Fermeture de lits : une transition nécessaire mais mal maîtrisée
La DREES a confirmé la poursuite de la réduction des lits dans les hôpitaux français en 2023. Cette situation s'inscrit dans une tendance de longue date, mais soulève de nombreuses questions quant à son bien-fondé et ses conséquences sur la qualité des soins en France.
Les fermetures de lits, une tendance qui s'accélère
Depuis 2013, le paysage hospitalier français se métamorphose à vitesse grand V. Le compteur des lits supprimés affiche un décompte implacable : 43 500 lits effacés en une décennie, soit une chute de 10,5 % du parc hospitalier. Et la tendance est plutôt à l'accélaration.
En 2023 : -1,3 % de lits (4 900 lits fermés)
En 2022 : -1,8 % de lits
En 2021 : -1,4 % de lits
Comparé à la période 2013-2019 où la décroissance atteignait 0,9% annuellement, le rythme actuel s'emballe, laissant présager des tensions croissantes dans le dispositif de soins.
Pourtant l'ancien ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, promettait la réouverture de "plusieurs milliers de lits" fin 2023. Cette promesse non tenue vient nourrir les inquiétudes des professionnels de santé et des patients. Comment absorber les pics d'activité ? Comment garantir une prise en charge optimale avec des capacités d'accueil réduites ? Ces questions restent sans réponse, renforçant un sentiment de désorganisation et d'impréparation du système hospitalier.
Les décideurs expliquent cette diminution des lits par deux facteurs principaux : le virage ambulatoire et les contraintes de personnel.
Le virage ambulatoire : un virage trop serré ?
Les autorités sanitaires prônent une réorganisation de l'offre de soins vers des hospitalisations plus courtes et des prises en charge en ambulatoire. Cette orientation s'appuie sur des preuves scientifiques solides largement documentées.
Amélioration de la qualité et de la sécurité des soins : Le rapport du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) sur le développement de l'ambulatoire souligne que cette approche peut effectivement améliorer la qualité des soins en réduisant les risques d'infections nosocomiales et en optimisant les ressources.
Réduction des réadmissions : Une méta-analyse en réseau incluant 126 essais cliniques et 97 408 participants a montré que les interventions de soins de transition de complexité faible à moyenne étaient associées à une diminution des réadmissions à 30 jours par rapport aux soins habituels.
Optimisation des ressources et réduction des coûts : Le modèle de soins de transition (Transitional Care Model - TCM) développé par l'Université de Pennsylvanie a démontré son efficacité pour réduire les coûts et améliorer les résultats de santé, notamment chez les patients âgés atteints de troubles cognitifs.
Si dans son rapport de 2021, le HCSP justifie scientifiquement la nécessité d'un virage ambulatoire, il insiste largement sur le fait que la transition vers un modèle ambulatoire doit être accompagnée de mesures de sécurité robustes et d'une planification minutieuse pour éviter des conséquences néfastes.
Les préconisations du HCSP appellent à des définitions claires et à la mise en place de centres spécialisés en ambulatoire pour garantir un développement sécurisé et équitable. Or, selon Frédéric Bizard, économiste de la santé, « le virage ambulatoire hospitalier n'a pas été bien appréhendé par la classe politique », et les faits montrent que cette politique a été menée « à coup de rabots », créant des déséquilibres.
Le HCSP souligne que l'accès aux soins est une priorité, notamment pour les populations éloignées des grands centres urbains. L'accélération des fermetures de lits en 2023 a eu des conséquences sur la capacité des hôpitaux à gérer les flux de patients, exacerbant les tensions dans les services d'urgence, augmentant le risque d'erreurs médicales et ajoutant encore plus de pression sur des soignants largement au bout du rouleau.
L'inégalité territoriale est également mise en lumière par le rapport du HCSP, et celui-ci mettait clairement en avant le risque de lourdes conséquences sur certaines zones rurales, déjà mal desservies.
