Rapport du groupe de travail : Médecine et aptitude au travail
Les lois de 2012 et de 2011 ont conforté le choix opéré depuis la loi fondatrice de 1946 de confier un rôle majeur au médecin du travail au sein du système de protection de la santé et de la sécurité des salariés. Toutefois, si les évolutions récentes ont incité les médecins du travail à accroître significativement leurs actions en matière de prévention des risques professionnels et de maintien dans l’emploi des salariés, l’obligation de vérifier systématiquement l’aptitude des salariés à chaque visite médicale pèse sur l’activité des services de santé au travail et limite les effets des réformes engagées.
Le service de santé au travail est supposé jouer un rôle prépondérant dans la surveillance périodique de l’état de santé des salariés. Or ce suivi est aujourd’hui réalisé en réponse à des obligations réglementaires plutôt qu’à des besoins de santé. Le décalage est massif entre d’une part le nombre de visites d’embauche et de visites périodiques à réaliser et d’autre part le nombre de visites effectuées.
La détermination de la périodicité des visites médicales repose en outre plus souvent sur des consensus construits entre les partenaires sociaux et l’Etat que sur des justifications de nature médicale. A titre d’illustration, l’obligation de visite tous les six mois pour les travailleurs de nuit est citée régulièrement comme non pertinente en termes de prévention de l’altération de l’état de santé.
Par ailleurs, les modifications de périodicité des visites accordées dans le cadre des agréments par les DIRECCTE, possibles depuis la réforme de 2011, apparaissent très différentes selon les régions avec, pour les salariés qui ne bénéficient pas d’une surveillance médicale renforcée, des dérogations allant jusqu’à 72 mois. Ces dérogations n’apparaissent pas fondées principalement sur les besoins de santé, contrairement à ce qu’avait prévu la loi de 2011, mais plutôt sur les contraintes de la ressource médicale. Le contexte de vieillissement de la population, d’intensification du travail, de recours massif aux formes d’emploi précaires, d’apparition de nouveaux risques professionnels, aux effets souvent différés, et d’explosion des pathologies liées aux organisations de travail (TMS/RPS) impose un changement de paradigme fondé sur une adaptation de la surveillance de l’état de santé au travail des salariés prenant en compte la globalité de leurs besoins de santé et des recommandations de bonne pratique .
Il est également indispensable d’interroger la pertinence des notions d’aptitude et d’inaptitude médicale au poste de travail afin de permettre aux médecins du travail de se consacrer davantage à la prévention des risques professionnels, par des actions individuelles et collectives dans l’entreprise. L’adaptation des postes de travail et le reclassement des salariés constituent également une priorité.
La mission propose le remplacement de la visite d’embauche par une visite obligatoire d’information et de prévention réalisée par l’infirmier en santé au travail sous la responsabilité du médecin du travail. A l’issue de cette visite, l’infirmier pourra décider de l’orientation du salarié vers le médecin du travail, s’il le juge nécessaire. La périodicité des visites infirmières ou médicales ultérieures sera déterminée dans le cadre de cette visite, sur la base de protocoles et après un éventuel échange avec le médecin du travail. Cette visite devra avoir lieu au plus tard dans les trois mois suivant l’embauche pour les salariés occupant un poste à risque, six mois pour les autres.
Les modalités de surveillance des salariés occupant un poste à risque devront être déterminées en fonction de recommandations validées par la Haute Autorité de Santé.
La mission recommande le maintien d’une visite médicale tous les 5 ans au minimum pour tous les salariés et celui de visites à périodicité plus rapprochée pour les salariés occupant un poste à risque. Dans ce contexte, la possibilité de visite à la demande par le salarié doit lui être rappelée de façon régulière.
La mission souligne l’importance de la traçabilité individuelle des expositions et recommande une consolidation au niveau national de ces données, dans le respect du secret médical, afin de favoriser la connaissance épidémiologique dans ces domaines de d’améliorer ainsi la prévention individuelle et collective au travail.
