Santé Mentale : L’usager au centre d’un dispositif à rénover
Le choix des troubles de la Santé Mentale comme sujet de la Journée Mondiale de la Santé devrait amener à une meilleure prise de conscience de cette pathologie par trop considérée comme spécifique et qui justifie aujourd’hui rénovation.
Monsieur Bernard Kouchner souhaite que soient repensées et reposées les bases de la politique de Santé Mentale française dans un contexte de concertation associant usagers, professionnels et institutionnels.
En effet, il apparaît que les équipes soignantes psychiatriques sont de plus en plus sollicitées, alors même que la densité française en psychiatres est particulièrement élevée et que se mettent en place des projets innovants passant par les SROS ou les PRAPS. Il apparaît également que la sectorisation est loin d’avoir atteint tous ses objectifs (prédominance persistante du soin médical direct, faible prévention, mauvais partage des données médicales, sociales et sanitaires), la répartition de l’offre de soin demeure inégale, déséquilibrée, peu adaptée aux besoins, la recherche clinique très limitée et enfin, l’image de maladie mentale reste dévalorisée et dévalorisante.
Pour notre Ministre, la réflexion doit s’orienter autour de trois axes :
- Le renforcement de la place des usagers passera par leur participation dans les décisions prises les concernant, mais également par leur participation aux instances de concertation locale ou nationale. La sensibilisation de l’ensemble de la population et la fédération des usagers paraît tout à fait envisageable, selon les modèles québécois, anglais, ou suédois. A ce titre, le conseil de l’Europe, la jurisprudence, les évolutions et les dysfonctionnements obligent à une révision de la loi actuelle de 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées.
La forte progression des hospitalisations sans consentement, la restriction du traitement psychiatrique au milieu hospitalier devraient significativement être revues à la baisse par la mise en place systématique d’une période d’observation de 72 heures en milieu spécialisé chez tout sujet « à risque ».
- La sectorisation de la prise en charge est indispensable, elle devra être associée à une prise en charge globale médico-sociale de l’individu, et ce, dès le début de son hospitalisation de manière à garantir à sa sortie une bonne stabilité. La prévention est un autre problème clé, elle seule permettra d’éviter la constitution ou l’évolution de certains troubles, grâce à un diagnostic et une prise en charge précoce, de préférence à domicile. Le rapprochement patient thérapeute est indispensable, il passera par le développement des alternatives à l’hospitalisation, le renforcement des visites et de l’hospitalisation à domicile et le rôle accru de l’accueil familial thérapeutique. Il est définitivement acquis que les hospitalisations en secteur psychiatrique à distance du lieu de vie doivent être bannies.
- Le travail en réseau doit devenir la référence en matière de pratique professionnelle, avec des stratégies thérapeutiques codifiées, une meilleure formation des futurs médecins à la pratique de la psychiatrie et surtout la mise en place d’équipes pluridisciplinaires qualifiées.
Malgré une bonne stabilité épidémiologique des pathologies, le nombre de consultations en psychiatrie est en constante augmentation depuis 30 ans, puisqu’à ce jour un quart des patients qui consultent en médecine générale présentent des troubles mentaux.
Les droits des personnes atteintes de troubles mentaux sont actuellement régis par la Loi du 27 juin 1990, introduisant la notion d’absence de consentement à l’hospitalisation du patient atteint de troubles psychiatriques que ce soit en HDT (hospitalisation à la demande d’un tiers) ou en HO (hospitalisation d’office). On note entre 1988 et 1998 une augmentation de 57 % des hospitalisations sans consentement, mais également des hospitalisations en psychiatrie ; les limites de la loi sont d’autant plus « graves » que le traitement psychiatrique est réduit au seul milieu hospitalier, que l’HO repose sur un objectif sécuritaire d’ordre public et que les sorties d’essai maintiennent une obligation de soins.
