Arrêts maladie : une tendance structurelle amplifiée par des facteurs économiques et sociaux
Selon une récente étude de la DREES, le nombre de journées indemnisées au titre des arrêts maladie reste élevé en 2023, malgré la fin des dispositifs dérogatoires liés au Covid-19. Au-delà des fluctuations conjoncturelles, cette hausse repose sur des facteurs structurels qui touchent à la fois le vieillissement de la population active, les conditions de travail, et la dynamique salariale.
Une stabilisation en trompe-l’œil après la crise sanitaire
En 2023, environ 286 millions de journées d’arrêt maladie ont été indemnisées, contre 326 millions en 2022. Cette baisse apparente est principalement due à la fin des arrêts dérogatoires liés au Covid-19 au 1er février 2023. Une fois ces arrêts exceptionnels exclus, le nombre total de journées indemnisées se stabilise autour de 286 millions, un niveau nettement plus élevé qu’avant la crise sanitaire en 2019.
L’étude de la DREES démontre que la tendance haussière, observée depuis 2010 ( 2,3 % par an en moyenne jusqu’en 2019), s’est nettement accélérée après 2019 avec une progression moyenne de 3,9 % par an. Cette dynamique s’accompagne d’une forte croissance des dépenses : 10,2 milliards d’euros ont été versés au titre des arrêts maladie en 2023, soit une hausse de 6,3 % par an depuis 2019.
Vieillissement de la population et coûts plus élevés chez les seniors
La hausse des arrêts maladie s’explique largement par le vieillissement de la population active. Les salariés âgés de 50 ans et plus sont particulièrement concernés par des arrêts plus longs et plus coûteux. Bien que moins nombreux que leurs homologues plus jeunes, leurs arrêts de travail représentent 42 % des dépenses d’indemnisation.
Les raisons sont multiples :
- Une capacité de récupération réduite avec l’âge.
- Une rémunération plus élevée, ce qui accroît le montant des indemnités journalières (IJ).
- L’allongement de la durée d’activité, lié aux réformes des retraites, qui augmente mécaniquement l'exposition des seniors aux risques d’arrêt maladie.
Le taux d’activité des 55-64 ans est ainsi passé de 43,6 % en 2010 à 61,7 % en 2023, un facteur déterminant dans la hausse des arrêts observée sur cette tranche d’âge.
Facteurs économiques : l’impact de l’inflation et des salaires
Les revalorisations du SMIC, déclenchées par l’inflation, ont joué un rôle majeur dans l’augmentation des dépenses liées aux arrêts maladie. Le montant moyen des IJ, calculé sur la base des salaires, a progressé de 31 euros/jour en 2010 à 36 euros/jour en 2023. Cette hausse contribue pour près de 39 % à l’évolution des montants indemnisés sur la période récente (2019-2023).
Les jeunes salariés, souvent rémunérés au niveau du SMIC, ont ainsi bénéficié directement des hausses salariales exceptionnelles.
Hausse de la sinistralité et inégalités sectorielles
Outre les facteurs démographiques et économiques, la sinistralité a fortement augmenté :
- Le taux de recours aux arrêts maladie est passé de 25 % en 2010 à 28 % en 2023.
- La durée moyenne des arrêts a progressé, en particulier chez les seniors.
Des écarts importants subsistent selon les secteurs d’activité :
- Les arrêts sont plus longs dans les secteurs de la santé humaine et de l’action sociale, de la construction et de l’industrie, souvent en raison de conditions de travail plus difficiles.
- À l’inverse, les secteurs plus jeunes, comme l’information et la communication, enregistrent des arrêts plus courts.
Ces disparités traduisent non seulement des différences dans la composition démographique des secteurs, mais aussi dans les conditions de travail.
Le rôle des médecins : prescriptions excessives ou réalité des besoins ?
Face à l’augmentation des arrêts maladie, certains acteurs publics pointent du doigt des prescriptions médicales excessives. En réponse, l’Assurance Maladie a renforcé ses contrôles pour limiter les abus :
- 7 000 médecins jugés trop prescripteurs ont été identifiés et font l’objet de discussions ou de mises sous accord préalable.
