Infirmiers : une reconnaissance législative historique, mais à quel prix ?

Infirmiers : une reconnaissance législative historique, mais à quel prix ? Adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, la réforme du métier infirmier marque une avancée majeure en reconnaissant officiellement de nouvelles missions, dont la consultation et le diagnostic infirmier. Mais derrière cette reconnaissance historique, la profession reste partagée. Manque de revalorisation salariale, surcharge administrative, tensions avec les médecins : les infirmiers s’interrogent sur les véritables effets de cette loi sur leurs conditions de travail.

Un texte attendu pour moderniser la profession

Le rôle des infirmiers est en passe d’être reconnu et renforcé dans la loi, grâce à une proposition récemment adoptée à l’unanimité par les députés. Ce texte introduit plusieurs avancées majeures, notamment la reconnaissance officielle du diagnostic infirmier, de la consultation infirmière et de l'orientation des patients. Il prévoit également une autonomie accrue pour les infirmiers dans certains actes de soins, tout en maintenant un cadre de collaboration avec les médecins. Cette réforme vise ainsi à clarifier et à renforcer le rôle des infirmiers dans le système de santé, en réponse aux besoins croissants de la population. Portée par Frédéric Valletoux (Horizons, Seine-et-Marne) et Nicole Dubré-Chirat (Renaissance, Maine-et-Loire), cette réforme vise à moderniser un cadre réglementaire obsolète, hérité d’un décret de 2004, qui ne reflétait plus la réalité du métier.

L’augmentation des besoins en soins, liée notamment au vieillissement de la population et au manque de médecins, constitue un enjeu majeur pour le système de santé. Parallèlement, un tiers des médecins généralistes devraient partir à la retraite d'ici 2035, aggravant encore la pénurie médicale dans plusieurs territoires. Ce déséquilibre entre l'offre et la demande de soins justifie aux yeux du législateur la nécessité d'une réforme visant à mieux structurer le rôle des infirmiers dans l'organisation des soins primaires. Avec 640 000 infirmiers en exercice, leur rôle devient central dans la prise en charge des patients.

Le ministre de la Santé, Yannick Neuder, a souligné sur les réseaux sociaux que le texte est "le fruit de deux ans de concertation avec les soignants, parlementaires et acteurs du secteur", affirmant qu'il répond aux attentes du terrain et saluant "l’esprit transpartisan des discussions". De son côté, l'ancien ministre Frédéric Valletoux a insisté sur l'importance de renforcer l'attractivité du métier et de "conforter l’équipe médicale autour du médecin", déclarant : "Il est temps de faire confiance à ces professionnels de santé et de leur dire haut et fort qu’ils sont essentiels dans la prise en charge des Français".

Un élargissement des missions infirmières

La proposition de loi définit sept missions fondamentales, précisant ainsi le champ d’action et l’autonomie des infirmiers :

  1. La réalisation et l’évaluation des soins infirmiers (préventifs, curatifs, palliatifs, relationnels, ou destinés à la surveillance clinique).
  2. L’orientation des patients et le suivi du parcours de soins, pour fluidifier leur prise en charge et favoriser le maintien à domicile des personnes âgées.
  3. L’accès aux soins de premier recours, notamment en facilitant l’intervention des infirmiers dans les zones sous-dotées en médecins.
  4. La prévention, le dépistage et l’éducation thérapeutique, visant à améliorer la prise en charge des maladies chroniques.
  5. La participation à la formation et à la recherche, pour renforcer les compétences et favoriser l’innovation.
  6. La mission de service public de permanence des soins, pour assurer un accès aux soins en dehors des horaires classiques.
  7. L’expérimentation de l’accès direct aux infirmiers dans cinq départements, pour tester une plus grande autonomie sur certains actes.

L’inquiétude du corps médical face à la réforme

Si la réforme est bien accueillie par les infirmiers, elle suscite des réticences parmi les médecins. Plusieurs syndicats expriment des craintes quant à une possible redéfinition du rôle médical, notamment avec :

  • L’introduction du "diagnostic infirmier" et de la "consultation infirmière", jusqu’ici réservés aux médecins.
  • L’autorisation pour les infirmiers de prescrire certains produits de santé, ce qui pourrait modifier l’équilibre du parcours de soins.
  • La crainte d’une substitution progressive des infirmiers aux médecins, notamment dans les territoires en tension médicale.