Le rapport souligne enfin que la pandémie de Covid-19 a montré l'importance de conserver des capacités hospitalières suffisantes pour faire face aux crises. La réduction continue du nombre de lits met en danger cette capacité de réaction, et bien que l'ambulatoire puisse jouer un rôle important, il ne peut compenser entièrement la prise en charge complexe des patients nécessitant une hospitalisation complète.
Le cercle vicieux des fermetures de lits et l'attractivité décroissante des professions de santé
La pénurie de personnel soignant est l'une des principales raisons avancées pour justifier la fermeture de lits d'hôpitaux. Cette situation résulte de plusieurs facteurs interconnectés.
Une pénurie de personnel alarmante
Les métiers de la santé perdent en attractivité : 98,4 % des professionnels signalent des conditions de travail difficiles, des salaires jugés insuffisants et un manque de reconnaissance. Ces conditions engendrent des difficultés de recrutement et de rétention du personnel, avec jusqu'à 5 % des postes vacants dans les établissements publics et une augmentation préoccupante des démissions. En 2023, 60 000 postes d'infirmières restaient non pourvus, soit six fois plus qu'en 2019, tandis que l'absentéisme atteint en moyenne 10 % selon la FHF.
Un épuisement professionnel généralisé
L'épuisement professionnel est devenu monnaie courante, 77,9 % des soignants ayant été diagnostiqués en burn-out. La santé mentale des professionnels est gravement affectée, le taux de suicide chez les internes étant trois fois supérieur à celui de la population générale. Cette situation crée une incapacité chronique à maintenir un nombre suffisant de soignants pour garder tous les lits ouverts, forçant les hôpitaux à réduire leurs capacités d'accueil.
Rompre la spirale négative
La fermeture de lits accroît la charge des soignants restants, augmentant stress et épuisement, et dissuade les nouvelles recrues, alimentant ainsi une spirale de fermetures et de dégradation des soins. Pour briser ce cycle infernal, un investissement massif dans la formation, le recrutement et l'amélioration des conditions de travail est une condition sine qua non. Revaloriser l'image des professions de santé est également essentiel pour restaurer l'attractivité du secteur. Seule une stratégie globale pourra garantir un système de santé plus robuste et durable, capable de répondre efficacement aux besoins des patients.
La mutation du système de santé ne peut se faire à coup de rabots
La fermeture continue de lits d'hôpitaux en France soulève de sérieuses inquiétudes quant à la capacité du système de santé à répondre aux besoins de la population. Bien que le virage ambulatoire soit soutenu par des preuves scientifiques solides, sa mise en œuvre semble davantage dictée par des contraintes budgétaires et de personnel que par une véritable stratégie d'amélioration des soins.
Une réflexion approfondie sur l'attractivité des métiers de la santé, l'allocation des ressources et l'adaptation du système aux besoins réels des patients semble nécessaire pour éviter une crise majeure du système hospitalier français. Cette réorganisation doit tenir compte des avantages démontrés de l'ambulatoire tout en veillant à maintenir une capacité d'hospitalisation suffisante pour répondre aux besoins de la population, notamment dans les situations d'urgence et pour les patients nécessitant des soins complexes.
Le rapport du Haut Conseil de la santé publique souligne la complexité du virage ambulatoire, qui requiert non seulement un transfert des soins de l'hôpital vers la ville, mais aussi une réorganisation interne des établissements hospitaliers. Cette transition exige une compréhension approfondie et une planification rigoureuse, aspects que la classe politique actuelle semble avoir sous-estimés et peine à financer adéquatement.
La mutation du système de santé nécessite une vision à long terme, dépassant les simples coupes budgétaires, pour construire un modèle de soins durable et efficace.
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1 réaction(s) à l'article Fermeture de lits : une transition nécessaire mais mal maîtrisée
isabelle herry| 06/11/2024-
L ambulatoire est une horreur pour la chirurgie : patients âges, chutes au domicile, oubli des anticoagulants et embolies pulmonaires, infections… il faudra bientôt se faire soigner ailleurs et avoir des proches médecins avertis pour être correctement soigné et surtout éviter la chirurgie à chaque fois que c est possible.