PPL sur l’immigration : quelles conséquences en matière de santé ?
La nouvelle proposition de loi sur l'immigration, si elle est promulguée, ne sera pas sans conséquence sur le secteur sanitaire et social. Si d’un côté elle vise à faciliter l’accès à l’emploi des soignants étrangers, d’un autre elle entrave sérieusement les conditions d’accès aux soins pour les étrangers, ce qui est scientifiquement injustifié et éthiquement condamnable.
Faciliter l’accès à l’emploi des soignants étrangers
La proposition de loi introduit des mesures pour faciliter l'accès à l'emploi de certaines catégories socioprofessionnelles, notamment dans le secteur de la santé. L'article 7 de la proposition de loi introduit en effet une carte de séjour de quatre ans nommée "talent profession médicale et de la pharmacie" pour les médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes et pharmaciens. Pour l'obtenir, ces professionnels doivent avoir une affectation ou une autorisation d’exercer et répondre à un seuil de rémunération défini par décret en Conseil d’État. Cette disposition pourrait potentiellement pallier les pénuries de certains professionnels de santé.
L'Aide Médicale d'État est maintenue …
La Première ministre Élisabeth Borne a réaffirmé son engagement à ne pas supprimer l'aide médicale d'État (AME), tout en annonçant sa réforme dès 2024. Cette réforme s'appuiera sur un rapport rédigé par l'ancien ministre de la Santé Claude Evin et le conseiller départemental Patrick Stéfanini, suggérant notamment d'exclure du bénéfice de l’AME les personnes sous le coup d’une mesure d’éloignement pour motif d’ordre public. Cette réforme est attendue avec impatience par les acteurs du secteur de la santé, car elle pourrait redéfinir les contours de l'accès aux soins pour les populations les plus vulnérables.
… Mais les conditions d’accès aux soins sont entravées
L'article 1er E de la proposition de loi a modifié les conditions d'accès à la carte de séjour pour les soins médicaux. Désormais, les étrangers ne peuvent prétendre à des soins en France que si le traitement nécessaire n'est pas répertorié dans leur pays d'origine. Cette disposition pourrait sérieusement limiter l'accès aux soins pour de nombreux individus, même si le traitement est théoriquement disponible mais non accessible dans la pratique. En outre, cette loi stipule que les frais de soins ne seront pas pris en charge par l'assurance maladie française si l'étranger dispose de ressources ou d'une couverture assurantielle adéquate. Cette condition ajoute une couche supplémentaire de complexité et pourrait dissuader des patients nécessitant des soins urgents. Ces restrictions ne sont pas sans poser des questions éthiques majeures.
L'AME au cœur des débats
La législation actuelle concernant l'aide médicale d'État (AME) et son avenir demeurent des points centraux dans le débat législatif français. Cette aide, majeure pour la protection sanitaire des étrangers sans titre de séjour mais aussi par extension de l’ensemble des Français, a récemment été menacée de substitution par une aide médicale d'urgence, proposition qui a suscité de vives inquiétudes. Bien que l'Assemblée nationale ait temporairement rétabli l'AME, son devenir est toujours incertain, soulevant des interrogations quant aux répercussions d'une telle mesure sur les immigrants précaires et le système de santé français. Les arguments politiques en faveur de la restriction de l'AME sont souvent contredits par les faits scientifiques. Au lieu de provoquer une surconsommation de soins, le maintien de l'AME permettrait de réduire les coûts en évitant des prises en charge tardives et onéreuses. L'Espagne, qui a restreint l'accès aux soins pour les migrants en 2012 pour ensuite revenir sur cette décision en 2016 suite à une hausse de la mortalité, illustre clairement les dangers d'une telle politique.
Seuls 51% des étrangers ayant droit à l’AME y ont effectivement accès
Malgré leur droit à la santé, de nombreux immigrants précaires, notamment ceux sans titre de séjour, se heurtent à des obstacles considérables pour accéder à une couverture maladie adéquate. Créée en 2000, l'AME vise à surmonter ces difficultés en offrant une prise en charge complète des soins médicaux. Cependant, l'enquête "Premiers pas" de 2019 a révélé que seulement 51 % des personnes éligibles bénéficient réellement de l'AME, mettant en exergue les difficultés d'accès à cette protection. Le projet Makasi, une recherche communautaire, participative et interventionnelle mise en œuvre entre 2018 et 2021 en Île-de-France, visait à améliorer l'accès à l'AME pour les immigrants en situation de précarité. Les résultats ont montré une augmentation significative de la couverture maladie parmi les participants, grâce à une approche axée sur le renforcement de leur capacité d'action en matière de santé.
La restriction ou suppression de l'AME pour les étrangers en situation irrégulière s'avère non fondée scientifiquement. Les études soulignent plutôt la nécessité de développer des stratégies assurant un meilleur accès aux soins et à la couverture maladie. Le projet Makasi illustre l'impact positif de telles initiatives et met en lumière l'importance de préserver et renforcer l'accès à la santé pour les immigrants les plus vulnérables, en conformité avec les objectifs de couverture sanitaire universelle de l'Union européenne.
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