Droit de retrait des médecins face au #coronavirus : le point juridique complet
Chaque épidémie apporte son lot de questions nouvelles, son lot d’inquiétudes, et les médecins ne font pas exception. La crise du coronavirus agite la presse, et affole les marchés, mais pose incontestablement un nombre non négligeable de questions juridiques nouvelles, au titre desquelles figure celle du droit de retrait face au danger que représente le risque de contamination.
Les agents du Louvre ont invoqué celui-ci, et certains conducteurs de bus aussi, de sorte que pourquoi pas, demain, les médecins. Qu’en est-il exactement de ce droit, et quels sont ses contours, qui est concerné ? La situation est différente selon qu’il s’agit de professionnels salariés ou professionnels libéraux pour lesquels il ne saurait exister de droit de retrait à proprement parler.
Les médecins salariés
Les médecins, certes, mais salariés, et à ce titre soumis au Code du travail, sont concernés par les articles L 433-1 et suivants de celui-ci, qui encadrent le droit de retrait. La situation est à priori relativement simple : en cas de danger grave et imminent, le médecin peut, sous réserve d’en avoir informé préalablement son employeur, se retirer, c’est-à-dire cesser son activité. Mais, ce retrait ne doit pouvoir entrainer pour autrui une nouvelle situation de risque grave et imminent !
On le voit : un danger grave pour soi-même peut justifier un retrait, en raison de l’imminence de sa réalisation, mais encore faut-il que cette décision n’expose pas autrui au même danger…
Comment entendre la notion de danger grave et imminent pour soi-même et est-ce que le virus COVID-19 peut justifier un retrait de la part du médecin salarié ? La notion de danger grave et imminent est, comme souvent, une appréciation au cas par cas, et on l’entend facilement puisque chaque situation est évidemment différente et il est impossible de fixer une liste objective de dangers… Mais ce qui est retenu par la jurisprudence est que la notion de gravité signifie que ledanger doit être une menace pour la vie ou la santé du salarié, résultant par exemple d’une machine non conforme susceptible de le blesser. L’imminence signifie pour sa part que le risque est susceptible de survenir dans un délai rapproché.
En soi, l’exposition à un virus hautement pathogène avec un risque de contamination est bien susceptible de constituer un danger grave et immédiat, et on pourrait donc penser que le retrait est possible. Mais c’est sans compter sur l’autre condition : encore faut-il que ce retrait n’expose pas les autres à un risque grave et immédiat et en médecine, celle-ci prend évidemment tout son sens.
Une circulaire de 1981 apporte d’ailleurs une précision tout à fait logique quant aux limites du droit de retrait en milieu hospitalier par exemple. En effet, précise le texte :
« il suffirait par exemple à un membre d’une équipe opératoire d’estimer que l’équipement du bloc opératoire présente un danger pour la vie ou la santé des agents présents pour que soit interrompue une intervention urgente ».
Le tribunal administratif de Versailles a apporté lui aussi un éclairage intéressant, notamment quant à la prise en charge de patients porteurs du VIH. La juridiction indique :
« l’admission dans un service hospitalier de malades porteurs de virus du HIV ou de l’hépatite virale B ne présente pas, par elle-même, le caractère d’un danger grave et imminent, dès lors qu’un tel établissement, en raison même de sa mission, doit être apte à faire face aux risques de contagion pour ses agents et pour les tiers ».
Cela étant, si en soi le virus du VIH ou de l’hépatite B ne constituent pas en eux-mêmes le caractère d’un danger grave et imminent, l’impossibilité de traiter les patients qui en seraient porteurs, sans se mettre en danger grave, ou en s’exposant à un danger potentiellement létal, est de nature à pouvoir justifier, au cas par cas, l’exercice du droit de retrait, sauf pour l’employeur dument averti à mettre les salariés en condition de ne pas s’exposer à des risques graves, en respectant son obligation de sécurité.
Il a été jugé que l’employeur qui ne met pas à disposition de ses salariés les équipements de protection individuelle adaptés aux substances chimiques manipulées ou ne se charge pas de leur entretien ne respecte pas son obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne les maladies professionnelles. Nous sommes en présence d’une faute inexcusable au sens du droit du travail.
S’agissant du coronavirus covid-19, on note au titre des recommandations émises par le ministère de la Santé et reprises par le HCSP le port obligatoire d’un masque FFP2, de sorte que l’absence de mise à disposition de tels appareils respiratoires serait de nature à pouvoir justifier, en présence d’une mise en demeure infructueuse, un droit de retrait.
La question de l’exposition du patient à un risque immédiat resterait néanmoins posée, tandis que le médecin, en tout état de cause, aurait à se débattre avec l’article R4127-48 du Code de déontologie selon lequel « le médecin ne peut pas abandonner ses malades en cas de danger public, sauf sur ordre formel donné par une autorité qualifiée, conformément à la loi ».
