L'administration Trump baillonne la recherche médicale américaine
Une emprise politique grandissante sur la recherche
Les Centres américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC) sont au cœur d’une vague de restrictions inédites. Selon Reuters, l’administration Trump a ordonné le retrait de toutes les publications scientifiques impliquant des chercheurs du CDC avant leur diffusion. Officiellement justifiée par un besoin de révision des communications gouvernementales, cette mesure impose un contrôle politique direct sur la recherche et cible particulièrement les sujets liés au genre et à l’identité sexuelle.
Un courriel interne révèle que les scientifiques de l’agence ne peuvent plus soumettre de manuscrits à des revues scientifiques externes sans une approbation préalable. En outre, plusieurs termes, tels que genre, transgenre, personnes enceintes, LGBT, transsexuel, non-binaire, sexe assigné à la naissance, mâle biologique, femelle biologique, ont été explicitement bannis des publications officielles.
Mais cette censure ne s’arrête pas aux publications scientifiques : elle touche également les bases de données et les communications publiques. Selon The Lancet, plus de 3 000 pages web contenant des données cruciales en santé publique ont été supprimées, y compris des statistiques sur le VIH et les inégalités de santé liées au racisme.
Une interruption des communications en santé qui perdure
Cette nouvelle directive va encore plus loin qu’une première mesure prise dès le 21 janvier, soit le lendemain de l’entrée en fonction du gouvernement Trump. Ce décret initial ordonnait une mise en pause immédiate de toutes les communications externes des agences de santé, suspendant ainsi la publication d’avis et de recommandations adressés aux hôpitaux américains.
L’une des conséquences les plus visibles de cette interdiction est la suspension de la publication du Morbidity and Mortality Weekly Report (MMWR), une publication hebdomadaire du CDC qui, pour la première fois en 60 ans, n’a pas été diffusée les 23 et 30 janvier. Cette pause concerne également la participation des chercheurs à des congrès scientifiques, limitant ainsi le partage des connaissances et la coopération entre experts.
Bien que cette interruption des communications soit censée durer le temps d’une révision des programmes, elle s’accompagne désormais d’une véritable purge des contenus en ligne. Selon la virologue Angela Rasmussen, citée dans la revue Science, un site du CDC qui compilait depuis 2015 des données sur les comportements à risque des jeunes a disparu, vraisemblablement parce qu’il incluait des informations sur les comportements à risque des personnes LGBTQ.
« Toutes les données sur le VIH sont disparues », indique Rasmussen, précisant que la page du CDC consacrée au racisme comme facteur de disparités en santé a également été supprimée. Inquiète de l’ampleur des suppressions, elle raconte avoir passé une nuit entière à télécharger des données sur la surveillance de la grippe, redoutant qu’elles ne disparaissent elles aussi. (sciencepresse.qc.ca)
« Je savais que ce serait mauvais, mais je ne savais pas que ce serait aussi mauvais. C’est comme une apocalypse de données », ajoute-t-elle.
Une recherche scientifique paralysée par les restrictions budgétaires
Ces directives ne se limitent pas aux publications scientifiques. D’après un éditorial de The Lancet, elles s’inscrivent dans une série de mesures aux implications profondes pour la santé publique et la recherche biomédicale:
- Le gel des financements fédéraux, mettant en péril le programme Medicaid et d’autres initiatives de santé publique.
- L’arrêt de plusieurs programmes de recherche des National Institutes of Health et du CDC.
- Le rétablissement de la politique de Mexico City, suspendant l’aide américaine aux organisations internationales proposant des services liés à la santé reproductive.
- L’interruption de la publication du Morbidity and Mortality Weekly Report pour la première fois en 60 ans.
Ces restrictions mettent en danger les avancées en matière de santé publique, notamment dans la lutte contre le VIH et d’autres maladies infectieuses. Comme l’a souligné le Dr Carlos Del Rio, du NEJM Journal Watch Infectious Diseases, il est impossible d’ignorer certaines populations sous prétexte de considérations idéologiques. Supprimer des données sur les minorités sexuelles et de genre compromet directement la prévention et la prise en charge des maladies.