La vérification systématique de l’aptitude, dont ni la pertinence médicale, sauf pour les postes de sécurité, ni la pertinence juridique ne sont établies, selon la mission, à l’occasion de l’ensemble des visites obligatoires, occupe la plus grande partie du temps médical, au détriment d’une surveillance de l’état de santé adaptée aux besoins des salariés et des actions du médecin du travail en milieu de travail. La notion d’aptitude est une notion floue qui soulève des difficultés pratiques. Elle ne figure pas dans la directive cadre sur la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs de 1989. Elle n’est pas définie par le code du travail, ce qui suscite des confusions du fait de la difficulté de cerner le poste de travail et/ou l’emploi et de la proximité avec les notions voisines d’aptitude professionnelle ou d’invalidité. Surtout, la mission a constaté qu’elle soulève des interrogations de nature éthique et déontologique. Dès lors, la mission a pu constater des pratiques hétérogènes des médecins du travail quant au fondement même de leurs avis d’aptitude, entre logique de prévention pure pour les uns, et logique plus sécuritaire pour les autres.
De nombreux interlocuteurs de la mission ont fait valoir que les conséquences des avis d’aptitude ou d’inaptitude des médecins du travail sont parfois difficiles à comprendre et/ou à mettre en œuvre par les entreprises, notamment dans l’hypothèse d’aptitude avec d’importantes réserves, ce qui alimente des contentieux et contestations, tant devant le juge judiciaire que devant l’administration du travail.
Par ailleurs, la pertinence médicale de la notion d’aptitude n’est pas établie. Elle est peu efficiente lors de la visite d’embauche du fait notamment de l’impossibilité pour le médecin du travail d’avoir une connaissance approfondie de l’état de santé réel du salarié et de la connaissance parfois insuffisante du poste de travail par le médecin. Elle n’a pas de caractère prédictif, et, pour beaucoup, elle n’est pas utile à la prévention. Enfin, elle ne constitue pas une protection juridique pour l’employeur, ni en matière de reconnaissance de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle, ni en matière de respect de son obligation de sécurité et de résultat.
S’agissant de l’inaptitude, elle ne joue que marginalement un rôle de protection de l’emploi du salarié puisque 95% des salariés déclarés inaptes sont licenciés, une petite minorité d’entre eux seulement parvenant à retrouver un travail. La constatation de l’inaptitude intervient désormais, soit en conclusion d’un processus continu d’adaptation du poste de travail, soit comme une mesure thérapeutique visant à soustraire le salarié de son milieu de travail afin de protéger sa santé.
En conséquence, la mission propose de strictement limiter le contrôle de l’aptitude aux salariés qui occupent un poste de sécurité. Ce contrôle interviendrait avant l’embauche. Il serait renouvelé ensuite à périodicité régulière et serait opéré par un médecin distinct du médecin du travail qui assure le suivi habituel de l’état de santé au travail du salarié. La mission propose de ces postes la définition suivante : « Les postes de sécurité sont ceux qui comportent une activité susceptible de mettre, du fait de l’opérateur, gravement et de façon imminente en danger la santé d’autres travailleurs ou de tiers ». Entrent par exemple dans le cadre de cette définition, les pilotes d’avion, les conducteurs de train, les grutiers.
En complément des textes réglementaires qui peuvent les recenser dans certains secteurs d’activité économique, la mission propose un mode d’identification de ces postes par l’employeur après avis du médecin du travail et du CHSCT ou des DP. Elle suggère une énumération de ces postes dans le règlement intérieur, document soumis au contrôle de l’inspecteur du travail, et une évaluation de la mise en œuvre de ces dispositions au niveau national.
