Le trouble borderline en France, symptôme d’un lien social perverti
Le terme « borderline » est aujourd’hui devenu une sorte de « fourre-tout » sociétal, une forme d’appellation générique qui signifie tout et n’importe quoi. Ce peut être une insulte, un groupe musical, une chanson, un bar à la mode… Mais la réalité est tout autre.
C’est d’abord un véritable fléau responsable de plus de 2 000 suicides par an en France qui touche plus de 3,5 % de la population active, c’est-à-dire près de 2,5 millions de personnes, en particulier les adolescents et les jeunes adultes. À la différence des symptômes du trouble bipolaire, les personnes qui souffrent du trouble de la personnalité borderline éprouvent au quotidien des états émotionnels (peur, colère, tristesse, honte…) incontrôlables, intenses, qui surviennent brusquement et submergent l’individu. Ils s’accompagnent d’un immense sentiment de vide intérieur, de désespoir, de solitude, d’irritation ou d’anxiété. Les origines du trouble borderline sont multiples et sont généralement liées à une somme de dysfonctionnements familiaux.
Le DSM V a répertorié 9 symptômes (dont 5 au moins suffisent) pour diagnostiquer la psychopathologie du trouble de la personnalité Borderline. En observant la société française contemporaine d’un point de vue sociologique, on ne peut s’empêcher de constater qu’elle présente, elle aussi, un grand nombre de similitudes avec ces mêmes symptômes.
1/ Une partie importante de la population Française s’estime abandonnée ou exclue.
Le symptôme : Peur de l’abandon. La personne fait des efforts effrénés pour ne pas se sentir seule, rejetée ou abandonnée, qu’il s’agisse d’un scénario réel ou imaginé.
En psychopathologie, le sentiment de rejet, la peur de l’abandon sont généralement l’expression d’une problématique d’attachement survenue au moment de l’enfance. Dans la société Française, on assiste depuis les années 80’ à l’émergence dramatique d’un symptôme du même type avec des causes étrangement similaires. Qu’il s’agisse d’un enfant, d’un ado ou d’un adulte, les interactions d’une personne dans la cellule familiale sont dites « normales » quand elles incluent les dimensions de reconnaissance — « je compte pour quelqu’un » —, de sécurité — « je compte sur quelqu’un » — et de responsabilité — « quelqu’un compte sur moi ». Sur le plan social, la réunion de ces mêmes éléments dans le contexte familial, associatif, scolaire ou professionnel, permet aux individus de s’émanciper d’être autonomes, de s’estimer, mais aussi à participer et à s’intégrer. D’un point de vue sociologique on constate que la société contemporaine présente bizarrement les mêmes dysfonctionnements que les familles des borderline : Le chômage, la disparition des interactions entre les générations au sein de familles de plus en plus souvent éclatées ou recomposées, le décrochage scolaire, la dématérialisation des relations entre les individus tout comme la disparition rapide des petits commerces de proximité et des lieux de convivialité sont autant de pertes de repères qui participent à l’émergence d’une anxiété collective.
Dans son édition de 2016 la Fondation de France évalue à 10,7 % la part de la population française en situation d’isolement et met en exergue une fracture sociale entre, d’un côté, des individus intégrés, bénéficiant d’une sociabilité riche et diversifiée, et de l’autre une population qui n’entretient des relations que dans un seul réseau social. Ce « vide » relationnel explique l’émergence exponentielle des minorités ethniques, culturelles, religieuses et autres groupements, qui sont devenus le refuge d’individus en mal d’appartenance identitaire et qui estiment, à tort ou à raison, être abandonnés, ignorés, menacés d’exclusion. Dans son livre paru en 2018 aux éditions de l’Observatoire « Délivrez-nous du Bien ! Halte aux nouveaux inquisiteurs », Natacha Polony dénonce la tyrannie de ces minorités de plus en plus autoritaires et démontre à quel point la culpabilisation qu’elles exercent dans la société menace les libertés démocratiques.
