Suicides à l’hôpital : des soignants accusent l’État de harcèlement institutionnel

Suicides à l’hôpital : des soignants accusent l’État de harcèlement institutionnel Dix-neuf professionnels de santé et familles de victimes ont déposé plainte contre plusieurs membres du gouvernement, qu’ils jugent responsables de la dégradation des conditions de travail dans les hôpitaux publics. Cette enquête conjointe de France Inter et du Monde révèle une action inédite visant à briser le silence autour des suicides liés au monde hospitalier.

Une plainte collective portée devant la Cour de justice de la République

Seule habilitée à juger les membres du gouvernement pour des actes commis dans l’exercice de leurs fonctions, la Cour de justice de la République (CJR) a été saisie le 10 avril par une plainte regroupant vingt plaignants. Elle vise trois ministres : Catherine Vautrin (santé et travail), Yannick Neuder (santé et accès aux soins) et Élisabeth Borne (éducation nationale, enseignement supérieur et recherche). Cette dernière supervise également l’enseignement médical et détient un pouvoir disciplinaire sur les professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH).

La plainte repose sur plusieurs chefs d’accusation : harcèlement moral, violences mortelles, homicide involontaire et mise en péril de la personne. L’avocate Christelle Mazza s’appuie sur la jurisprudence France Télécom pour démontrer la responsabilité pénale de l’encadrement institutionnel. Selon elle, trois mécanismes alimentent une souffrance devenue structurelle : « l’organisation de la désorganisation institutionnelle », « la doxa budgétaire selon laquelle il faut faire plus avec moins » et « la pression exercée sur les personnels, qu’on écrase en instrumentalisant leur dévouement » (France Inter, 14 avril 2025).

En dépit de courriers d’alerte envoyés dès 2024 à la ministre de la santé et à l’Élysée — mentionnant un « risque très élevé de décompensation » chez plusieurs soignants — aucune réponse n’a été apportée.

La commission des requêtes de la CJR doit désormais décider, le 19 juin, si la plainte peut faire l’objet d’une instruction. La réponse est attendue à l’automne.

Des parcours brisés dans tous les corps de métier

Les récits contenus dans la plainte couvrent l’ensemble du territoire et toutes les strates du monde hospitalier : infirmiers, médecins, directeurs d’établissement. Tous décrivent un climat délétère, aggravé par des réformes successives et la crise sanitaire.

Le docteur R., chef des urgences à Poissy-Saint-Germain-en-Laye, s’est donné la mort en septembre 2023 dans son bureau, après avoir enchaîné des semaines à rallonge, sans pause ni répit. Sa veuve, cadre de santé, témoigne : « Il a été broyé par une machine qui exige des résultats sans donner les moyens de les atteindre » (Le Monde, 14 avril 2025).

À Brumath (Bas-Rhin), un infirmier s’est suicidé sur son lieu de travail en janvier 2023. L’inspection du travail a signalé le cas pour harcèlement moral. Trois autres suicides ont suivi dans l’établissement, selon les signalements internes.

À Béziers, une infirmière s’est donnée la mort en juin 2024. Son mari rapporte : « Elle se sentait harcelée par son chef de service, et faisait le travail de deux infirmières. Elle a laissé une lettre disant qu’elle faisait ce geste pour protéger les autres » (France Inter, 14 avril 2025). Trois mois plus tard, un brancardier de l’établissement s’est également suicidé.

Une souffrance peu reconnue, rarement documentée

Alors que les signaux d’alerte s’accumulent, les dispositifs institutionnels peinent à réagir. Plusieurs hôpitaux affirment avoir mis en place des plans d’action, comme à Mantes-la-Jolie où un médecin ORL s’est donné la mort début 2025. Ces réponses restent cependant ponctuelles et insuffisantes.

À ce jour, aucune autorité nationale ne tient de registre des suicides dans la fonction publique hospitalière. Le Centre national de gestion n’a pas répondu aux sollicitations. L’Observatoire national du suicide, de son côté, déplore « ne pas disposer de données fiables par profession ».

Dans ce contexte d’absence de reconnaissance statistique et de faible réponse politique, les plaignants espèrent une prise de conscience institutionnelle. Une infirmière, avant de passer à l’acte, a résumé cette attente dans une lettre : « Je fais ça pour les générations futures. Pour qu’on prenne conscience. »

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