Permanence des soins : vers un retour de l’obligation des gardes pour les médecins libéraux ?
Le gouvernement a fait adopter le 19 janvier par l’Assemblée nationale un amendement à la loi Rist qui risque de provoquer encore un peu plus l’ire des médecins libéraux, mais aussi celle des dentistes, sages-femmes et infirmiers libéraux.
L’amendement N° 382 institue le principe de responsabilité collective pour la participation tant dans les établissements qu’en médecine de ville à la permanence des soins (PDS) pour les médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes et les infirmiers.
Dans l’exposé, le législateur précise « Cela permettra de garantir un accès aux soins non programmés pendant les horaires de fermeture des services hospitaliers et des cabinets médicaux en répartissant cet effort entre toutes les structures et tous les médecins d’un territoire. Elle est assortie de contrôles et de réquisitions en cas de défaut de fonctionnement.
Par ailleurs, cet amendement permet d’élargir à de nouveaux professionnels la permanence des soins ambulatoires : les chirurgiens-dentistes, les sages-femmes et les infirmiers diplômés d’État. Ceci permettra de répondre à des demandes régulées par les SAMU-centres 15 et les services d’accès aux soins qui n’ont pas vocation à être prises en charge par un médecin, dans le strict respect des compétences de chacun. Par exemple, comme cela fut autorisé dans le cadre des mesures dérogatoires de l’été 2022 liées à la mission flash sur les urgences et les soins non programmés, un infirmier pourra évaluer en premier lieu le patient et la nécessité d’intervention d’un SMUR ou d’un autre mode de transport. De même, une sage-femme pourra venir en aide à une femme enceinte nécessitant une prise en charge en soin non programmé. » «
Le législateur précise que la rémunération sera fixée par voie réglementaire concernant les nouvelles professions de santé participant aux gardes de permanence des soins ambulatoires.
✅️ Heureux de l'adoption de mon amendement qui rétablit une obligation pour tous les #professionnels de #santé de participer à la permanence des #soins, par le biais d'une responsabilité collectivité.
— Frédéric Valletoux (@fredvalletoux) January 19, 2023
20 ans après la suppression des gardes, une avancée importante !#DirectAN pic.twitter.com/nIdd4YI2BC
Lors des débats, le ministre de la Santé, François Braun, a indiqué que les médecins doivent s’organiser entre eux pour assurer cette permanence et contribuer équitablement entre les établissements de santé publics et privés et les professionnels libéraux. Il a également souligné que la PDS repose trop souvent sur les hôpitaux publics, ce qui entraîne une “déshérence et une fuite des professionnels de santé.”
Levée de boucliers des médecins libéraux
Cet amendement a déclenché des réactions très vives des syndicats, mais aussi des praticiens notamment sur les réseaux sociaux.
“Révolté par le retour à l’obligation des gardes pour les médecins libéraux, le SML”, le SML a été le premier à réagir officiellement en lançant un appel à la grève des gardes.
“‘Devant le retour de l’obligation de garde votée par une poignée de députés manipulés par monsieur le député Valletoux, ancien président de la FHF (qui a si bien accompagné le naufrage des hôpitaux publics), le SML appelle les médecins libéraux à la grève des gardes dès ce vendredi et pour une durée illimitée.
Il est particulièrement grave de contraindre des médecins libéraux dont une très grande partie a plus de 60 ans à prendre des gardes.
Le SML rappelle aux députés qui ont voté cette ineptie délétère que les médecins libéraux ne disposent d’aucun repos post garde.
Cette mesure est par ailleurs inutile au regard des 97 % de secteurs de gardes actuellement remplis.
Le SML demande cependant aux médecins de ne pas s’opposer aux réquisitions’
Jean Paul Hamon sur twitter :
‘Une avancée importante vers la désertification 😡un médecin libéral n’a pas de récupération ! Travailler 17 h consécutive = vigilance = 0gr50 d’alcoolémie. 36 h pas d’étude, mais gros risque pour le patient ! Quelle connerie et ça ne m’étonne pas de vous 😡😡’
‘Bravo
Un vrai choc d’attractivité !
À n’en pas douter, grâce à cela, tout est résolu en termes d’accès aux soins non programmés
Je me demande pourquoi on n’y avait pas pensé avant.
Je pense qu’il faut faire ! Tous ces libéraux sont des irresponsables et des fainéants.
#Ironie’ Dr Jérôme BARRIERE
‘Vraiment en dessous de tout. Les médecins de ville bossent 55 heures par semaine et assurent les gardes sans repos compensateurs ! Et ce sur l’immense majorité du territoire.
Vous voulez obliger qui ? Des médecins usés ? Et sans repos compensateur ?