- La lutte contre les arrêts injustifiés est devenue un axe prioritaire pour maîtriser les finances publiques.
Cependant, cette augmentation ne peut pas être exclusivement imputée aux médecins. L’étude de la DREES montre que les principaux moteurs sont structurels : vieillissement, dégradation des conditions de travail et hausse des taux de recours. Les médecins, en première ligne face à ces évolutions, jouent un rôle central dans l’accompagnement des travailleurs confrontés à des pathologies physiques et psychosociales croissantes.
Les arrêts injustifiés, bien que probablement réels, restent marginaux comparés aux besoins réels de la population active, de plus en plus exposée à des situations de fragilité.
Si la surveillance accrue des prescriptions est peut être nécessaire, elle ne doit pas masquer les causes profondes de la hausse des arrêts maladie :
- Améliorer les conditions de travail dans les secteurs à forte sinistralité.
- Renforcer la prévention des risques professionnels pour limiter les arrêts longs.
- Accompagner les entreprises pour mieux prendre en charge les contraintes psychosociales.
Les actions correctrices ne suffiront pas à endiguer la hausse tant que ces facteurs structurels ne seront pas pris en compte.
Le covid long : un facteur sous-estimé des arrêts maladie ?
Le Covid long, caractérisé par des symptômes persistants plusieurs semaines ou mois après une infection au Covid-19 (fatigue chronique, troubles neurologiques, douleurs musculaires), contribue en partie à la hausse des arrêts maladie. Environ 10 à 20 % des personnes infectées présentent ces symptômes, entraînant des arrêts longs ou récurrents, notamment dans les secteurs exigeants physiquement ou chez les seniors.
Si son impact exact reste difficile à quantifier, nottament en France, le Covid long accentue la tendance aux arrêts prolongés observée depuis la pandémie, ajoutant un poids supplémentaire aux dépenses d’indemnisation. Ce phénomène, encore sous-estimé, souligne l’importance d’un suivi médical adapté pour limiter ses conséquences sur la santé des travailleurs et leur maintien en emploi.
- Selon Santé Publique France, environ 2 millions d'adultes en France souffriraient de symptômes persistants du Covid-19.
- Parmi eux, plus de la moitié déclarent un impact "au moins modéré" sur leurs activités quotidiennes, et un tiers un impact "fort ou très fort"
- Une étude française sur 1000 patients a montré que 77% considéraient l'impact des symptômes comme "insoutenable" sur leur vie quotidienne et professionnelle
- Une étude allemande a révélé que 5,8% des patients diagnostiqués avec le Covid-19 ont pris un arrêt maladie de longue durée (au moins 4 semaines)
- Aux États-Unis, on estime que 15% des 10,6 millions d'emplois vacants en 2022 pourraient être liés au Covid long
- En Europe, le Covid long aurait réduit la main-d'œuvre de 364 000 à 663 000 personnes en 2021, et de 621 000 à 1 112 000 en 2022
Une dynamique structurelle à surveiller
La hausse des arrêts maladie, au-delà des effets conjoncturels liés à la crise sanitaire, est ancrée dans des facteurs structurels : vieillissement de la population, dégradation des conditions de travail, et inflation des salaires. Si les arrêts courts dominent en fréquence, ce sont les arrêts longs, concentrés chez les seniors, qui pèsent le plus sur les finances publiques. Le Covid long pourrait expliquer une partie de cette augmentation.
La question des prescriptions médicales mérite d’être encadrée sans stigmatiser les médecins, acteurs essentiels pour répondre à des besoins réels. L’enjeu est d’adopter une approche globale alliant prévention, amélioration des conditions de travail et surveillance ciblée des abus.
Descripteur MESH : Maladie , Population , Travail , Vieillissement , France , Médecins , Rôle , Personnes , Patients , Santé , Croissance , Santé publique , Lutte , Fatigue , Vie , Infection , Face , Emploi , Europe , Main