La situation des médecins libéraux doit être examinée à l’aune de cette obligation…
Les médecins libéraux
Pour ces derniers, pas question de droit de retrait en tant que tel, si l’on considère que celui-ci n’est qu’une prérogative des salariés, définie par le Code du travail. La question est donc de savoir si, en présence de situations à risque générées par une carence des pouvoirs publics, et notamment par exemple par l’absence de livraison de masques FFP2, le médecin libéral pourrait refuser de soigner des patients porteurs du covid-19, ou susceptibles de l’être, au regard des critères fixés par les autorités sanitaires.
En d’autres termes, pourrait-on imaginer que le médecin généraliste fasse part de son refus systématique de soigner des personnes porteuses de symptômes grippaux et revenant de zones à risque ? La réponse n’est pas évidente en elle-même et il faut ici se garder de réponse hâtive.
En premier lieu, le refus de prodiguer des soins est toujours possible, il est prévu en ces termes :
« Quelles que soient les circonstances, la continuité des soins aux malades doit être assurée. Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. S’il se dégage de sa mission, il doit alors en avertir le patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins ».
Ainsi, le médecin libéral a le droit de refuser des soins pour des raisons tirées de considérations personnelles et professionnelles. On pourrait soutenir, sans réellement se tromper, que l’absence de masques de protection efficaces et le risque de contamination personnelle et de ses autres patients, pourrait justifier en théorie un refus de prise en charge de patients venus des zones à risque, et présentant des symptômes grippaux.
Mais en pratique, la situation est sans doute un peu plus délicate : d’abord, la question de l’urgence peut se poser. Un patient suspect de covid-19 n’est-il pas en situation nécessitant une prise en charge urgente, laquelle dépend de la décision du médecin libéral ?
Ensuite, il me semble que nous nous heurterions à deux autres obstacles, sans doute de valeur inégale d’ailleurs.
D’abord, l’obligation déontologique de ne pas se dérober en cas de danger public. Mais l’appréciation est sujette à caution… Une menace épidémique constitue-t-elle un danger public imposant au médecin, fidèle soldat, de se tenir à son poste ? La question est posée, la réponse n’est pas évidente, mais du fait de la mise en œuvre du plan ORSAN, on pourrait l’imaginer.
Ensuite, et en tout état de cause, le second obstacle est celui l’interdiction de la discrimination en raison notamment de l’état de santé du patient. Il paraitrait difficile de pouvoir décréter que seraient exclus de la consultation tous les patients présentant des symptômes grippaux…
Ainsi, la conclusion est qu’il parait difficile au médecin libéral d’échapper à son triste sort : beaucoup d’obligations, mais peu de droits.
Ces droits, pourtant, existent, et au nombre de ces derniers figure en bonne place celui de pouvoir engager tous les recours propres à lui permettre de se faire entendre, de pouvoir exiger du juge qu’il joue son office de protecteur !
L’auteur de ces lignes refuse catégoriquement que soit consacré un droit implicite de mise en danger des médecins de premier recours, il refuse obstinément, à chaque crise sanitaire, comme en temps plus apaisés, que l’on puisse se satisfaire du peu de considération dans laquelle est tenu le médecin généraliste !
Et le juge commence, à la faveur de la répétition, à en être conscient, et les ministres de la santé n’ignorent pas qu’assis sur un siège éjectable, ce sont les médecins et plus particulièrement les médecins généralistes qui ont le doigt sur le bouton, pouvant l’actionner à leur guise : l’histoire le leur montre…
Se satisfaire du danger encouru, du risque pris devant un virus dont on ne connait pas encore les contours exacts ne doit pas être accepté : ni à l’hôpital ni en ville !
Il ne faut guère céder à la panique, mais il ne faut pas, non plus, au nom d’un doux optimisme de principe, reléguer ce virus à une simple menace virtuelle, se faisant plus royaliste que le roi, et ainsi aller outre les recommandations de l’OMS et de toutes les organisations sanitaires.
Se protéger est un droit, mais c’est aussi une obligation pour ne pas propager le virus à des personnes en situation de grande fragilité. Si l’État a le droit de compter sur ses médecins, il a l’obligation de ne pas les exposer à un danger totalement injustifié.
Cette obligation est politiquement prégnante, mais juridiquement sanctionnable et à l’heure où j’achève ces lignes, un recours en référé est déposé contre l’État français pour le contraindre à livrer des masques FFP2 aux médecins généralistes.
Si le juge devait rejeter notre requête, c’est vers lui que l’État aura à se tourner si demain, les médecins généralistes sont mis dans l’impossibilité de continuer à soigner. C’est vers lui que le ministre de la Santé se tournera lorsque ces derniers auront pressé le bouton qui éjecte son siège. C’est encore vers lui que les pouvoirs publics se tourneront quand j’aurai engagé leur responsabilité…
Les médecins ne sont pas une sous-catégorie de citoyens et les juges en sont de plus en plus convaincus, les pouvoirs publics sans doute un peu moins, mais peut-être que les plus difficiles à convaincre restent les soignants eux-mêmes, et c’est sans nul doute la tâche la plus délicate....
Maître Fabrice Di Vizio, avocat spécialiste des médecins libéraux
SELARL DI VIZIO
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