Pollution à la liqueur noire en Gironde, analyse des risques sanitaires
Le préfet de Gironde a autorisé le 9 juillet 2012, une papeterie à rejeter à 400 m du rivage sur la plage de la SALIE au sud du bassin d'Arcachon et sans information préalable, 450 millions de litres de liqueur noire diluée, partiellement retraitée mais contenant des composés chimiques potentiellement dangereux.
Pour rappel, le 5 juillet 2012, au sein de l'usine de papier kraft à Biganos en Gironde, une cuve a éclaté. D'une capacité de 5000 m3, elle contenait, selon l'exploitant, 3500 m3 de jus de cuisson de bois, essentiellement de la lignigne mélangé à de la soude caustique, de la potasse ainsi que des composés sulfurés. Ce mélange, appelé liqueur noire, a débordé le talus de rétention, s'est déversé sur le sol avant de rejoindre le réseau d'égouts interne à la papeterie pour finir dans le bassin de rétention de Saugnac. Sous la puissance de la vague formée, environ 100 à 500 m3 de liqueur noire, selon la préfecture, se sont déversés dans un canal voisin, le Lacanau, qui se jette dans la Leyre, rivière d'eau douce, elle-même rejoignant le bassin d'Arcachon. Au lendemain de la catastrophe, 300 kg de poissons morts ont été retrouvés dans cette rivière. La navigation y a été interdite pendant quelques jours.
Les effluents de cette usine mais aussi les eaux usées des communes environnantes sont déversés dans l'océan à 400m du rivage à travers un réseau 1000 km de canalisation, de stations de pompages et stations d'épuration qui se termine par une canalisation appelé le wharf. La liqueur noire n'y est cependant jamais déversée puisqu'elle est transformée en énergie thermique et électrique. Les usines de papier produisent en moyenne deux tiers de l'énergie qu'elles consomment en brûlant dans des chaudières de récupération les liqueurs noires.
Or par un arrêté du 9 juillet le préfet a autorisé la papeterie à rejeter au wharf 50 000 m3 des eaux du bassin de Saugnac après retraitement effectué au sein de sa propre station d'épuration et sous propre contrôle. Cette décision a été contestée par la grande majorité des élus locaux et a créé un fort émoi et moultes inquiétudes chez les riverains, les ostréiculteurs et les associations de défense de l'environnement. Certains élus dénonçaient le manque de transparence de la décision préfectorale et s'insurgeaient de ne pouvoir couper le robinet déversant les effluents de l'usine dans le collecteur du Syndicat Intercommunal du Bassin d'Arcachon (SIBA), qui gère les eaux usées des communes du Bassin.
Il s'en est suivi une forte mobilisation des associations écologistes, des surfeurs et des citoyens sur les réseaux sociaux. Une page facebook créée en 2011 et s'intitulant le bassin d'arcachon, un paradis menacé a connu un fort succès (+3000 membres en une semaine) sous l'impulsion de son animateur Stéphane Scotto, Photographe de profession . Plus de 12 000 personnes évoquent chaque jour cette page à l'heure actuelle selon Facebook. Certaines photos ont été partagées plus de 4000 fois. Une manifestation a été organisée le samedi 28 juillet à Arcachon pour dénoncer cet arrété préfectoral et demander la mise en oeuvre de solutions alternatives. des pétitions (2) ont été lancées, des plaintes ont été déposées.
Leurs griefs sont multiples :
Pour La DREAL, qui a été le seul établissement consulté par le préfet pour prendre sa décision et que nous avons joint par téléphone, cet arrêté se justifie par l'analyse des risques liés au déversement de la liqueur noire dans le bassin de Saugnac. L'urgence était avant tout d'éviter toute contamination des eaux de surface, notamment de la LEYRE qui se jette dans le bassin d'Arcachon.
En effet, dans la panique de l'accident, l'exploitant décida d'activer ses pompes sur le Lacanau pour minimiser la pollution. Au total ce n'est pas moins de 70 000 m3 d'eau douce qui furent ainsi pompées et déversées dans le bassin de rétention avec les 3400 m3 de liqueur noire. Le bassin de Saugnac avait alors atteint ses capacités maximales. Météo France émis un bulletin d'alerte orange pour des orages violents attendus entre autres sur le département des Landes, limitrophe de la papeterie pour le 12 juillet 2012. Il devenait alors d'autant plus urgent de commencer à vider le bassin de Saugnac pour éviter toute contamination du LEYGA, un affluent de la Leyre.
C'est dans ce contexte que la décision du préfet fut prise : Commencer le retraitement des eaux du bassin de Saugnac et les déverser dans l'océan via le collecteur du SIBA.