La mission suggère de prévoir une surveillance renforcée de leur état de santé pour les salariés qui occupent un poste à risque. Ces postes devraient être définis par le médecin du travail sur proposition de l’employeur. Le médecin inspecteur régional du travail pourrait être saisi en cas de litige. La périodicité des visites et le contenu précis de cette surveillance devrait être défini par des recommandations proposées notamment par la Société française de médecine du travail validées par la Haute Autorité de Santé. Dans l’attente de ces recommandations la mission propose un entretien infirmier tous les deux ans et une visite avec le médecin du travail tous les cinq ans. Cette périodicité de visite médicale est celle retenue pour tous les salariés n’occupant pas un poste de sécurité, étant rappelé que l’organisation d’une visite à la demande de l’employeur ou du salarié est toujours possible et qu’il appartient au médecin du travail d’ajuster les modalités du suivi de santé des salariés en fonction des risques auxquels ils sont exposés et de leur état de santé.
Pour tous les salariés qui n’occupent pas des postes de sécurité, la mission propose d’abandonner la vérification systématique de l’aptitude qui concluait jusqu’à présent les visites médicales. Une attestation de suivi de santé sera délivrée à l’employeur et au salarié par le médecin du travail ou l’infirmier en santé au travail, et, si nécessaire, le médecin du travail précisera ses préconisations d’aménagement du poste de travail ou de reclassement.
La mission suggère de mieux organiser l’action du médecin du travail en faveur de l’adaptation du poste de travail et du reclassement par le biais de préconisations qu’il adresse à l’employeur tout au long de la vie professionnelle du salarié dans l’entreprise. A cet effet, il est suggéré de réécrire l’article L4624-1 du code du travail en clarifiant le rôle de l’employeur et celui du médecin du travail, en permettant au médecin du travail de formuler des propositions concernant l’adaptation du poste de travail aux capacités restantes du salarié. Cela permettra à l’employeur d’ajuster le poste de travail ou de proposer un reclassement. Pour sécuriser la rédaction de ces propositions quand elles entraînent une réduction significative des tâches exercées, la mission suggère une relecture collégiale interne aux services de santé au travail de ces propositions dans le respect du secret médical, que le service de santé au travail propose son aide à l’employeur, et que le dialogue entre l’employeur et le médecin du travail soit organisé.
La mission fait des propositions visant à donner une plus grande efficacité à la visite de pré-reprise pour favoriser le maintien dans l’emploi du salarié. Elle propose d’aménager le régime juridique de la rupture du contrat de travail consécutive à la constatation de l’inaptitude d’une part, en généralisant le principe de la constatation en une seule visite, sauf décision contraire du médecin du travail, d’autre part en introduisant des conditions de fond à la constatation de l’inaptitude.
La mission suggère de décharger l’inspecteur du travail des recours contre les préconisations ou les avis d’inaptitude du médecin du travail, pour l’instruction desquels il ne dispose pas des compétences médicales indispensables. Elle envisage deux hypothèses. L’une serait de confier ce recours à une commission médicale régionale à instituer, l’autre d’instaurer d’abord une contestation devant une structure collégiale interne au service de santé au travail, puis, pour les cas résiduels, un recours à expert médical judiciaire.
Enfin, afin de permettre de trouver une solution à certaines situations de blocage actuelles, la mission propose, d’une part, que le médecin du travail puisse signaler dans son avis d’inaptitude qu’un reclassement serait préjudiciable à la santé du salarié, ce qui dispenserait l’employeur d’une recherche de reclassement, d’autre part, que le refus par le salarié d’une proposition d’adaptation du poste de travail ou de reclassement conforme aux préconisations du médecin du travail, dès lors qu’elle n’entraine pas de modification du contrat de travail, constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement. Si le salarié est licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement à la suite d’un tel refus, l’employeur serait réputé avoir satisfait à son obligation de recherche de reclassement.
La mission fait le constat d’une multitude d’acteurs et de dispositifs qui concourent au maintien en emploi du salarié et /ou à la prévention de la désinsertion professionnelle. Elle suggère des pistes pour clarifier, simplifier et surtout coordonner et piloter cet ensemble complexe, dont l’efficacité est globalement encore insuffisante.
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