L'annonce d'un duo Vautrin / Pannier-Runacher à la Santé provoque des tensions palpables
La récente nomination de Catherine Vautrin à la tête du vaste ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités, avec Agnès Pannier-Runacher en tant que potentielle adjointe pour les questions de santé, provoque des tensions palpables. Cette configuration ministérielle, perçue comme s'inscrivant dans une ligne politique à la fois conservatrice et libérale, inquiète de nombreux acteurs du système de santé. Ils craignent en effet que les orientations économiques et financières prônées par Bercy prennent le pas sur les décisions en matière de santé publique. Ce qui augure d'une opposition plus frontale que jamais entre la gestion comptable et la qualité des soins.
Les hospitaliers inquiets
« On aurait préféré que la Santé soit avec la Prévention et l’Écologie, dans une logique *One health* », regrette le Dr Jean-François Cibien, d’APH dans le Quotidien du Médecin.
« On a l'impression que les soignants sont mis de côté. C'est un peu une claque pour le monde de la santé », Dr Mathias Wargon, Le Point.
Les jeunes et futurs médecins, représentés par l'Isni et l'Isnar-IMG, expriment leurs préoccupations, notamment concernant le respect des engagements pris par le gouvernement précédent et les retards dans la réforme de l'internat.
L'ascendant de Bercy sur la Santé
Selon les analyses d'André Grimaldi, éminent professeur à l'hôpital de la Pitié-Salpétrière, la récente orientation du ministère de la Santé révèle une emprise croissante de la logique financière et gestionnaire, incarnée par Bercy, sur les décisions de santé publique. Pour lui, la prééminence de Bercy dans les affaires de santé, autrefois voilée, est désormais flagrante.
« On sait depuis longtemps que le vrai ministre de la Santé est à Bercy. Avant, il y avait une hypocrisie. Maintenant, c'est plus clair », André Grimaldi dans le Point.
L'arrivée de Catherine Vautrin et d'Agnès Pannier-Runacher, respectivement marquées par des tendances conservatrices et libérales, marque un tournant vers une gestion de la santé publique fortement influencée par des considérations économiques. Le Pr Grimaldi y voit une résurgence du modèle de l'hôpital-entreprise, où l'équilibre financier prime, illustrant une certaine préférence pour le secteur privé.
Cette orientation politique soulève des questions quant à la cohérence de la stratégie sanitaire d'Emmanuel Macron. Le président semble osciller entre différentes tendances, passant d'une figure comme Aurélien Rousseau, perçue comme plus à gauche, à un duo nettement ancré à droite. Cette hétérogénéité dans les choix politiques pourrait refléter une certaine ambiguïté ou un manque de vision claire pour l'avenir de la santé en France, où la dimension économique semble prendre le pas sur les autres considérations.
Les syndicats de médecins libéraux : de la colère à la vigilance
La colère froide du Dr Marty.
« J’ai une colère froide, explique-t-il ce vendredi. On a un gouvernement de forme et pas de fond. Encore une fois, on a fait un jeu de rôles. On a mis un certain nombre de ministres fantoches et nous, on en paye le prix fort. Et les patients risquent aussi d’en payer le prix fort. J’espère que Mme Catherine Vautrin (ministre du Travail et de la Santé, ndlr) et Mme Agnès Pannier-Runacher (pressentie comme ministre déléguée à la Santé) vont arriver à redresser notre système sanitaire. Mais j’ai de forts doutes. La santé joue en division 2 aujourd’hui. On n’a plus de ministre, on a été déclassé. La santé, c’est la première préoccupation des Français avec le pouvoir d’achat. On nous a mis en deuxième position avec un secrétariat d’Etat ».
« On a deux ministres qui n’ont jamais, au cours de leurs carrières politiques, eu véritablement un intérêt pour la santé, ajoute le médecin généraliste. Mme Vautrin n’a même pas siégé en commission des Affaires sociales. Le dossier n’est même pas connu. On est en attente d’avoir des gens extrêmement experts, connaissant le dossier sur le bout des do igts. C’est l’un des plus complexes, le premier budget de la Nation, et le système va mal. Et on nous met deux personnes qui ne connaissent pas le dossier. J’espère qu’elles vont réussir... » Dr Jérôme Marty.
La Confédération des Syndicats Médicaux Français (CSMF) accueille positivement la nomination de Catherine Vautrin comme Ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, tout en adoptant une posture de vigilance. La CSMF souligne l'importance de la santé dans ce vaste ministère, en réponse aux attentes des Français. La nomination de Vautrin, la septième Ministre de la Santé depuis 2017, survient en plein milieu de négociations clés avec les médecins, mettant en lumière un besoin criant de stabilité et d'efficacité. La CSMF a déjà exprimé ses attentes à la nouvelle ministre, insistant sur l'urgence d'améliorer l'attractivité du secteur pour assurer un accès de qualité aux soins. Elle rappelle le rôle central de la médecine de ville et se dit prête à collaborer pour relever ces défis.
