Suicide du professeur Barrat : la communication de l’AP-HP provoque l’indignation
Le 3 février dernier, le Pr Christophe Barrat, 57 ans, responsable de l’activité de chirurgie bariatrique du groupe hospitalier Paris Seine-Saint-Denis de l’AP-HP, a mis fin à ses jours. Il s’est défenestré sur son lieu de travail, le centre hospitalier Avicenne (Saint-Denis). Dans un communiqué, la direction des hôpitaux universitaires Paris Seine-Saint-Denis a révélé que le Pr Christophe Barrat « luttait depuis plusieurs mois contre une maladie grave », un cancer, et semblait ainsi pointer du doigt ce motif pour expliquer son geste dramatique. Les réactions indignées face à de telles ficelles de communication ne se sont pas fait attendre.
« Un contexte de management très délétère »
Si en effet, Christophe Barrat, père de deux jeunes enfants, allait commencer une seconde chimiothérapie pour traiter un cancer récent, pour beaucoup c’est probablement plus dans l’environnement professionnel que dans son carnet de santé qu’il faut chercher l’origine de son geste dramatique.
Sur Europe1, le délégué syndical CGT de l’hôpital Avicenne, le Dr Christophe Prudhomme, a précisé que le professeur Barrat s’était habillé en tenue de bloc opératoire avant de se défenestrer, ce qui pour lui est loin d’être anodin. Il a évoqué de fortes tensions au travail et un contexte de management délétère. Sur libération, il explique plus en détail que son service venait d’être restructuré pour être intégré à celui d’Avicenne pour réaliser des économies budgétaires. Des économies qui selon lui tournent à l’obsession pour la direction d’un groupe hospitalier qui présente le plus gros déficit de l’Assistance Publique.
«...l’hôpital devient trop violent. Chez nous, il arrive même que des médecins se battent pour un bloc opératoire. » Dr Christophe Prudhomme
« Je m’élève en faux sur le fait de mettre en avant que Christophe était malade », rapporte le professeur Pierre Nahon, hépatologue à Libération. « Il y avait une vraie souffrance au travail. Et dans un conflit comme il pouvait y avoir, là, entre plusieurs médecins, la direction s’en servait pour le fragiliser. C’est le système qui est, là, dramatiquement défaillant. »
Le SNPHARE accuse la direction de violation du secret médical
Le SNPHARE qui ne cesse de dénoncer la dégradation des conditions de travail, la pression à l’activité ainsi que les nombreux conflits accuse l’AP-HP de violation du secret médical
« Nous nous indignons de la communication désastreuse de l’APHP sur ce drame, n’hésitant pas à violer le secret professionnel en laissant fuiter dans la presse qu’il “luttait depuis plusieurs mois contre une maladie grave”. Il s’agit d’un suicide réalisé sciemment sur le lieu de travail et cela ne mérite pas de telles insinuations ! »
Ce drame évoque celui du Pr Jean-Louis Mégnien, qui s’est également défenestré 4 ans plus tôt, depuis le septième étage de l’hôpital européen Georges Pompidou à Paris. Mais pour l’inspection du travail, ce suicide n’en était pas un, mais bien un homicide involontaire selon les conclusions d’un rapport rendu en février 2017 et qui met à l’index la direction de l’établissement qui pratiquait une forme de harcèlement.
« Un chirurgien vient de se donner la mort il a enfilé sa tenue de bloc, et s’est défenestré. Entendre l’administration rompre le secret médical et parler de maladie grave est à gerber ! J’en appelle aux soignants : ne vous taisez plus ! » Dr Marty, président de l’UFML,
De son côté la direction de l’AP-HP récuse les accusations de violation du secret médical : « nous avons fait référence, dans le message diffusé au sein du groupe hospitalier et des instances de l’AP-HP, à l’état de santé du Professeur Christophe Barrat afin, selon l’expression même de son épouse, “d’apporter un éclairage au geste de son mari”. Nous n’avons donc en rien rompu le secret médical, mais avons été autorisés à porter cet élément à la connaissance de notre communauté selon la volonté et le plein accord de la seule personne légitime à nous délier de ce secret : son épouse, qui a validé ce message avant qu’il soit diffusé. »
La direction semble également vouloir réfuter le climat de tension et la souffrance au travail décrite par les uns et les autres.
« le Professeur Christophe Barrat disposait de l’entière confiance et du plein soutien de la gouvernance du Groupe Hospitalier Universitaire que nous représentons et nous avions décidé collégialement de lui confier de nouvelles responsabilités, ce dont il était parfaitement informé et ce pour quoi il nous avait encore très récemment exprimé sa satisfaction »
Si du côté des forces de l’ordre, une enquête pour « recherche des causes de la mort » a été ouverte par le parquet de Bobigny, et confiée au commissariat de Bondy, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l’établissement a également voté à l'unanimité l’ouverture d’une enquête paritaire visant à évaluer le rôle des conditions de travail dans ce drame.
Envie de hurler,
— DrMartyUFML-S (@Drmartyufml) 4 février 2019
Un chirurgien vient de se donner la mort
il a enfilé sa tenue de bloc, et s’est defenestré.
Entendre l’administration rompre le secret médical et parler de maladie grave est à gerber !
J’en appelle aux soignants : ne vous taisez plus! https://t.co/FNNJBjxtkC
Le pire reste la réaction de la direction de l'hôpital qui jette sur la place publique les soucis de santé personnels (somatiques) de ce confrere pour essayer d'esquiver sa responsabilité. Abject (mais hélas peu étonnant de la part de l'AP-HP)
— Thomas Cartier (@carttom) 4 février 2019
Et quid de l’odieux message de son institution pour divulguer « une grave maladie »?!!!? https://t.co/TvFkIrj498
— Dr Gérald KIERZEK (@gkierzek) 5 février 2019
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