Le projet de modernisation du système de Santé prévoit : l’obtention du consentement du patient à tout traitement, sa possibilité de le refuser, son accès à son propre dossier médical, l’obligation de preuve d’information devant être produite par le médecin traitant. La loi de 1990 serait modifiée de par la limitation des HO aux atteintes graves troublant l’ordre public et relevant de soins urgents, de par la légalisation des sorties accompagnées de moins de 12 heures, de par le renforcement de la Commission départementale des hospitalisations et un encadrement des ordonnances de placement des mineurs.
Poser le principe d’une observation de 72 heures avant toute prise en charge obligatoire, offrir la possibilité de soins extra hospitaliers et améliorer le rôle de associations, ce sont autant de perspectives de révision qui devraient limiter les procédures sans consentement.
Les actions ciblées de la politique de santé mentale visent :
- Les jeunes mineurs en grande difficulté pour lesquels le comité de pilotage vise au renforcement d’un dispositif de prévention, la mise en place de partenariats multiples et le développement de secteurs d’hospitalisation en psychiatrie infanto juvénile.
- Les personnes en situation de précarité chez lesquelles il est difficile d’évaluer la souffrance psychique et de mettre en place un soutien compte tenu de leur isolement total. Déjà huit régions ont choisi de faire des personnes démunies leur thème prioritaire en matière de consultations psychiatriques, en assouplissant les délais des rendez vous et en favorisant les interventions dans les lieux d’accueil. Cette organisation requiert la participation de bénévoles, d’intervenants sociaux et médicaux de préférence dans un contexte de repérage des sujets à risques.
- Les délinquants font également partie d’une population à risques et justifient l’intervention d’un psychiatre coordonnateur, les projets reposent sur la préparation d’une conférence de consensus sur la prise en charge des auteurs d’infractions sexuelles et la mise en place d’un groupe de travail pour leur prise en charge extra clinique.
- Les détenus représentent une population hautement représentative de troubles mentaux au sein desquels prédominent les suicides, 10 % des entrants ont un suivi psychiatrique avoué, 6/10 sont sous psychotropes, 4 % sous antidépresseurs et 30 % ont des doubles dépendances. Les objectifs visent une meilleure connaissance épidémiologique des troubles mentaux de la population carcérale et le développement d’une collaboration entre les services sanitaires et pénitentiaires.
- La problématique du suicide reste une des grandes préoccupations de Mr Kouchner, les chiffres annoncés alarmants de 12 000 décès par an accompagnent les 16 000 tentatives, avec une incidence trois fois plus élevée des décès chez les hommes que chez les femmes, d’autant plus volontiers qu’ils vieillissent. Les actions seront basées sur la prévention, l’entrave à l’accès aux moyens létaux, une bonne prise en charge des suicidants et une bonne connaissance épidémiologique de la situation. Cette stratégie repose sur la formation de formateurs régionaux, basée sur des outils d’éducation validés, dont des groupes de travail. La prise en charge des suicidants ou de leur famille pourra être améliorée par des audits cliniques (ANAES), les associations d’accueil et de téléphonie sociale, des outils d’information grand public et professionnels, sous la référence d’ institutions régionales et de la Direction des Hôpitaux.
Au total, il convient d’insister sur le caractère incontournable de la mission de secteur et l’intérêt considérable de la prévention, basées, l’une comme l’autre sur les missions d’intervention dans la communauté et les actions de réadaptation et de réinsertion sociale.
Des problèmes majeurs persistent : les soins de psychiatrie ne sont pas intégrés en tant que soins dans la communauté; les missions de prévention, de réadaptation communes intégrant le versant social sont trop peu développées; l’offre de soin est trop inégalement répartie sur le territoire français et la représentation de cette maladie garde encore un caractère péjoratif.
La réforme de demain développera la prévention, améliorera la réponse aux besoins, favorisera le maintien du malade dans son environnement, répartira équitablement les offres de soins sur le territoire, autorisant les hospitalisations de proximité.
Docteur Françoise Girard
Au Ministère de la Santé - Paris
Jeudi 5 avril 2001
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