La National Science Foundation, l’un des principaux organismes subventionnaires américains, a gelé les paiements de toutes les subventions déjà approuvées mais non encore versées. L’objectif annoncé est d’évaluer si certains projets financés sont en contradiction avec les nouvelles orientations gouvernementales.
En d’autres termes, l’avenir de nombreux projets scientifiques est suspendu à une décision purement politique, mettant en péril des années de travail et de progrès en santé publique.
Un climat de méfiance et d’autocensure dans la communauté scientifique
Face à ces restrictions, la communauté scientifique hésite entre protestation et autocensure. Certains chercheurs craignent que des critiques publiques ne conduisent à des représailles, tandis que d’autres appellent à une mobilisation collective.
Selon le Dr Alfredo Morabia, rédacteur en chef de l’American Journal of Public Health, le gouvernement tente d’interférer même avec des articles déjà acceptés en revue scientifique :
« Nous détenons les droits d’auteur sur les articles acceptés. L’auteur ne peut plus apporter de modifications », rappelle-t-il pour Reuters.
Le Dr Carlos Del Rio, spécialiste des maladies infectieuses, s’inquiète quant au respect des principes fondamentaux de liberté académique :
« Il semble incroyable que cela soit compatible avec le premier amendement. Comment le gouvernement peut-il décider des mots qu’une revue scientifique peut utiliser pour décrire une réalité ? ».
Dans ce contexte, The Lancet alerte sur une tendance inquiétante : l’autocensure des scientifiques. Certains chercheurs préfèrent désormais éviter les sujets jugés sensibles, de peur que leurs travaux ne soient bloqués ou qu’ils ne subissent des pressions administratives.
Une menace pour l’intégrité de la science
Historiquement, les États-Unis ont joué un rôle central dans la recherche et l’innovation scientifique mondiale. Les récentes restrictions imposées par l’administration Trump ébranlent cette position et remettent en cause des principes fondamentaux tels que la transparence et la libre diffusion des connaissances.
Cette situation est, selon The Lancet, une régression majeure pour la science et la médecine. La communauté scientifique a toujours joué un rôle clé dans la défense des politiques de santé publique fondées sur des preuves. Or, la crainte de représailles pourrait freiner la production et la diffusion de connaissances essentielles.
La suppression de 3 000 pages de données, l’interruption des publications du CDC et la mise sous contrôle de la recherche scientifique créent un climat de méfiance et d’incertitude. Comme le souligne The Lancet, il ne s’agit plus seulement d’un débat idéologique, mais bien d’une attaque directe contre la science et la santé publique.
« La santé est un bien social, bénéfique pour les sociétés, un moteur des économies et un chemin vers le développement. La médecine peut aider les populations vulnérables, soulager la souffrance et améliorer les conditions de vie. Ce que nous observons aujourd’hui remet en cause ces principes fondamentaux ».
Dans son éditoial, The Lancet, appelle la communauté médicale à ne pas rester passive face à ces menaces. L’éditorial souligne que certaines décisions pourraient être contestées sur le plan juridique et que la mobilisation des chercheurs, des soignants et des citoyens est essentielle pour défendre l’accès aux soins et la liberté scientifique. La revue insiste sur le fait que la santé publique ne peut être un enjeu partisan et appelle à une action concertée pour préserver les acquis des dernières décennies.
L’avenir de la recherche scientifique aux États-Unis dépendra de la capacité des institutions et des chercheurs à défendre leur indépendance face aux pressions politiques. Mais pour l’instant, une chose est claire : la vérité scientifique est en danger, et avec elle, la santé de millions de personnes.
Descripteur MESH : Recherche , Santé , Santé publique , Publications , Science , Liberté , Minorités , Pression , Politique , VIH Virus de l'Immunodéficience Humaine , Personnes , Gouvernement , Diffusion , Médecine , Face , Risque , Rôle , Climat , Santé reproductive , Statistiques , Manuscrits , Directives , Publications officielles , Programmes , Éditorial , Sociétés , Organismes , Économies , Hôpitaux , Temps , Populations vulnérables , Sexe , Racisme , Vie , Travail , Lutte , Coopération , Peur , Soins
1 réaction(s) à l'article L'administration Trump baillonne la recherche médicale américaine
Thomas BONNET| 10/02/2025-