2/ Quitter son corps pour se sentir vivant
Le symptôme : Les comportements addictifs (alcoolisation massive, drogues dures, jeu vidéo, relations sexuelles à risque), en particulier chez les adolescents et les jeunes adultes, les troubles du comportement alimentaires (anorexie et/ou boulimie), les conduites à risques.
Le dernier rapport de La fédération Nationale Alcool Assistance fournit des informations sur le phénomène d’addictions avec prise de produits. Il confirme que la consommation du cannabis touche essentiellement la jeunesse (30 % de consommateurs réguliers) et représente plus de 80 % de l’ensemble des stupéfiants avec 3,9 millions de consommateurs, dont 1,2 million de consommateurs réguliers. Plus de la moitié d’entre eux en font un usage épisodique, mais environ 1/3 ont une consommation problématique et 10 % se trouvent au stade de la dépendance. Ces chiffres doivent nous interpeller, car le cannabis est une addiction aggravante presque toujours associée au trouble de la personnalité borderline. Elle n’est malheureusement pas la seule. Autrefois l’apanage des cercles « branchés », la cocaïne touche maintenant, souvent par effet de mode, une population d’adolescents ou de jeunes adultes. Enfin, la consommation d’ecstasy et des nouvelles drogues de synthèse est devenue fréquente à l’occasion des « raves parties », mais également dans les milieux festifs, notamment au sein des établissements de nuit. La « poly-toxicomanie », associant ces produits, mais aussi l’alcool, les médicaments et le tabac, est une pratique de plus en plus courante. Chez les jeunes Français, la consommation d’alcool se situe au-dessus de celle de leurs voisins européens. « 60 % des jeunes de 17 ans ont déjà été ivres et 50 % ont connu une alcoolisation ponctuelle importante. »
3/ De la névrose existentielle à la crise d’identité
Le symptôme : Sensation de vide intérieur. Impression douloureuse de ne plus rien ressentir, de ne plus exister, sentiment chronique de vide.
L’isolement social est une caractéristique majeure de notre société contemporaine, responsable de la perte d’identité et d’égalité. Les principales causes sont connues : perte d’emploi, chômage, éclatement de la famille, divorces, et depuis quelques années le phénomène d’immigration. Comme le SDF, celui qui reste seul se sent banni. Il doit se battre contre l’apriori social et le sentiment qu’il mérite sans doute cette mise à part. Une personne qui subit une solitude qu’elle n’a pas choisie et dont elle ne sait comment sortir perd progressivement ses forces intérieures. Comme pour les personnes borderline, on observe des phénomènes de repli, de dépréciation de soi jusqu’à la perte de l’espoir de compter encore un jour pour quelqu’un. Cette perte de l’estime de soi entraine la dépression et la désespérance. Les capacités de renouer des liens diminuent. La peur, la honte peuvent entrainer la personne dans une logique de retrait qui rend le retour à une dynamique d’inclusion sociale de plus en plus difficile.
Si la situation perdure, elle peut devenir dramatique et conduire au suicide.
Enfin l’isolement social accélère les pertes d’autonomie notamment chez les plus âgés et augmente les dysfonctionnements des prises en charge. Plusieurs études ont ainsi démontré que cet isolement est la cause de nombreux non-recours aux soins ou entrainent des aides-inadaptées. Une personne âgée sur 4 est isolée : cela représente 24 % en 2014 contre 16 % en 2010. 1,5 million de personnes de plus de 75 ans vivent aujourd’hui en France dans une solitude qu’elles n’ont pas choisie.
4/ Jouer avec la mort, au risque d’y laisser la vie
Le symptôme : Actes autodestructeurs. Répétition de comportements, de gestes ou de menaces suicidaires, ou d’automutilations
Avec environ 9 000 décès par suicide par an, le site de Santé publiquefrance.fr indique que la France présente un des taux de suicide les plus élevés d’Europe. Il s’agit donc d’un problème majeur de santé publique dont l’impact en termes humains et économiques est important.