Les dangers de la liqueur noire
La DREAL Aquitaine nous précise que les dangers liés la liqueur noire sont doubles :
S'agit-il vraiment des seuls dangers qui peuvent être mis en exergue ? Tout dépend de la concentration des composés de la liqueur noire qui peut varier de façon significative selon les papeteries. Alors quelle est la composition précise de la liqueur noire ? De quoi parlons-nous au juste ?
Voici la composition de la liqueur noire de l'usine de Biganos extraite de la fiche sécurité de la liqueur noire
Examinons à présent la composition de la liqueur noire selon d'autres sources d'information
Et enfin selon cette étude
La liqueur noire est donc composée d'approximativement de 80 % d'eau à la sortie du process de cuisson. Cette eau est évaporée dans des cuves avant insertion dans les chaudières de récupération. On ne connait pas le pourcentage d'eau au moment de l'accident mais on peut raisonnablement penser qu'une partie de ces 80% était évaporée.
Restent approximativement 20% de matieres solides dont 60% de matières organiques composées essentiellement de lignigne, d'hémicellulose et peut etre d'acides gras insaturé et acides résiniques. Ces 2 derniers sont considérés comme toxiques par l'environnement selon certaines études.
Les 40 % de matières sèches restants sont des composants chimiques dérivés du Sodium, du Soufre et du Potassium. Quels sont leurs dangers lorsqu'ils sont purs ou fortement concentrés ?
Quels sont leurs dangers une fois dissous dans l'eau ?
Quelles sont les quantités de composés chimiques rejetées dans l'océan présentes dans les 3500 m3 de liqueur noire au moment de l'accident ?
Cette information est d'autant plus difficile à calculer que le pourcentage de matière sèche au moment de l'accident est inconnu. Il peut varier de 22% à la sortie du process de cuisson à 85% au moment où la liqueur est brûlée dans les chaudières. La quantité de matière sèche peut donc varier d'un facteur 4 selon le degré d'évaporation de l'eau.
La densité de la liqueur noire est fonction du pourcentage de matières sèches et de la température.Selon cette étude elle est de 1,06 quand l'eau est son maximum et à 1,26 quand l'eau est à 51% .Nous prendrons ces 2 hypothèse de densité pour estimer la quantité de composés inorganiques rejetés dans l'environnement.
Cas 1 : 22% de matières sèches - densité : 1,06 - Quantités présentes dans 3500 m3 de liqueur noireSoude : 22,6*3500*1.06 = 83,846 tonnesSulfure de sodium : 53*3500*1.06 = 196,630 tonnesSulfate de sodium : 15*3500*1.06 = 55,650 tonnesHydroxyde de potassium :1,3*3500*1.06 = 4,823 tonnesCarbonate de potassium : 5,3*3500*1.06 = 19,663 tonnesSulfure de potassium : 3,2*3500*1.06 = 11,872 tonnes
Cas 2 : 49% de matières sèches - densité : 1,26 - Quantités présentes dans 3500 m3 de liqueur noireSoude : 22,6*3500*1.26 = 99,666 tonnesSulfure de sodium : 53*3500*1.26 = 233,730 tonnesSulfate de sodium : 15*3500*1.26 =66.15 tonnesHydroxyde de potassium :1,3*3500*1.26 = 5,733 tonnesCarbonate de potassium : 5,3*3500*1.26 = 23,373 tonnesSulfure de potassium : 3,2*3500*1.26 = 14,112 tonnes
Les dangers liés à la liqueur noire pour l'homme sont donc relativement faibles tant que :
Pour l'environnement les risques apparraissent aussi relativement limités mais on ne peut que déplorer le déversement de plusieurs centaines de tonnes de composés inorganiques qui après dilution se sont transformés en sodium, sulfate et ions K+
Par l'arreté du 9 juillet 2012 les autorités administratives ont donc décidé d'autoriser la papeterie à opérer le retraitement d'un maximum de 120 m3 par heure des eaux du bassin de rétention, d'y ajouter 9 volumes d'eau, de rendre leur PH égal à 9 et de faire en sorte que la demande chimique en oxygène et la demande biolgique en oxygène soient compatibles avec les normes en vigeur puis de les déverser dans le collecteur du SIBA et donc de les mélanger aux effluents des zones résidentielles. Les autorités ont également demandé à l'exploitant d'assurer le suivi et le contrôle des résultats du traitement
Reste à déterminer si le suivi et le contrôle ont été correctement assurés. Nous n'avons pas pu joindre l'exploitant. Aussi, nous avons alerté l'Agence Régionle de Santé Aquitaine pour leur soumettre cette problématique. Il nous a été répondu que des mesures de PH dans les eaux du bassin et sur la Leyre avaient été effectuées . Les mesures varient de 7.25 pour la Leyre à 8 pour les eaux du Bassin; ce qui est conforme avec les valeurs moyennes de l'eau de mer qui varient de 7,5 à 8,4, pour une moyenne de l'ordre de 8,2.
