Feuille de route à l'usage de la nouvelle ministre de la Santé.

Feuille de route à l’usage de la nouvelle ministre de la Santé. La santé a sa nouvelle ministre, présidente depuis un an du collège de la Haute autorité de santé (HAS), professeure de médecine et scientifique reconnue. Sans avis préconçu, j'observe que la tâche pourrait être rude pour quelqu'un issu du sérail hospitalo-universitaire, éloigné du terrain et de la médecine libérale. Or, je l'ai écrit et je crois démontré dans mon essai Santé, le trésor menacé, il ne s'agit plus de réformer notre système de santé mais bien de le revisiter de fond en comble afin de le réorganiser autour des besoins de la population, des attentes des professionnels et des technologies – numérique en tête. Un travail qui exigera de sortir du hors-sol et d'être habité d'une véritable ambition s'appuyant sur une volonté sans faille. Un travail qui, compte tenu de la complexité, de l'urgence et des blocages, ne pourra être mené que dans la concertation et par un travail collaboratif associant tous les acteurs concernés, et ce, quels que soient les sujets. Pour la ministre, deux objectifs : les priorités fixées par le président de la République et les urgences, mais une seule route…

Du désert à la refonte

La désertification médicale est la première urgence aux yeux des Français, qui s'inquiètent en même temps de la disparition des petits et moyens hôpitaux publics. La campagne électorale s'est focalisée sur les maisons de santé et le numerus clausus qu'il faudra augmenter. Certes, mais tous les experts en la matière savent que cela ne suffira pas pour convaincre les jeunes médecins de s'installer dans des territoires déjà sous-dotés et qu'il y a urgence, tant le nombre et la taille des zones touchées s'accroissent de mois en mois. De la même façon, nul ignore que l'on n'arrêtera pas l'exode des médecins hospitaliers publics (jusqu'à 41 % de taux de vacance) vers les cliniques privées avec de bonnes paroles. C'est donc toute notre organisation des soins qu'il faut refonder, en s'interrogeant sur le rôle, la rémunération, les droits et devoirs de chacun – et, en première ligne, des médecins généralistes. C'est aussi de la question des délégations professionnelles qu'il faut discuter, et la numérisation interopérable entre tous les acteurs, usagers compris, qu'il convient d'accélérer. Une tâche urgente et vitale pour l'immense majorité de nos concitoyens comme pour les professionnels1 , à entreprendre selon un modèle de participation citoyenne.

De l'innovation et de la participation

En santé, l'innovation, chère au président de la République, se décline en quelques points précis : enjeux majeurs des datas et de l'intelligence artificielle, menace des GAFA2, faillite du dossier médical partagé (DMP), faiblesse de la numérisation, déficit d'accessibilité aux technologies pour les personnes vulnérables.

Si année après année les palmarès du Consumer electronic show (CES) de Las Vegas démontrent que la France reste un bon terreau pour les inventions dans le domaine de la santé, la sélection des innovations ap­portant un bénéfice avéré par rapport aux solutions et dispositifs (préventifs, diagnostics ou thérapeutiques) antérieurs n'est pas performante et, en conséquence, le passage à l'industrialisation n'est pas à la hauteur des promesses. En aval, cela pose la question de l'évaluation des innovations et du coût des études cliniques pour les PME qui proposent des solutions. Les freins ont été nombreux, à commencer par les ministres qui n'ont pas usé de leurs prérogatives pour imposer des standards et des tarifications indispensables à la numérisation de la médecine. On reconnaîtra à Marisol Touraine d'avoir pris ces enjeux en compte pendant la seconde partie de son mandat avec la loi dite de Modernisation. Mais nous sommes loin du compte :
• Les inspecteurs des Affaires sociales (IGAS) ont toutes les peines du monde à obtenir les données de santé nécessaires à leurs missions de la part de la Sécurité sociale, seule détentrice de la totalité des datas des français. Même ostracisme pour les chercheurs ;
• Le corps médical est encore réticent dans sa majorité à l'e-information des patients qu'il considère comme une intrusion et aux dispositifs de e-santé qu'il voit comme des gadgets ;
• Quant au DMP il n'a de partagé que le nom et reste à ce jour l'un des plus gros fiasco national. Avec un demi-milliard d'euros3 dépensé pour rien, simplement parce que l'on a exclu volontairement le patient-citoyen, les pharmaciens et les infirmières de sa conception et de sa gestion. Ici encore la participation et l'intelligence collective constituent la méthode et le moyen les plus efficaces pour abattre les peurs, les corporatismes et les chapelles et doter enfin la France d'un outil de gestion performant depuis longtemps en cours chez nos voisins.

Médicament, de la défiance à la confiance

L'un des défis de la nouvelle ministre, et non des moindres, est le rétablissement de la confiance dans les médicaments en général, la vaccination en particulier. De Médiator® en Dépakine®, des pilules de 3 et 4e générations en vaccin H1N1, les Français ont perdu confiance, base pourtant essentielle à la rela­tion de soin, telle que mise en avant par un certain Paul Ricoeur : « La relation de soin est une alliance thérapeutique, un pacte de soin fondé sur la confiance ». Qu'on le veuille ou non, cette confiance ne pourra être rétablie que si on tord une fois pour toutes le cou aux conflits d'intérêts entre experts et industrie, et que l'on rend ainsi l'indispensable partialité aux avis émis par ceux censés nous garantir fiabilité et sécurité des médicaments et des soins.