Le Baromètre de Santé publique France de 2017 fournit des précisions sur les idées suicidaires et les tentatives de suicide (TS) dans la population générale et chez les actifs.
Près de 5 % des 18-75 ans de la population générale déclarent avoir pensé à se suicider au cours des 12 derniers mois et plus de 7 % disent avoir fait une TS au cours de la vie.
Chez les actifs 4,5 % des femmes et 3,1 % des hommes déclarent avoir eu des pensées suicidaires. Un tiers d’entre eux les attribuait à des raisons professionnelles. Les professions les plus à risque sont celles de la restauration, des arts et spectacles et de l’enseignement. En France, on sait qu’un agriculteur se suicide tous les deux jours, mais il est difficile de connaître le nombre de policiers qui retournent leur arme de service contre eux.
Comme nous l’avons évoqué plus haut, le sentiment croissant d’insécurité, la confrontation avec une situation financière, familiale ou professionnelle difficile (burnout), favorisent l’émergence d’idées suicidaires et des passages à l’acte. L’inactivité professionnelle, le célibat, les conséquences d’un divorce qui se passe mal, la perte d’un être cher, le harcèlement physique ou moral, peuvent également conduire au suicide. Enfin, chez les plus jeunes, le décrochage scolaire et les consommations de substances psychoactives (alcool, tabac et autres drogues) sont également des causes en augmentation.
5/ La recrudescence des violences urbaines
Le symptôme : Hétéro-agressivité. Colères intenses et inappropriées, souvent incontrôlables, qui s’expriment par des violences verbales sur les personnes ou physiques sur les objets.
Depuis les années 1990, les différents rapports de la Police française, repris ensuite par les RG, dressent un tableau alarmant de l’évolution de la délinquance : Voitures brûlées, attaques à main armée, affrontements armés entre bandes rivales, destructions de mobilier urbain, vol à la tire… etc. D’un point de vue sociologique, on peut trouver dans le phénomène de « violence urbaine » de nombreuses similitudes avec un symptôme assez fréquent du trouble de la personnalité borderline.
Cette mise en scène dramatisée de la dérive mafieuse, des cités interdites et autres zones de non-droit est une forme de pathologie sociale dont la prévalence ne peut pas laisser indifférent. Pour le sociologue Laurent Mucchielli, « l’expression violence(s) urbaine(s), aujourd’hui très répandue en France, est un générique qui doit sans doute une partie de son succès à son absence de rigueur ». En pratique, l’expression semble surtout désigner tout ou partie des formes de désordres, de révoltes et de délinquances que l’on attribue généralement à une autre catégorie sociale aux contours également vagues : les jeunes des cités.
Véronique Le Goaziou et Laurent Mucchielli[1], se sont intéressés à cette jeunesse désocialisée, déscolarisée, pourvue de parents « démissionnaires », qui se retrouve de fait sans repères moraux et sociaux. Ils s’entendent pour distinguer trois types de délinquance juvénile :
- Le premier, dit « initiatique », concerne non pas une minorité, mais la majorité des adolescents qui, un jour ou l’autre, font l’expérience de la transgression (fraude, vol, bagarre, consommation de cannabis, conduites à risque), le plus souvent dans l’émulation d’un petit groupe de pairs. Les enquêtes de délinquance auto-déclarée révèlent cette banalité de l’expérience déviante à l’adolescence et n’y associent aucun facteur psychosocial discriminant.
- À l’opposé, le second type, dit « pathologique », dans lequel se retrouvent les bon nombre de causes de la personnalité borderline, désigne une toute petite minorité d’adolescents qui ont des comportements déviants et agressifs, qui se manifestent souvent depuis l’enfance, en liaison avec des problématiques familiales lourdes.
