Les Ehpad ne valent pas toujours ce qu'ils coûtent
Les Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) jouent un rôle essentiel dans l’accompagnement des seniors en perte d’autonomie. Pourtant, leur accès reste limité par des coûts souvent très élevés et une qualité de services inégalement répartie. Une étude de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) révèle les disparités entre les secteurs lucratif et non lucratif, interrogeant l’impact d’un marché encore faiblement régulé.
Des tarifs d’hébergement qui dépassent les revenus des retraités
En moyenne, le coût mensuel d’un séjour en Ehpad s’élève à 2 000 euros, un montant bien supérieur au revenu brut moyen des retraités français, estimé à 1 500 euros. Cependant, les disparités tarifaires sont importantes : les prix oscillent entre 1 400 et 6 000 euros par mois selon l’établissement. Les structures privées lucratives affichent les tarifs les plus élevés, avec une moyenne de 2 800 euros, contre 1 900 euros dans les établissements publics ou privés non lucratifs.
Cette disparité s’explique en partie par la liberté de fixation des prix dans le secteur lucratif. Tandis que les établissements non lucratifs bénéficient souvent de l’Aide sociale à l’hébergement (ASH), qui réduit le coût pour les résidents modestes, les établissements privés lucratifs fixent leurs tarifs de manière indépendante pour la majorité de leurs places. Cette autonomie amplifie les écarts, notamment dans les zones urbaines où le coût de l’immobilier est élevé : 21 % de la variation des prix est directement liée au prix du mètre carré dans la commune d’implantation.
La localisation est également déterminante. Dans les régions où l’offre d’Ehpad est limitée, les établissements lucratifs exercent un pouvoir de marché important, pratiquant des tarifs nettement plus élevés que dans les zones où la concurrence est plus forte. Par exemple, en Haute-Corse, où les lits disponibles sont rares et les Ehpad lucratifs dominants, les prix sont bien supérieurs à ceux pratiqués dans des départements comme la Bretagne, mieux pourvus en places non lucratives.
Prix et qualité ne sont pas toujours corrélés
L’étude démontre que les tarifs les plus élevés ne se traduisent pas systématiquement par une meilleure qualité de prise en charge. Cinq dimensions ont été analysées pour évaluer la qualité des établissements : l’encadrement du personnel, la qualité des infrastructures, la coordination avec les soins externes, les résultats en matière de santé des résidents, et les hospitalisations évitables.
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Personnel soignant : Les établissements non lucratifs disposent en moyenne de 50 équivalents temps plein (ETP) pour 100 résidents, contre 47 dans les Ehpad lucratifs. Cette différence reflète des contraintes budgétaires dans le secteur lucratif, où l’objectif de rentabilité peut limiter les recrutements.
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Infrastructures : Les Ehpad lucratifs se distinguent par des infrastructures modernes, offrant souvent des chambres climatisées et des jardins. Toutefois, ils proposent généralement moins d’espace par résident et des infrastructures moins adaptées aux soins intensifs, comme les lits médicalisés.
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Résultats de santé : Les résidents des Ehpad lucratifs subissent davantage d’hospitalisations non programmées ou évitables. Cela est particulièrement marqué dans les territoires où le secteur lucratif domine et où le secteur non lucratif, garant d’une meilleure concurrence, est moins présent.
Ces résultats soulignent une réalité préoccupante : les Ehpad lucratifs, même plus coûteux, ne garantissent pas une prise en charge de qualité supérieure. En outre, l’absence de données publiques accessibles sur la qualité des services renforce l’asymétrie d’information pour les familles, qui ont tendance à associer coût élevé et qualité, à tort.
Réguler pour garantir l’équité et améliorer la qualité
Face à ces constats, une régulation renforcée s’impose pour réduire les disparités tarifaires et améliorer la transparence sur la qualité des Ehpad en France. Plusieurs axes pourraient être explorés :
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Transparence et indicateurs de qualité : L’introduction d’indicateurs standardisés, accessibles au grand public, permettrait de guider les familles dans leurs choix. Ces indicateurs devraient couvrir des critères essentiels tels que la satisfaction des résidents, la qualité des soins et la fréquence des hospitalisations évitables. Une évaluation transparente renforcerait la confiance et l’équité dans le système.
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Encadrement des prix : Inspiré des modèles allemands et autrichiens, un plafonnement des tarifs pour les établissements lucratifs recevant des financements publics pourrait limiter les excès. Cependant, ce mécanisme doit être accompagné d’une régulation plus stricte pour éviter que la baisse des prix ne s’accompagne d’une diminution de la qualité des prestations.
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Rééquilibrage territorial : Les agences régionales de santé (ARS) et les départements pourraient mieux planifier l’ouverture de nouvelles places, favorisant une répartition équilibrée entre secteurs lucratif et non lucratif. Cela permettrait de réduire le pouvoir de marché excessif du secteur lucratif dans certaines zones, tout en garantissant un meilleur accès aux soins.
Ces réformes visent à instaurer un modèle plus équitable, où les coûts reflètent véritablement la qualité des services rendus. En renforçant la transparence et la régulation, il serait possible d’alléger le poids financier qui pèse sur les familles tout en garantissant un accueil digne et adapté aux besoins des résidents.
Conclusion
Alors que les coûts d’hébergement augmentent, la qualité des services reste inégale et mal évaluée. L’étude de l’IRDES met en lumière l’importance d’une régulation accrue, tant pour encadrer les tarifs que pour renforcer la qualité. Transparence, plafonnement des prix et meilleure planification territoriale apparaissent comme des pistes incontournables pour repenser le modèle actuel.
Cet article s’appuie sur les données publiées dans le numéro 295 des Questions d’économie de la santé de l’IRDES (décembre 2024). Pour des informations détaillées, consultez le rapport complet.
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