Face à ces résistances, le gouvernement a maintenu une supervision médicale dans l’organisation des nouvelles compétences infirmières, en précisant que les actes nouvellement autorisés devront être réalisés dans un cadre de collaboration formalisé avec les médecins. La loi prévoit notamment des protocoles spécifiques et des formations complémentaires pour encadrer ces nouvelles responsabilités et éviter tout risque de dérive dans la répartition des rôles entre professionnels de santé. L’objectif affiché est de renforcer la collaboration entre médecins et infirmiers, et non de remettre en cause le rôle des premiers.

Un parcours législatif encore à finaliser

Après son adoption à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 10 mars 2025, la proposition de loi doit désormais être examinée par le Sénat. La procédure accélérée permettra un vote plus rapide, mais plusieurs points sensibles pourraient encore faire l’objet de débats.

Par ailleurs, le ministre de la Santé Yannick Neuder a précisé que les négociations conventionnelles débuteront en septembre, pour définir les modalités de rémunération et d’application des nouvelles missions infirmières. La rémunération est un point de crispation majeur pour la profession.

Une reconnaissance institutionnelle et un tournant pour la profession infirmière

L'Ordre National des Infirmiers (ONI) salue cette réforme comme une avancée majeure, rappelant que plusieurs de ses propositions ont été intégrées au texte. L’ONI met notamment en avant :

  • La reconnaissance officielle de la consultation et du diagnostic infirmier.
  • L’intégration de l’orientation des patients comme mission essentielle.
  • La valorisation des soins relationnels, cœur du métier infirmier.
  • Une sécurisation juridique des nouvelles compétences, évitant le risque d’exercice illégal de la médecine.

Pour Sylvaine Mazière Tauran, présidente de l’ONI, cette loi est une première étape vers l’évolution du métier. L’Ordre appelle désormais le Sénat à adopter rapidement le texte, en vue d’une mise en application effective d’ici le 31 janvier 2026. Elle ajoute :

"L’adoption hier en première lecture de la proposition de loi sur la profession d’infirmier marque une première étape dans l’évolution de la profession et l’amélioration de la prise en charge des patients. Nous comptons désormais sur les sénateurs pour adopter ce texte rapidement. L’Ordre National des Infirmiers réaffirme sa volonté de voir cette loi s’appliquer pleinement et anticipe déjà les textes réglementaires qu’il souhaite voir entrer en vigueur d’ici le 31 janvier 2026."

Le SNPI appelle à aller plus loin

Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers (SNPI), a salué la loi tout en rappelant les attentes encore insatisfaites de la profession :

"Après 20 ans d’attente, nous saluons cette loi, qui porte les espoirs de la profession, et nous remercions les députés qui ont su intégrer les attentes des organisations infirmières.

Ainsi, lors de son passage en Commission des Affaires Sociales le 5 mars, ce texte avait été amélioré sur plusieurs points, avec en particulier l’ajout de l’orientation qui va fluidifier le parcours du patient et faciliter le maintien à domicile des personnes âgées.

Le 10 mars, les députés ont également adopté notamment les amendements sur le premier recours, la reconnaissance du rôle relationnel et la conciliation médicamenteuse.

Par contre, la 4ᵉ année d'études en IFSI n’a pas été votée, alors que quantité d’études internationales le prouvent : un an de formation supplémentaire réduit significativement la mortalité hospitalière. Moins d’erreurs, moins d’infections, moins de décès évitables. Nous comptons sur la sagesse des sénateurs pour sauver davantage de vies."

Le débat sur l’extension du cursus infirmier reste donc ouvert. Plusieurs études démontrent qu’une année supplémentaire de formation permettrait de réduire les erreurs médicales et d’améliorer la qualité des soins.

Le collectif Infirmiers Libéraux en Colère (CILEC) revendique non seulement le maintien de l’article 1 sur l’accès direct aux infirmiers, mais aussi une revalorisation des actes infirmiers, une amélioration des conditions d’exercice et une simplification administrative. Il alerte sur la surcharge administrative croissante qui pèse sur les professionnels libéraux, rendant leur métier moins attractif. Le CILEC insiste sur l’urgence de mettre en place des mesures concrètes pour prévenir une pénurie d’infirmiers libéraux, alors que de nombreux professionnels quittent la profession en raison de conditions de travail jugées insoutenables. Le collectif a exprimé son soutien à cette réforme, en insistant sur la nécessité de préserver l’article 1, qui encadre l’accès direct aux infirmiers pour certains actes., qui encadre l’accès direct aux infirmiers pour certains actes.

Une réforme diversement accueillie sur le terrain

Les réactions à cette réforme sont contrastées au sein de la profession infirmière, comme en témoignent de nombreux échanges sur les réseaux sociaux. Certains y voient une avancée, d’autres dénoncent une réforme qui ne règle pas leurs problèmes majeurs.