- Enfin, le troisième type, dit « d’exclusion », désigne ceux des adolescents qui persistent dans des pratiques transgressives et restructurent leur identité autour du modèle de délinquant, parfois dans le cadre de « bandes » plus ou moins structurées (Mohammed, 2007). D’un point de vue psychopathologique, ces comportements font penser au trouble de personnalité antisociale parfois également nommé psychopathie, sociopathie ou personnalité dyssociale. Il s’exprime par un mode général de mépris et de transgression des droits d’autrui. Ceux-là font une carrière plus ou moins longue dans la délinquance et sont bien connus du système pénal. Les facteurs sociaux les distinguant le plus des autres types sont le fait d’avoir grandi dans un quartier pauvre et l’échec scolaire.
6/ L’exigence narcissique des réseaux sociaux induit la perturbation de l’identité des individus et favorise l’émergence d’une société en faux-self.
Le symptôme : Perturbation de l’identité. Instabilité de l’image, de la notion de soi, besoin de reconnaissance exacerbé.
Le 20 mars 2018, le Point publiait un entretien avec Denis Olivennes et Mathias Chichportich, auteurs de « Mortelle Transparence » qui démontrent à quel point l’immédiateté des réseaux sociaux est extrêmement toxique et comment la dictature du « tout dire » et du « tout voir » asservit des pans entiers de la société. L’affirmation de soi sur la Toile est un acte qui vise à réduire au maximum l’impact du mauvais côté de soi, et permet aussi de créer vis-à-vis d’autrui une image sociale et positive[2].
Au travers des réseaux sociaux, la plupart des gens s’expriment en faveur de la mise en relief de leurs points forts et ne disent évidemment rien des informations négatives les concernant. Faute de l’avoir eu dans son cadre familial, l’expression de SOI (on devrait plutôt dire l’exposition de soi) permet à l’internaute d’obtenir de la part de l’AUTRE la bonne évaluation qu’il recherche. Pour certains chercheurs « le toilettage social » est une pratique qui exulte le bien-être et l’état sanitaire des membres de la communauté (Facebook, Instagram,…). Elle a pour fonction d’établir la solidarité_ on devrait dire l’interdépendance_ sociale. Ainsi, les utilisateurs des réseaux sociaux se « soignent » pour attirer l’attention d’autrui. Du fait de cet intérêt, ils se sentent pour une part renarcissisés.
Cependant, le toilettage social peut aussi générer des effets néfastes. Un des effets les plus toxiques de l’utilisation des réseaux sociaux est de se vanter et de montrer à l’excès sa vie et l’apparence. Les utilisateurs y ont beaucoup d’occasions d’observer et juger la vie d’autrui via des échanges sans continuité. Ils savent aussi que les autres les observent. Donc, la conscience des regards d’autrui produit le désir de montrer leurs vies et leurs images, mais cela devient très vite exagéré. Le résultat d’une recherche a conclu que l’utilisation des réseaux sociaux, y compris Facebook, est strictement liée au narcissisme[3] . Mais le problème essentiel est que cet exhibitionnisme et cette exposition positive de soi ne prennent pas seulement fin avec l’autosatisfaction. Exposés à la fausseté de la vie sur les réseaux sociaux, les utilisateurs peuvent sous-estimer subjectivement leurs vies au-delà de l’aspiration et la jalousie. Comme le démontre Festinger dans sa théorie de la comparaison sociale, cette comparaison entre soi et le bonheur d’autrui peut engendrer un sentiment désespéré de perte et une diminution du bien-être.
Cette forme de servitude sociale volontaire décrite par Denis Olivennes est une maladie auto-immune qui menace aujourd’hui la démocratie. Ce sont les individus qui menacent les individus… Nous organisons nous-mêmes notre propre asservissement.
7/ Réussir ou disparaître. L’élimination progressive des classes moyennes débouche sur un modèle social qui exacerbe les extrêmes. À terme, n’y aura plus que des très riches et des très pauvres.
Le symptôme : Une dysrégulation émotionnelle. Sensibilité exacerbée, vision dichotomique (tout blanc ou tout noir), changements d’humeur subits et imprévisibles, réactions émotionnelles intenses, dépression et anxiété, difficulté (à trop ou pas assez) gérer sa colère.
