Comment en est-on arrivés là ?

Comment en est-on arrivés là ? Me Di Vizio nous livre une tribune libre exclusive sur les risques inhérents à la communication médicale dans les médias et à sa portée particulière en temps de pandémie. Défenseur du Pr Raoult dans le cadre de sa convocation devant la juridiction ordinale, il dénonce un rôle de bouc émissaire censé masquer les manquements d’une autorité « néo-ecclésiale, incarnée par un ordre des médecins aussi moraliste qu’inexistant pendant cette crise ».

Le 25 février, le docteur Jérôme MARTY déclarait sur l’antenne de RMC d’un ton presque moqueur, et de concert avec l’ensemble des chroniqueurs que la psychose autour du covid-19 était injustifiée. Le plateau TV dans son ensemble fustigeait l’attitude des clients de pharmacies qui faisaient des provisions de masques, ou encore accusait l’officine qui témoignait dans un reportage présenté en début d’émission de faire du business sur les masques, lorsque son titulaire invitait, au regard de la situation italienne, à acheter des moyens de protection.

La légèreté était la règle, et le rassurisme était alors à la mode.

En octobre 2020, le ton est différent, et le même chroniqueur médecin de l’émission du 24 février dernier devait indiquer :

« Dans ce pays on n’a aucune culture de la prévention. Pendant des mois on a alerté. On savait ce qui allait se passer. C’est une courbe et si on ne met pas les mesures adaptées les chiffres montent. Il arrive un moment où t’es dépassé, où la situation est hors de contrôle. Et c’est le cas. »

Et comme si cela ne suffisait pas, le même médecin, dans une autre interview, de préciser son propos :

« Les politiques sont déconnectés du terrain. S’ils voulaient mettre le feu aux poudres, ils ne s’y prendraient pas autrement.

On s’est rendu compte en regardant les résultats médicaux d’octobre et novembre 2019 que dans l’Est le virus était déjà là, mais il circulait sous le boisseau. Cet été, c’est un peu la même chose, il n’a jamais disparu. La chance que l’on a eue, c’est qu’il a fait beau jusqu’à tard, mais la pluie arrive, les gens vont commencer à rentrer, à se retrouver en lieu clos. Le point négatif par rapport à la première vague, c’est que le virus circule maintenant sur tout le territoire. Le point positif, c’est que nous avons des masques, et nous connaissons les gestes barrière. Il est primordial de les respecter. »

Les poursuites contre le Professeur RAOULT — de la part d’un ordre national des médecins qui aura échoué autant que les autorités sanitaires à faire entendre une voix calme et ferme — interpellent et interrogent. Comment en est-on arrivés là ? Comment en est-on arrivés à une communauté médicale jadis rassurante et ensuite alarmante, anxiogène, qui au nom de la vérité, laisse s’introduire des caméras de télévision dans les services de réanimation, pour montrer la réalité ? Qui se bouscule sur les plateaux TV pour rappeler la gravité de la situation, en appelant pour les uns à un confinement plus lourd, pour les autres à mettre les masques en famille, pour les troisièmes à supprimer les fêtes de Noël ?

La vérité à laquelle en appellent ces médecins stars est celle-ci : sacrifier la liberté sur l’autel de la santé. Mais en faisant cela, on ne préserve ni l’un ni l’autre.

La vérité est que cette épidémie a été trop commentée, que trop de médecins se sont succédé sur les plateaux TV, et que l’Ordre national des médecins a oublié l’importance de son rôle, a oublié que la parole d’un médecin en temps d’épidémie a un poids, et un poids non négligeable même. Ce poids, d’ailleurs, n’est pas ignoré par ceux qui réservent leurs places sur les plateaux TV comme on réserverait sa place au théâtre : ils savent qu’ils sont écoutés, ils n’ignorent pas qu’ils sont regardés, et c’est d’ailleurs pour ça qu’ils acceptent de répondre aux sollicitations de journalistes avides de sensationnalisme !

Mais la vérité, puisqu’il s’agit encore d’elle, est que dans la tempête, le capitaine du navire ne commente pas celle-ci : il tient bon la barre, et chaque membre de l’équipage sait ce qu’il a à faire, et le fait ! Et plus la tempête est forte, plus elle est périlleuse, plus le silence est de rigueur : celui de la concentration, celui de la précision.

En temps d’épidémie, la situation ne saurait être différente : la parole des médecins ne peut se permettre d’être inquiétante, elle ne peut se permettre de susciter la peur au nom d’une certaine idée de l’adhésion.

Le médecin ne parle pas aux téléspectateurs, mais à des patients potentiels ou réels, qui sondent chacun de ses mots, voulant y trouver la lueur d’espoir qui leur manque face à l’inconnu qui s’ouvre devant eux.

Lorsque Jérôme Marty disait qu’il ne fallait pas céder à la psychose, il avait raison. Lorsqu’il disait que les patients les plus jeunes ne risquaient rien, sinon des symptômes grippaux, il avait tort, et il commettait une erreur fondamentale : il parlait de ce qu’il ne connaissait pas !

Lorsque les médecins se sont succédé au mois de février pour indiquer que tout ceci n’était que panique stérile pour, quelques mois plus tard, céder à la tentation de la même panique qu’ils dénonçaient auparavant, ils commettaient la même faute : celle de trop parler, celle d’oublier la répercussion de leurs paroles auprès des patients.

