Cancers du sein. Et si leur pouvoir invasif était latent dès le début de leur développement
Pourquoi certains cancers sont-ils plus agressifs que les autres ? C'est la question à laquelle ont voulu répondre, à l'Institut Curie, des chercheurs de l'Inserm et des médecins, en étudiant le profil biologique d'une forme de cancer du sein. Résultats étonnants : l'agressivité tumorale semble déterminée dès les toutes premières cellules tumorales et la diversité biologique observée dans les cancers invasifs existe déjà dans les formes localisées. Ces résultats pourraient permettre de mieux définir des sous-populations de cancers localisés et adapter le traitement en fonction des risques associés. Mais avec ces travaux publiés dans Clinical Cancer Research du 1er avril, la question de l'origine de l'agressivité des cellules tumorales reste entière : si elle n'émane pas des modifications biologiques acquises dans le temps par les cellules tumorales, comment se déclenche la capacité invasive ?
Il n'y a pas un cancer du sein mais des cancers du sein : en fonction du stade d'évolution, du lieu et des cellules à partir desquelles il s'est propagé, sa prise en charge est différente (voir encadré "Les cancers du sein").15 à 20 % d'entre eux sont des tumeurs du sein canalaires in situ : ce cancer localisé se développe au détriment des cellules épithéliales des canaux galactophores, les canaux véhiculant le lait produit par la glande mammaire. S'il n'est pas diagnostiqué à temps, le carcinome canalaire in situ du sein peut envahir les tissus voisins : les cancers canalaires invasifs représentent 80 % de tous les cas de cancers du sein invasifs. Le Dr Anne Vincent-Salomon (1), médecin-chercheur à l'Institut Curie, sous la direction du Dr Olivier Delattre (2), directeur de l'unité Inserm 830 "Génétique et biologie des cancers" à l'Institut Curie, a étudié le profil biologique de cancers du sein canalaires in situ. Ce travail n'aurait pu être réalisé sans la collaboration du pôle Cancer du sein de l'Institut Curie dirigé par le Dr Brigitte Sigal, à savoir des chirurgiens, des anatomopathologistes, des radiothérapeutes, ni sans l'aide des biologistes et des bioinformaticiens de l'unité "Génétique et biologie des cancers" Inserm/Institut Curie. Les Drs Anne Vincent-Salomon et Olivier Delattre ont analysé le phénotype et le profil génétique de 57 tumeurs mammaires canalaires in situ ainsi que l'expression des gènes - le transcriptome (3) - pour 26 de ces tumeurs. Or ces profils au stade localisé sont très similaires à ceux observés dans les cancers du sein canalaires invasifs. La diversité, et en particulier le pouvoir invasif, des cancers du sein existe donc dès le stade précoce. Les cancers caractérisés, par exemple par une mutation du gène TP53 ou encore une surexpression des récepteurs HER2, possèdent cette altération dès les premières phases de leur développement. La classification - basal-like, luminal, ERBB2 (voir encadré "les cancers du sein") - adoptée pour mieux définir les cancers du sein invasifs et leur traitement pourrait donc être également utilisée dans les formes localisées. Autre conclusion de ce travail : étant présentes dès le début du développement, les mutations de TP53 ou les modifications d'expression des récepteurs HER2 ne sont pas celles qui déclenchent l'invasion des cancers. De même, pour les altérations des gènes du développement qui apparaissent au tout début de l'évolution tumorale. Alors comment s'acquiert le caractère agressif d'une tumeur ? S'il n'émane pas de l'apparition successive de modifications génétiques au sein des cellules tumorales, se peut-il que l'évolution d'une tumeur dépende du contexte génétique dans lequel elle survient ?Existe-il des spécificités génétiques propres au patient influençant le devenir des tumeurs ? Tout n'est peut-être pas inscrit uniquement dans les cellules tumorales... Les cancers du sein En 2005, le nombre de nouveaux cancers du sein a été estimé à 50 000 par l'Institut national de veille sanitaire. C'est le cancer féminin le plus fréquent. La moitié des cas de cancers supplémentaires survenus au cours des 25 dernières années chez la femme lui est d'ailleurs imputée.Il existe de nombreuses formes de cancers du sein, en fonction du stade d'évolution, du lieu et des cellules à partir desquelles il s'est propagé. La glande mammaire se compose principalement des lobules où est produit le lait et des canaux servant à son transport. Les phases initiales des cancers du sein se développent à partir des cellules épithéliales des canaux ou des lobules . Tant que les cellules cancéreuses restent confinées au niveau des canaux ou des lobules, les cancers sont dits "in situ". Avec l'essor du dépistage par mammographie, près de 20 % des cancers du sein sont désormais diagnostiqués à ce stade, contre 2 % au préalable.En revanche, à partir du moment où les cellules cancéreuses ont traversé la membrane (dite « membrane basale ») des canaux ou des lobules, et sont présentes dans les tissus avoisinants, le cancer est infiltrant. Les cellules cancéreuses peuvent alors se propager dans les ganglions situés sous les bras (ganglions axillaires) et éventuellement se répandre dans l'organisme. Il existe aussi d'autres formes, moins fréquentes, de cancers invasifs : le carcinome mucineux, le cancer micropapillaire, le carcinome tubuleux, et certaines formes rares, comme le cancer médullaire du sein. Leur classification À ce jour, les médecins diagnostiquent le cancer, le classent morphologiquement à partir de l'analyse de certains critères : type histologique, taille de la tumeur, éventuel envahissement ganglionnaire, analyse de la présence de récepteurs hormonaux (oestrogènes et/ou progestérone), surexpression de la protéine HER2. Ces paramètres permettent ensuite de déterminer le traitement le plus adapté pour la patiente.Récemment, cette classification s'est affinée grâce à l'émergence des analyses génomiques et de leur application en clinique. Elles permettent ainsi de distinguer, les types "luminal", basal-like, HER2+, généralement en fonction de l'expression couplée de certaines protéines, dont essentiellement les récepteurs aux oestrogènes et HER2.
Notes :(1) Le Dr Anne Vincent-Salomon est anatomo-pathologiste dans le département de Biologie des tumeurs de l'Institut Curie. Elle a réalisé ce travail, au cours de sa thèse effectuée, notamment grâce à un contrat INTERFACE Inserm lui permettant de se consacrer à la recherche pendant qu'un autre médecin assure son remplacement. (2) Le Dr Olivier Delattre est directeur de recherche Inserm à l'Institut Curie. (3) Le transcriptome est l'ensemble des ARN messagers, les molécules servant de matrice pour la synthèse des protéines, issus de l'expression d'une partie du génome d'un tissu cellulaire ou d'un type de cellule.
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