« On va voir ce que cela donne, le coup du grand ministère. Peut-être que, comme Catherine Vautrin ne connaît pas bien le monde de la santé, elle devra davantage faire d'efforts pour nous écouter. Il y a urgence, tant les problèmes sont nombreux », Jean-Christophe Nogrette, porte-parole de MG France, dans le Point.
Reagjir, représentant les jeunes généralistes remplaçants, appelle à un plan global et ambitieux pour la médecine de ville et le système de santé dans son ensemble, illustrant une attente généralisée de mesures concrètes et rapides de la part du nouveau ministère.
Des positions conservatrices qui crispent
La nomination de Catherine Vautrin, connue pour ses positions politiques conservatrices, suscite des réactions contrastées, notamment en raison de son passé en tant qu'opposante au mariage pour tous. Son implication dans la Manif pour tous et son vote contre la loi autorisant le mariage homosexuel en 2013 sont particulièrement scrutés. Bien qu'elle ait révisé son opinion en 2023, affirmant que le mariage pour tous est une « très bonne chose », cette évolution ne convainc pas l'ensemble des acteurs concernés et laisse présager des débats houleux au sein du gouvernement.
Le Dr Patrick Pelloux, président du syndicat de l'Association des médecins urgentistes de France, se montre particulièrement critique. Il pointe du doigt l'incohérence perçue entre les positions antérieures de Vautrin et les réalités politiques actuelles, notamment le fait qu'elle doive collaborer avec un Premier ministre ouvertement gay et qu'elle soit amenée à soutenir des projets de loi progressistes, comme l'inscription du droit à l'avortement dans la Constitution ou la législation sur la fin de vie.
« Elle est anti-mariage pour tous et va devoir travailler avec un Premier ministre gay. Elle est très conservatrice et va devoir soutenir le projet de loi pour inscrire le droit à l'avortement dans la Constitution. Et quel sera son avis sur la loi fin de vie ? Ce choix est une dinguerie », P. Pelloux dans le Point.
Les inquiétudes sont également partagées par les associations de défense des droits des personnes LGBT. Joël Deumier, coprésident de SOS Homophobie, exprime une vive préoccupation, arguant que les positions passées de Vautrin ont contribué à alimenter l'homophobie. Ce climat de défiance suggère des défis majeurs pour la nouvelle ministre, tant au niveau de la gestion des dossiers sensibles que de la reconstruction d'une relation de confiance avec certaines communautés et groupes de soignants.
"Sortir de l'entre-soi", la dernière provocation du député Valletoux
Frédéric Valletoux, s'exprimant sur Franceinfo, suggère que des décideurs politiques, n'appartenant pas forcément au monde de la santé, pourraient être mieux placés pour réformer ce secteur. Pour lui, l'ouverture de la gestion à des perspectives extérieures pourrait briser l'immobilisme et le conformisme actuels, dominés par un « entre-soi » des professionnels de santé.
"On a peut-être besoin d'une prise en main politique et de sortir un peu de l'entre-soi des professionnels de santé ... Je suis très favorable à ce qu’il y ait une prise en main politique, c'est-à-dire des élus qui ne sont pas forcément issus du monde de la santé. Il n'y a pas besoin d'être forcément issu du monde de la santé pour pouvoir traiter les sujets de santé Si on veut vraiment que ce système se réforme, il faut des décisions volontaristes, courageuses, qui bousculeront des habitudes où l'entre-soi des professionnels faisait que souvent on se contentait de ronronner et de laisser perdurer des situations" F Valletoux sur Franceinfos
Après tout, pourquoi s'appuyer sur l'expertise des professionnels de santé quand on peut avoir l'avis éclairé de ceux qui n'ont jamais mis les pieds dans un hôpital, sauf peut-être pour inaugurer un service ? Laissons de côté cette petite question de la connaissance approfondie des enjeux médicaux, apparemment secondaire. Et puis, la politisation de la santé, quel meilleur moyen pour assurer une prise de décision objective et basée sur des preuves scientifiques, n'est-ce pas ? Enfin, si on voulait vraiment simplifier les choses, on n'aurait qu'à confier la réforme de tout le système à quelqu'un qui sait à peine distinguer un stéthoscope d'un thermomètre. Après tout, à quoi bon la subtilité dans un domaine aussi simple et peu complexe que la santé ?
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