Le Professeur RAOULT est dans le viseur, car il est le bouc émissaire bien pratique d’une faillite totale d’un ordre professionnel qui s’est confiné avant l’heure, qui s’est lavé les mains de toutes les communications médicales, et qui a refusé, pour sa part, d’envoyer ses troupes faire ce qu’elles sont pourtant censées faire : représenter les médecins, et parler en leur nom.

L’ordre des médecins s’est tu, d’autres ont parlé, car le monde avait besoin d’entendre une parole d’expert, une parole de sachant. Le souci est que pour la plupart, ils ont mal parlé et continuent de mal parler, quittant leur costume de médecin pour endosser celui de chroniqueur, de journaliste, ou mieux encore d’homme politique tantôt de la majorité tantôt de l’opposition, en fonction de l’évolution des données de Santé publique France.

On reproche au professeur RAOULT d’avoir parlé, trop dit-on, mais la vérité n’est pas qu’il a parlé, car d’autres l’ont fait, mais qu’il a commis une faute impardonnable : il s’est montré rassurant et bienveillant, sans jamais se départir de cette idée selon laquelle ses confrères en faisaient trop, beaucoup trop, sans jamais trahir l’idée selon laquelle un médecin, même dans la pire des situations, ce qui était loin d’être le cas ici, ne peut jamais se permettre de paniquer au risque de faire paniquer ses patients.

Or, rassurer a été à la mode pendant un mois, puis est devenu anachronique : les médecins de plateau TV avaient le droit en février — alors que l’Italie flambait, transpirant devant ce virus venu d’ailleurs — de se montrer rassurants, et surtout moqueurs vis-à-vis de ceux qui n’étaient pas rassurés.

Ils avaient le droit, jusqu’au confinement, de pouvoir comparer ce virus à une grippe pour les plus jeunes, alors qu’ils ne savaient rien de lui, omettant singulièrement le confinement de toute la province du Hubei, ou encore la déclaration de l’urgence sanitaire internationale depuis le 31 janvier, sans parler du lock down, comme disent les Italiens, de la Lombardie.

L’heure était à la minimisation, et le monde n’était encore divisé entre ces « salauds » de « rassuristes » et ces vertueux alarmistes, cela viendra plus tard, bien plus tard.

Le professeur Raoult, lui, est très peu sensible aux effets de mode, et il a eu ce tort de ne pas scruter les girouettes pour savoir quel était le sens du vent de la parole médicale. Il a gardé le cap, avec une précision militaire : cette épidémie ne mérite pas que nous cédions à la panique, cette épidémie est d’une gravité relative.

Il l’a dit avec ses mots en février, il le dira de la même façon en avril, il continue de le dire au mois de novembre et… c’est évidemment inacceptable : on ne plaisante pas avec la mode !

Mais il a fait pire : il a pris en charge les patients ! il n’a su se résoudre à l’idée qu’un patient stressé par la maladie et paniqué par les communications qui l’entourent, puisse rester chez lui et attendre jour après jour l’issue heureuse ou fatale, en fonction de son karma du moment.

Il a testé massivement, il a accueilli tout aussi massivement, même si ici la vérité exige le pluriel. Car le Professeur Raoult, comme d’autres dans cette tempête, était un commandant de bord qui sait qu’il n’est rien sans son équipage. Alors que le pilote se bat contre l’orage qui secoue l’avion, c’est le personnel navigant au contact des passagers qui les rassure de ses sourires, et qui les aide à passer ce qui pour eux, est peut-être la pire épreuve de leur vie.

Alors, évidemment, il a accueilli et il a traité ! ah le traitement ! il n’est pas éprouvé le traitement, et la déontologie exige de ne parler que de ce qui a fait ses preuves, explique pertinemment l’Ordre des médecins.

Et pourtant, même si on a dit le contraire, les preuves que le virus allait franchir nos frontières allègrement et en sifflant un air militaire étaient déjà sous nos yeux dès le mois de février.

De preuves, on n’en manquait pas non plus pour savoir que ne pas tenter de traiter un patient est un manquement au serment d’Hippocrate, que ne pas lui offrir une chance de ne pas finir en réanimation est l’honneur du médecin, et pourtant on n’a rien dit.

Et de preuves, on n’en manque toujours pas pour affirmer que des millions de patients ont été traités avec une molécule presque centenaire, et avec autant de bon sens que d’expérience médicale, celle des médecins qui ont choisi de défier l’absurdité et ont refusé de céder à la panique, et pourtant on dit que c’est faux, traitant les uns de charlatans, les autres de pauvres imbéciles crédules.

Or, la vérité, puisqu’il n’est maintenant plus question que d’elle, est qu’il n’est pas question de preuve, mais de Dogme. Et on sait que les dogmes, ça ne se commente pas, ça ne se conteste pas, ça se respecte sous peine d’excommunication.

Rien d’étonnant, dès lors, à ce que l’autorité néo-ecclésiale, incarnée par un ordre des médecins aussi moraliste qu’inexistant pendant cette crise, puisse reprocher à l’un des siens d’avoir violé les dogmes dont elle est la gardienne. Elle en a le droit certes, mais — par pitié — que l’on ne convoque pas la science, là où il n’est question que de religion et donc d’obéissance aveugle.

Comment en est-on arrivés là ? Maître Fabrice Di Vizio, avocat spécialiste des médecins libéraux

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