🔹 Une reconnaissance attendue mais sans compensation

"La consultation infirmière n'est pas une consultation médicale. On vient simplement reconnaître ce que les infirmiers font depuis longtemps sans rémunération. On ne veut pas être des pseudo-médecins et on ne le sera pas. Cela restera toujours un travail en collaboration. On reconnaît enfin nos compétences et notre rôle propre."

"Nous ne voulons pas nous substituer aux médecins, seulement que ce que nous faisons déjà soit reconnu et rémunéré."

Certains infirmiers perçoivent cette réforme comme une validation officielle de compétences qu’ils exerçaient déjà sans reconnaissance ni rémunération. Toutefois, ils regrettent l'absence de revalorisation salariale, qui laisse craindre une surcharge de travail sans compensation.

🔹 Une réforme qui ne résout pas la crise du système de santé

"Le système de santé est en ruine, et l’État bricole des solutions. On manque de médecins, d’infirmiers, de soignants… 40 % des étudiants infirmiers ne terminent pas leur cursus. Cette réforme élargira progressivement les compétences des infirmiers sans qu’ils aient reçu la formation adéquate, et l’État se dédouanera de sa responsabilité."

"On nous parle d’avancées, mais sur le terrain, nos actes restent sous-payés."

Beaucoup de soignants s’inquiètent d’une réforme insuffisante face aux véritables enjeux du système de santé. L'extension des compétences ne s'accompagne ni d’une revalorisation des actes infirmiers, ni d’un véritable plan de lutte contre la pénurie de soignants.

🔹 Un cadre médico-légal encore flou

"Je crains les complications médico-légales. Il y aura des ratés et des retards de prise en charge. Je vois arriver le jour où un médecin sera tenu pour responsable parce qu’un infirmier aura fait une prescription inadaptée. Si les IDE consultent et prescrivent, ils doivent aussi assumer l’entière responsabilité."

"Diagnostic infirmier ne se compare pas et ne remplace pas un diagnostic médical. La reconnaissance législative de la consultation infirmière valorise simplement nos compétences actuelles, pas de nouvelles compétences en vue."

Certains infirmiers et médecins s'inquiètent des implications médico-légales de cette réforme, notamment en matière de prescriptions et de prise en charge. Si les infirmiers gagnent en autonomie, les responsabilités en cas d’erreur restent encore floues.

🔹 Médecins vs IDEL : collaboration ou fracture ?

"Écœurée par cette guerre entre médecins et infirmiers. Il n’est pas question d’outrepasser les compétences médicales, mais de reconnaître notre expertise et notre présence au plus près des patients. Pourquoi ne pas nous accorder un minimum de crédit ?"

"Le gouvernement nous monte les uns contre les autres : médecins, infirmiers, pharmaciens..."

"C’est une belle avancée pour les infirmiers. Les médecins devraient s’en réjouir, car cela va leur permettre de se recentrer sur les cas critiques. Les infirmiers sont souvent les derniers professionnels de soin à intervenir à domicile."

Alors que certains saluent une meilleure reconnaissance du rôle infirmier, d’autres dénoncent une réforme qui risque d’exacerber les tensions entre les différentes professions de santé. Certains médecins y voient une remise en cause de leur rôle, tandis que d’autres infirmiers rappellent que cette réforme ne fait que structurer des compétences existantes. D’un autre côté, certains professionnels estiment que cette réforme pourrait renforcer la complémentarité entre médecins et infirmiers, en optimisant la prise en charge des patients tout en allégeant la charge de travail des médecins.

Ces témoignages illustrent un malaise persistant dans la profession. Les principales revendications des infirmiers portent sur la revalorisation salariale, la réduction de la charge administrative, une amélioration des conditions de travail, ainsi qu’une meilleure concertation avec les médecins pour éviter une opposition stérile entre professions de santé. Si la réforme apporte des avancées, elle ne résout pas le problème de la revalorisation des salaires, de la charge de travail et des conditions d’exercice.

Descripteur MESH : Infirmiers , Médecins , Travail , Diagnostic , Diagnostic infirmier , Soins , Santé , Rôle , Rémunération , Patients , Risque , Mars , Charge de travail , Face , Professions de santé , Professions , Gouvernement , Personnes , Médecins généralistes , Retraite , Pharmaciens , Population , Erreurs médicales , Syndicats , Consultation médicale , Commentaire , Discours , Maine , Corps médical , Lecture , Étudiants , Coopération , Guerre , Expertise , Adoption , Médecine , Lumière , Frustration , Colère , Parole , Mortalité hospitalière , Mortalité , Erreurs de diagnostic , Solutions

Actualités professionnelles: Les +