Vous venez d’allumer le 🔥 » Dr Marty UFMLS
« Vous mettez en danger les nombreux médecins de plus de 60 ans qui travaillent 50 heures par semaine. Les nombreux retraités actifs vont s’arrêter définitivement. Les jeunes médecins ne vont pas s’installer. C’est exactement ce qu’il ne fallait pas faire ! » Dr Patrick VOGT
Une mesure clivante et inutile ?
Le retour des gardes obligatoire pour les médecins libéraux est une position défendue par certaines personnalités du secteur hospitalier, mais aussi par le candidat Zemmour lors de la dernière élection présidentielle. Ses promoteurs y voient en général une réponse à la crise de l’engorgement des urgences.
Selon une étude de l’IFOP commandée en mars 2022 par la Fédération hospitalière de France (FHF), près de 8 personnes sur 10 appuient le rétablissement de l’obligation de garde pour les médecins libéraux, ce qui en fait une mesure a priori populaire. Mais est-elle pour autant nécessaire et serait-elle efficace ?
Des volontaires moins nombreux, mais des gardes assurées à 95 % en 2021
Pour rappel, la fin de l’obligation des gardes pour les médecins libéraux remonte à l’année 2002 et a été arrachée au ministre Mattei après plusieurs semaines de contestation et de grève. Depuis lors, pour assurer la permanence des soins, les autorités de tutelles font appel au volontariat.
Selon une enquête du Conseil national de l’ordre des médecins publiée en 2021, seuls 39,3 % des généralistes ont effectué une garde en 2020. Malgré une légère augmentation liée à la crise sanitaire, le taux de volontariat est désormais inférieur à 60 % dans les deux tiers des départements. Il n’y a plus de médecins de garde après minuit dans 29 départements, et même en soirée de semaine, la permanence des soins n’est pas toujours assurée dans certains départements. Ces situations peuvent s’expliquer par un manque de volontaires, mais aussi des défauts d’organisation.
Pour autant, les gardes en soirée (jusqu’à minuit) et le week-end ont en effet été assurées à plus de 95 % selon le même rapport. En ce qui concerne la permanence des soins entre minuit et 8 heures du matin, le Dr Jacques Battistoni expliquait pour lemonde.fr que la grande majorité des cas relève d’un service d’urgence.
‘Aujourd’hui, il y a un problème de démographie médicale et reporter la responsabilité sur les libéraux en recherchant des boucs émissaires, ce n’est pas la solution’ »
À Paris, 5 % de médecins volontaires suffisent à remplir les tableaux de garde et dans la plupart des grandes agglomérations, SOS Médecins ‘tient la baraque’ de la permanence des soins en ambulatoire.
La situation est donc très disparate selon les régions. Elle est plus difficile dans les zones rurales ou périurbaines que dans les zones urbaines. La généralisation de l’obligation des gardes ne correspond à aucune nécessité dans la majorité des territoires sanitaires et n’aura donc probablement aucun effet sur l’engorgement des services hospitaliers.
Une mesure contreproductive
Si la reprise des gardes obligatoire a peu de chances de s’avérer efficace au regard de l’encombrement des services d’urgence hospitalière, elle constituerait à n’en pas douter un signal supplémentaire de perte d’attractivité pour la profession de médecin généraliste libéral tant pour les jeunes qui auront encore un peu plus de doutes sur l’opportunité de s’installer que les plus âgés qui y verront pour beaucoup la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
« Plus que jamais, la CN URPS des Médecins libéraux demande au Gouvernement, et à Mme la Première Ministre de lancer un travail pour fixer et permettre la reconnaissance de ce qu’est la médecine libérale au quotidien, de ce qu’elle a apporté à la crise, du service rendu par les médecins libéraux dans les situations d’urgence comme de suivi des patients. Il est urgent de ne plus mépriser celles et ceux qui, au quotidien, accompagnent d’ores et déjà dans les faits l’hôpital — dont nous ne nions pas les difficultés — à tenir debout. Mais les médecins libéraux ne peuvent être tenus comptables, responsables et réduits demain à de simples supplétifs, pour sauver un hôpital public à bout de souffle. Ils ne peuvent être soumis à des stages obligatoires, à des gardes obligatoires. Sans quoi c’est demain l’ensemble de notre système de santé qui menacera de s’effondrer, faute de vocations et d’installations. » Conférence nationale des URPS Mai 2022
Ce que semble ignorer Valletoux ou au moins faire semblant de l'ignorer c'est que les besoins sont estimés dans chaque département au niveau d 'une commission préfectorale dont j'ai été membre à une époque. On estime les besoins, les manques, et on définit des plannings 1/ https://t.co/XySqWadUHQ
— Le Flohic (@DrGomi) January 22, 2023
Crédit photo : DepositPhotos
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Marc Eccher| 02/02/2024-