La nouvelle ministre reviendra-t-elle sur sa position qu'un bon expert ne pourrait être qu'un expert ayant travaillé pour l'industrie pharmaceutique ?4
La comparaison des méthodes et résultats interroge quand des centaines d'experts de l'Agence nationale de sécurité du médicament ayant des liens avec l'industrie ont rendu des avis qui se sont parfois révélés mortels parce qu'inexacts et bien trop tardifs, alors qu'une centaine de médecins et de pharmaciens participant à la revue Prescrire5, indépendants de tous liens d'intérêt avec l'industrie ou les pouvoirs publics, ont produit des évaluations collectives qui se sont toutes montrées justes et précoces.


Agnès Buzyn argumente en dénonçant la difficulté à recruter des experts indépendants qualifiés. La chose se discute mais déjà, pour alimenter le débat, il me paraît indispensable de rattacher cette ques­tion à une opportunité : le départ de l'Agence européenne du médicament de Londres pour cause de Brexit. Son installation à Paris et, dans la foulée, la création d'un corps européen d'experts indépendants couvrant l'ensemble des spécialités médicales, pouvant rivaliser avec la Food and drug administration (FDA) américaine, n'est-ce pas là un défi à la hauteur de notre européen de Président ?

De la prévention à la participation
La création du « service sanitaire » annoncé dans le programme d'Emmanuel Macron suscite de vrais espoirs. « 40 000 étudiants en santé consacreront trois mois à des actions de prévention dans les écoles et les entreprises. » C'est la première fois depuis des décennies de saupoudrage qu'une action de pré­vention d'ampleur nationale se voit dotée de ressources significatives dans un programme porté par un président de la République nouvellement élu. Pour autant, cette proposition fait naître beaucoup d'inter­rogations quant à sa mise en oeuvre qui ne sera pas simple et demandera des efforts à tous pour trouver place dans les cursus universitaires. Ici encore, la réussite passera par la co-élaboration des actions entre les différents acteurs et devr a intégrer le numérique comme levier de la démar che.

Handicap, de l'enfermement à la participation


Comme je l'écris dans mon essai, l'enfermement des personnes en situation de handicap dans leurs handicaps est une réalité indigne de notre pays. Le rattachement de la secrétaire d'État chargée du han­dicap au Premier ministre est une première bonne nouvelle. Cela signifie que la personne en situation de handicap est tout autant concernée par ce qui a trait à l'éducation nationale, qu'à la recherche, aux transports et… à la santé. Seconde bonne nouvelle, la secrétaire d'État sait de quoi elle parle, et nul doute qu'elle a inspiré le programme du candidat Emmanuel Macron. Gageons donc qu'elle saura mettre en oeuvre les mesures annoncées :
• participation des personnes en situation de handicap aux politi ques qui les concernent ;
• augmentation de l'allocation adulte handicapé ;
• « … accès à un(e) auxiliaire de vie scolaire à tous les enfants en situation de handicap qui en ont besoin pour avoir une scolarité comme les autres. »
Impliqué à l'origine dans la création de ces auxiliaires et connaissant de près les besoins, je ne peux que souhaiter le succès à Sophie Cluzel.

Vous avez dit participation, monsieur le Président ?

Concernant un certain nombre d'autres dossiers prioritaires, Agnès Buzyn, si elle veut des résultats pé­rennes, devra obtenir un arbitrage au plus haut niveau de L'État pour savoir de quel ministère ils relèvent dans les faits. Je pense à la sécurité routière, à l'alcoolisme, au tabagisme et au cannabis, pour lesquels on a vu trop souvent les ministères des Finances et de l'Intérieur décider en lieu et place de celui de la Santé. Le retour de ces missions de santé publique dans les attributions régaliennes de la ministre constituerait un signal fort de la renaissance d'une politique de santé publique digne de ce nom.

Démographie et économie obligent, le maintien à domicile des personnes âgées et tout ce qui doit y concourir comme les emplois et les technologies avec le développement d'une véritable filière industrielle représentent aussi une urgence.
Enfin, la mise en oeuvre de Santé publique France créé il y a un an dans le but de fournir aux Français une information de santé fiable, accessible et indépendante constituera – ou non – le symbole d'un change­ment de paradigme ouvrant une ère de participation et de responsabilité citoyennes, autant sur le plan de la santé individuelle que des grandes décisions affectant notre système de santé.

Antoine Vial*

 

1 86% des médecins et 69% des Français se déclarent « pessimistes » pour l'avenir du système de santé. Sondage Institut Elabe pour le Conseil national de l'ordre des médecins (35 000 médecins et 4 000 usagers, octobre 2015).
2 GAFA : Google, Apple, Facebook et Amazon
3 Rapport de la Cour des comptes, 2016.
4 Café Nile, 20 février 2013. http://www.nile-consulting.eu/drop/1-425.pdf
5 Étant membre de son conseil d'administration de Prescrire, je déclare ici un lien d'intérêt.


*Antoine Vial est expert en santé publique, co-fondateur du Forum des living labs en santé et autonomie, co-président du club Santé-Solidarité de Prospec­tive 2100. Il a été à la tête de projets multimédias à l'usage des professionnels de santé (télévision, Internet) en même temps que producteur délégué et ani­mateur des magazines santé Le Journal du Corps, Le Corps entendu et Archipel Médecine sur France Culture.

Éditions L'Atalante - Isbn : 9782841727933 - 224 p. - 15 € - en numérique, 6,99 €.

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