Nous apprenions également qu'aucune mesure de PH n'avait été effectuée sur les plages jouxtant le wharf depuis le 9 juillet mais que les eaux de baignade étaient classées comme "BONNES"
Cette classification des eaux de baignade repose sur une analyse de l'activité bactériolgique et n'évalue nullement des traces des composés chimiques. Avec cette évaluation, les eaux du bassin de SAUGNAC ou pire les cuves contenant de la liqueur noire pure auraient également été classées comme BONNES voire EXCELLENTES !. Cette absence d'évaluation chimique nourrit légitimement l'inquiétude des riverains.
Nous avons également joint Sabine JEANDENAND, directrice générale du SIBA, qui nous a informé qu'elle avait pris l'initiative d'assurer le suivi du PH des effluents de l'USINE. Elle nous a également communiqué les informations suivantes.
Les variations du PH de la station de pompage CP s'expliquent par la baisse du niveau des effluents résidentiels la nuit et non par une hause du PH des effluents de l'usine. Cependant afin de minimiser ces variations de PH la prudence aurait voulu que l'usine limite ses rejets la nuit. Il n'en est rien. Les eaux de la station de pompage CP étant par la suite mélangées aux eaux de la station de Pompage ZI qui accueille les eaux usées de La Teste, on peut peut donc conclure que le PH des effluents déversés aux wharf est la plupart du temps inférieur à 9. Cependant nous n'avons aucune certitude sur ce point car aucune mesure de PH n'a, selon nos informations, été faite au niveau du wharf. Il se peut donc que la nuit, il déverse des effluents avec un PH supérieur à 9, ce qui pourrait nuire à la faune marine évoluant à proximité directe du wharf ou provoquer des brulûres à d'éventuels baigneurs nocturnes aventureux.
Quoi qu'il en soit, la décision du préfet peut paraitre ambigüe et legère. En effet à la lecture de l'arreté préfectoral, on s'aperçoit qu'un peu plus de 20 00 m 3 devront être traités par neutralisation chimique dans une filière distincte qui n'implique aucun rejet dans l'océan. Pourquoi seulement 20 000 ? Il aurait été plus respecteux pour l'environnement de ne rejeter dans l'océan que la part des eaux souillées du bassin de rétention qui aurait évité tout risque de contamination des eaux de surfaces et notamment de la LEYRE. Quelles sont les considérations rééelles qui ont poussé le sous-préfet à autoriser le rejet de 50 000 m3?
Par ailleurs il parait indéniable que la clé de cette catastrophe, outre l'éventration de la cuve initiale, est la dilution de la liqueur noire pure dans 70 000 m3 d'eau douce qui n'a pu se faire que dans l'urgence et sous des contraintes fortes vu l'impact de cette décision. En effet il est expréssement stipulé dans la fiche sécurité de la liqueur noire, qu'en matière de stockage, une double coque imperméable et résistante à la corrosion s'impose. Il y a fort à parier que le bassin de Saugnac, construit il ya 40 ans, ne respecte pas ces contraintes. Nous avons pas encore eu de réponse de l'exploitant sur ce point.
Enfin ce qui nous parait le plus choquant dans la gestion de cette crise c'est l'absence de communication mise en place pendant les 15 premiers jours qui ont suivi l'accident. L'absence de concertation, voire les mensonges par omission des autorités administratives ont entrainé un rejet quasi unanime des élus. C'est pour le moins regrettable car c'est bien cette opposition des élus qui a attisé les inquiétudes citoyennes. Que penser également de la faiblesse de la signalétique rappelant l'interdiction de baignade à proximité du wharf vu les rejets d'effluents chargés de centaines de tonnes de composés chimiques potentiellement dangereux ? Que penser de l'absence de mesure de PH au niveau de cette canalisation ? Enfin que penser de l'absence de détection de polluants chimiques lors de l'analyse des eaux de baignade dans de telles circonstances ?
Au final les risques sanitaires pour l'homme semblent plutôt limités en ce qui concerne les rejets de liqueur noire dans l'océan. Celui ci devra cependant et une fois de plus digérer les centaines de tonnes de sulfates et de potassium que l'industrie lui a expédié. D'après certaines études les risques pour la santé humaine des effluents liés au blanchiment de la pâte à papier sont encore peu évalués. Le methyl mercaptan est par exemple classé comme toxique et écotoxique mais son impact sur la santé humaine et sur l'environnement n'a été que trop peu étudié sérieusement. Il est pourtant rejeté tous les jours dans l'océan via les effluents de la papeterie.
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