Présomption de culpabilité des professionnels de santé en cas de fraude détectée ?
Selon les syndicats de kinésithérapeutes, d’infirmiers libéraux et de médecins, le plan de lutte contre la fraude sociale, qui sera bientôt présenté par le ministre des Comptes publics, pourrait contenir une mesure autorisant la suspension automatique de la prise en charge des cotisations sociales d’un professionnel libéral par la CPAM dès qu’une fraude est identifiée, et ce sans attendre les résultats de la procédure judiciaire.
Une part importante des revenus des libéraux de santé
Afin d’encourager les médecins à rejoindre le secteur conventionnel, un système de prise en charge partielle de certaines cotisations sociales par l’assurance maladie a été instauré en 1960. Initialement réservé aux médecins, ce dispositif a par la suite été étendu à d’autres professionnels de santé, atteignant désormais près de 2 milliards d’euros de charges.
Cette prise en charge constitue une part importante du revenu des médecins et des auxiliaires médicaux. Pour les médecins généralistes de secteur 1, elle représente plus de 18 % du revenu conventionnel en 2007 et près de 14 % pour les spécialistes de secteur 1. En ce qui concerne les auxiliaires médicaux, l’avantage procuré par la prise en charge varie selon la profession. Les masseurs-kinésithérapeutes bénéficient d’une prise en charge représentant 8,2 % de leur revenu conventionnel, tandis que les pédicures profitent d’un avantage de 10,3 %. Pour les sages-femmes, la prise en charge équivaut à 9,4 % du revenu conventionnel. Pour les dentistes, la prise en charge correspond à 7,1 % de leurs revenus 2007.
Une remise en cause de plusieurs principes fondamentaux
Selon un email de la Direction de la Sécurité Sociale (DSS) reçu par différents syndicats de soignants libéraux, cette prise en charge pourrait être automatiquement suspendue en cas de détection de fraude « avérée ». Ce qui en ferait une suspension similaire à la suspension automatique en cas de travail illégal en entreprise. Actuellement, la suspension n'intervient qu'à l'issue de la procédure conventionnelle pour fraude, laissant les fraudeurs continuer à bénéficier des avantages de la convention pendant toute la durée de la procédure. Selon la DSS, la mise en œuvre de cette proposition nécessiterait une modification législative ou réglementaire pour préciser les conditions et la durée de la sanction en fonction de la gravité des manquements. Elle précise par ailleurs que cette suspension ne s'appliquerait qu'aux cas de fraude et non à tous les cas de réclamation d'indus.
Selon le SNIIL, la mise en place de cette mesure se traduirait par la remise en cause de plusieurs principes fondamentaux.
Tout d’abord, le respect de la définition de la fraude, qui doit se baser sur son caractère intentionnel, est remis en question en intégrant l’erreur répétée d’une NGAP complexe. « une erreur répétée dans une NGAP peut être due à un manque de formation ou à une complexité accrue des procédures, plutôt qu’à une intention malveillante de frauder. » Cette dérive pourrait mener à des interprétations abusives et injustes.
Ensuite, la présomption d’innocence, un droit inscrit dans la Constitution française, pourrait être violée si la prise en charge des cotisations sociales était suspendue automatiquement sans attendre une décision de justice définitive.
Les risques d’abus sont également à prendre en compte, car la suspension automatique des cotisations sociales pourrait être utilisée de manière abusive ou disproportionnée, conduisant à la sanction injuste de professionnels de santé pour des erreurs administratives mineures ou des suspicions infondées de fraude.
Par ailleurs, le SNIIL souligne que la mesure pourrait avoir des conséquences potentiellement délétères pour les patients, en particulier les plus vulnérables. Une suspension automatique de la prise en charge des cotisations sociales pourrait limiter l’accès aux soins, engendrer des coûts supplémentaires pour les patients et même provoquer un arrêt des soins dans certains cas.
Enfin, le manque de proportionnalité de la proposition est également préoccupant. La suspension automatique des cotisations sociales ne prend pas en compte la gravité de l’infraction commise, ce qui pourrait conduire à des sanctions disproportionnées et injustes pour des fraudes mineures.
Une nouvelle marque de défiance à l'attention des professionnels de santé libéraux
Après la création via l’article 102 du LFSS d’une procédure d’extrapolation de l’indu qui présume également la culpabilité des professionnels de santé, le gouvernement ajoute une nouvelle arme dans son arsenal répressif à destination des professionnels de santé. Deux sanctions supplémentaires en plus des six sanctions déjà existantes que sont la plainte pénale, le recouvrement de l’indu, les pénalités financières, la plainte devant la Section des assurances sociales du Conseil de l’Ordre, la plainte devant la Chambre disciplinaire du Conseil de l’Ordre et la procédure conventionnelle.
La complexité de la nomenclature et la nécessité d’une approche équilibrée
Dans un communiqué, l’UNPS souligne que pour la majorité des professionnels de santé libéraux, les procédures de recouvrement d’indus résultent souvent d’erreurs isolées et ponctuelles dans la tarification d’un acte, d’un produit ou d’une prestation, et ne reflètent pas l’ensemble de leur activité. La nomenclature étant très complexe, il est naturel que des erreurs puissent être commises et nécessitent une réparation. Toutefois, ces erreurs ne doivent pas être confondues avec les fraudes, qui doivent faire l’objet de sanctions justes, équitables et proportionnées. L’UNPS estime que l’arsenal juridique existant permet déjà un contrôle adéquat.
L’UNPS rappelle qu’il est essentiel de valoriser les professionnels de santé, notamment dans le contexte actuel de renforcement de l’accès aux soins et de désengorgement des urgences. Jeter le discrédit sur le monde de la santé, pourtant si méritant, est contre-productif. Les membres de l’UNPS exhortent la Direction de la Sécurité Sociale à reconsidérer sa position et à revoir sa copie sans attendre.
Les syndicats consternés
Le syndicat Alizé, représentant des masseurs-kinésithérapeutes libéraux, a exprimé son indignation dans un tweet du 13 avril : « On pensait que le paroxysme avait été atteint avec l’adoption sans débat parlementaire de l’article 44 du PLFSS [2023, NDLR] qui a créé la présomption de culpabilité pour les professionnels de santé libéraux. C’était sans compter sur l’inventivité du Gouvernement ».
La Fédération nationale des infirmiers (FNI) critique également cette mesure, estimant qu’elle stigmatise les infirmiers libéraux et assimile trop facilement les erreurs ou abus à de la fraude. Daniel Guillerm, président du syndicat, souligne dans Egora que « le professionnel isolé ne pèse alors pas lourd face au rouleau compresseur administratif et juridique déployé par certains échelons locaux de l’Assurance maladie ». Il déplore également le climat de défiance créé par les différentes lois de financement de la Sécurité sociale.
Un concours Lépine de la traque des professionnels de santé libéraux
Le syndicat Convergence infirmière, dénonce avec 9 autres syndicats professionnels « Ce concours Lépine de la traque des professionnels de santé libéraux instaure une véritable justice d’exception à notre endroit. Ce texte, qui arrive dans un contexte de perte de sens observé auprès des professionnels de santé, vient porter une nouvelle estocade à des professionnels qui sont de plus en plus nombreux à renoncer à exercer leur profession.
Le mépris n’a plus de limites. La déconsidération n’a plus de bornes. »
Crédit photo : DepositPhotos
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