Parce qu’elle nous permet d’attirer la reconnaissance, l’amour, de l’autre, la recherche de la performance à tout prix est partout ! Quel que soit le secteur, scolaire, sexuel sportif, professionnel, il faut toujours être « au top ».
Tout commence à l’école. Un bon élève est celui qui a forcément une note supérieure à la moyenne de la classe. Dans la même logique, obtenir le BAC sans mention est presque synonyme d’échec. Mais c’est peu de chose en comparaison avec la violence de la vie universitaire qui s’exercera ensuite par la sélection impitoyable des concours et autres partiels ! Puis vient la quête de la réussite professionnelle au sein de l’entreprise elle-même confrontée à la concurrence économique mondiale. L’entreprise n’est pas seulement un élément majeur du système économique et social, c’est aussi et surtout, une machine à broyer les individus.
Les actions des borderline sont dictées par leurs émotions. Dans la société, la publicité a infiltré l’espace public comme le plus intime. Elle formate lentement mais sûrement les habitudes de penser, d’aimer et d’agir d’une population de consommateurs qui croient naïvement avoir le droit de choisir ce qu’ils consomment. Mode d’alimentation, mode vestimentaire, mode de vie… la mode est partout. Comme une pulsion de borderline, elle émerge, s’impose et disparaît parfois aussi vite qu’elle était arrivée. Les borderline sont intolérants à la moindre frustration. Il en va de même dans une société fondée sur l’immédiateté. Le culte du « tout, et tout de suite » renforcé par « le meilleur sinon rien » induit un climat de « challenge » permanent qui s’accompagne inévitablement de son lot de divorces, de pertes d’emploi ou de burnout, de harcèlement moral ou sexuel, de suicides, de crimes… qui sont les symptômes d’une société en quête de sens.
8/ La théorie du complot
Le symptôme : Sentiment de paranoïa. Dans une situation de stress, la personne a le sentiment que l’on cherche à lui nuire ou a l’impression d’être déconnectée de la réalité.
Notre société est-elle devenue parano[4] ? Il ne se produit pas un événement violent, ou même dramatique, sans que des voix s’élèvent ici ou là pour dénoncer l’existence d’un improbable complot. L’expression « théorie du complot », selon Pierre-André Taguieff,[5] est malheureuse. Elle donne en effet à penser que les complots n’existent jamais, ce qui est évidemment faux. Aussi le sociologue préfère-t-il parler de « mentalité complotiste ». Ce qui la caractérise, c’est la tendance à attribuer tout événement dramatique à un complot ourdi en secret par un individu ou un groupe plus ou moins important.
L’une des premières explications consiste à dire que la vision complotiste est utile, car elle protège de l’angoisse. Dans un monde soumis à un flux toujours croissant d’informations complexes, soumis à l’incertitude, l’univers du complotiste a le mérite d’être simple : chacun des événements ou phénomènes fâcheux que l’on dénonce — la guerre, le chômage, la pauvreté, l’assassinat d’une personnalité, un attentat — a une cause unique : l’action volontaire d’un groupe, dénoncé comme l’incarnation du mal. Certains chercheurs, en psychologie sociale, se sont également interrogés sur la personnalité des adeptes des théories du complot : retrouve-t-on les mêmes traits de caractère chez tous ? La parenté entre les raisonnements de certains borderline et surtout des paranoïaques et ceux des conspirationnistes est fréquemment relevée : même caractère obsessionnel, même acharnement à trouver des preuves, voir à en fabriquer. Pour le sociologue Gérald Bronner[6] nous sommes accablés par un déferlement continu de fake news (fausses nouvelles) et de théories du complot, par la haine ordinaire sur les réseaux sociaux, par la radicalisation des points de vue, au quotidien, en famille, sur les routes, au travail… La situation est telle que la défense de la rationalité dans le débat public est souvent inaudible, voire impensable.
