme et de baisse de productivité. L'INSPQ met en avant une réalité préoccupante où les besoins en soins ne sont pas pleinement satisfaits, en particulier pour les soins cognitifs, et la forte demande non satisfaite de services de réadaptation est particulièrement préoccupante.
Ce rapport marque la première phase de l’enquête de l’INSPQ, qui se poursuivra jusqu’en 2025 avec un suivi des soignants touchés afin d’évaluer les évolutions du covid long. Cette étude pourrait orienter la prise en charge des symptômes post-COVID-19 et adapter les ressources en fonction des besoins des professionnels de la santé. La poursuite de l’étude et la publication de ses futures phases apporteront des éléments essentiels pour mieux structurer l’offre de soins et garantir une prise en charge adéquate de cette affection encore mal comprise mais qui impacte fortement le personnel et la qualité des soins au Québec.
Quels enseignements pour la France ?
L’étude menée au Québec sur le covid long chez les soignants apporte des enseignements précieux pour la France, où le système de santé fait face à des défis similaires en termes de pénurie de personnel et de charge de travail accrue depuis la pandémie. Les résultats québécois soulignent l'importance de mieux comprendre, prévenir et traiter le covid long chez les soignants, en vue de protéger cette population essentielle pour le bon fonctionnement du système de soins. Voici les principaux enseignements que la France pourrait tirer de cette étude :
1. Revoir l'approche de la prévention et de la prise en charge du covid long
L’étude québécoise montre que plus de 15 % des soignants infectés développent des symptômes persistants de covid long, avec un risque accru pour ceux ayant contracté plusieurs infections ou souffert d’une infection initiale sévère. En Angleterre, 33,6 % des professionnels de santé interrogés présentent des symptômes correspondant au covid-long. En France, cela met en évidence la nécessité de renforcer les mesures de prévention dans les établissements de soins.
Cela pourrait inclure :
- Un suivi accru des soignants ayant contracté la COVID-19, pour détecter rapidement les cas de covid long.
- Des protocoles pour limiter les réinfections, notamment par la promotion de la vaccination, et le respect des mesures de prévention (équipements de protection, ventilation des locaux, etc.).
- Des campagnes de sensibilisation pour les soignants sur les symptômes du covid long, afin de faciliter l’auto-surveillance et l’accès précoce aux soins.
2. Adapter l’offre de soins aux besoins des soignants atteints de covid long
L’un des enseignements essentiels de l’étude est le manque d’accès aux soins adaptés pour les symptômes persistants. Les autorités française seraient donc bien inspirées de développer une offre de soins plus accessible et mieux adaptée aux spécificités des symptômes du covid long, en particulier pour les troubles cognitifs et la fatigue extrême :
- Créer des filières de soins dédiées pour les soignants touchés par le covid long, en facilitant l’accès aux consultations en santé mentale, en réadaptation, et pour les troubles de concentration et de mémoire.
- Mettre en place des équipes pluridisciplinaires (médecins généralistes, psychologues, ergothérapeutes, spécialistes de la réadaptation) pour accompagner les soignants dans leur rétablissement.
- Développer des solutions de télémédecine pour améliorer l’accès aux soins, notamment pour les soignants en zone rurale.
3. Reconnaître le covid long comme une affection prioritaire chez les soignants
Les données québécoises montrent que le covid long provoque une augmentation de l’absentéisme et une réduction de la capacité de travail des soignants, avec des répercussions sur tout le système de santé. En France, où les tensions sur le personnel de santé sont déjà fortes, reconnaître le covid long comme une pathologie prioritaire pour les soignants permettrait de :
- Mettre en place un soutien psychologique et financier spécifique pour les soignants affectés, afin de réduire l’impact du covid long sur leur vie professionnelle.
- Assurer une meilleure prise en charge des absences pour cause de covid long, avec des congés spécifiques ou des aménagements de poste pour les soignants en rémission.
- Investir dans des programmes de réinsertion professionnelle et de réadaptation pour ceux qui souhaitent reprendre le travail progressivement.
4. Soutenir la recherche et l’évaluation des impacts du covid long
L’étude québécoise met en lumière l’importance de suivre sur le long terme les impacts du covid long et de recueillir des données sur les soignants touchés. En France, un effort similaire permettrait de mieux comprendre la prévalence du covid long et d’ajuster les politiques en conséquence :
- Créer un registre national des soignants atteints de covid long pour suivre l’évolution des symptômes et les besoins de soins.
- Financer des études de cohorte pour évaluer les effets à long terme du covid long sur la santé physique et mentale des soignants.
- Encourager les échanges entre les chercheurs français et internationaux pour adopter les meilleures pratiques de prévention et de prise en charge.
5. Sensibiliser les établissements de soins et les décideurs politiques
L’étude montre que le covid long est un enjeu majeur pour la santé publique et pour le fonctionnement du système de soins. En France, il serait essentiel de sensibiliser davantage les décideurs et les directions des établissements de santé aux impacts du covid long afin de :
- Établir des politiques de soutien et d’accommodement pour les soignants affectés, incluant des ajustements dans les horaires et les responsabilités.
- Impliquer les représentants des soignants dans les décisions concernant la prévention et la prise en charge du covid long.
- Assurer un financement durable pour les initiatives visant à prévenir le covid long et à améliorer la prise en charge des soignants atteints.
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