9/ La société contemporaine favorise les modes de relations interpersonnelles instantanées, intenses, instables et éphémères.
Symptôme : Problèmes relationnels :Modes de relations interpersonnelles instables et intenses
Autrefois les rencontres amoureuses se faisaient généralement dans un périmètre géographique restreint, sur le lieu de travail, à l’occasion d’un bal du village… ou dans les pages des petites annonces. Aujourd’hui, grâce aux sites de tout le monde peut rencontrer tout le monde ! L’individu qui « like ou swipe » (aime ou efface) les profils qui apparaissent sur son écran a l’illusion d’un choix quasi infini de partenaires. Il n’a jamais été aussi facile qu’aujourd’hui de faire des rencontres et pourtant, il n’y a jamais eu autant de célibataires. Le constat est évident : non seulement ces applications ne favorisent pas l’engagement, mais elles créent ou renforcent les comportements d’évitement, de frustration, de procrastination, que l’on retrouve chez les personnes borderline. On peut toujours trouver mieux, mais trop de choix tue l’action et peut se révéler stressant et paralysant. Se fixer des objectifs élevés permet de conjurer l’échec et de « coller » aux critères d’une société qui glorifie l’excellence et la performance dans tous les domaines.
Conclusion
Pour tenter d’échapper à ces symptômes, plus d’un quart des Français consomme des anxiolytiques, des antidépresseurs, des somnifères et autres médicaments pour le mental. Avec 150 millions de boites prescrites chaque année nous sommes les plus gros consommateurs de psychotropes du monde. Et cette situation ne cesse d’empirer. En France, les coûts directs et indirects des problèmes de santé mentale sont estimés à environ 3,7 % du PIB, soit plus de 80 milliards d’euros, dont plus de 25 milliards d’euros de coûts indirects, liés à un taux d’emploi et à une productivité plus faible (hospitalisations en urgence, arrêts de travail). Dans son Panorama 2018 de la santé, l’OCDE estime que ce « fardeau » individuel, mais aussi économique et social, pourrait être largement allégé par la mise en place de politiques adaptées et recommande de promouvoir la santé mentale non seulement au travail, mais aussi parmi les chômeurs et les personnes retraitées.
Alors pourquoi alors ne pas imaginer que dans un avenir proche, des sociaux psychologues proposeront 10 heures par an de prestations gratuites à chaque Français qui le souhaiterait.
Pierre Nantas, Psychothérapeute.
https://www.pierre-nantas-psychotherapeute.paris/
[1] Quand les banlieues brûlent… Retour sur les émeutes de novembre 2005. Édition revue et augmentée (La Découverte, 2007) La violence des jeunes en question (Champ social, 2009)
[2] E. Goffman, The Presentation of Self in Everyday Life
[3] E. Panek, Y. Nardis & S. Konrath, « Mirror or Megaphone? »
[4] Claudie Bert est journaliste spécialisée dans les questions d’éducation et de société. Elle a travaillé pour Le Monde de l’éducation, L’événement du jeudi et Que choisir. Aujourd’hui, elle collabore régulièrement à Sciences humaines.
[5] Politologue, sociologue, historien des idées et directeur de recherche au CNRS honoraire français
[6] Déchéance de rationalité Gérald Bronner Grasset, 2019
Descripteur MESH : France , Personnalité , Population , Personnes , Suicide , Santé , Vie , Peur , Recherche , Risque , Chômage , Vide , Travail , Cannabis , Solitude , Colère , Santé mentale , Anxiété , Frustration , Psychopathologie , Caractère , Minorités , Famille , Santé publique , Violence , Relations interpersonnelles , Moral , Logique , Édition , Harcèlement , Dépression , Toilettage , Tabac , Climat , Soins , Professions , Concurrence économique , Dépréciation , Sécurité , Physique , Hommes , Voix , Entretien , Réunion , Lieu de travail , Démocratie , Femmes , Sciences humaines , Enfant , Adulte