L’Institut Mutualiste Montsouris au bord du gouffre : anatomie d’une crise systémique
Dans l’ombre des coupoles de la Cité universitaire, l’Institut Mutualiste Montsouris (IMM), fleuron de la médecine parisienne, se trouve dans une situation critique. Placé en redressement judiciaire le 30 janvier 2025, cet établissement privé à but non lucratif – classé parmi les 50 meilleurs hôpitaux de France – illustre les tensions profondes d’un système hospitalier pris entre contraintes budgétaires et quête d’excellence. Avec une dette cumulée de 120 millions d’euros, la pérennité de l’institut est aujourd’hui incertaine.
Un document interne, circulant parmi les mutualistes et dont le Journal du Dimanche a eu connaissance, met en lumière l’urgence de la situation : la trésorerie actuelle ne permettrait de couvrir les salaires et les charges que pour trois mois. « La situation est sérieuse, reconnaît Jean-Michel Gayraud, directeur de l’établissement, mais il n’y a aucun problème pour payer les salaires et les fournisseurs. Nous sommes la propriété de mutuelles qui assument leurs responsabilités depuis des années. »
« L’IMM est un établissement d’excellence, composé de praticiens reconnus pour leur haut niveau de compétences. La procédure engagée a pour but de permettre à d’éventuels repreneurs ou partenaires de proposer un projet pérenne pour la continuité de notre centre hospitalier et pour le bien de la communauté du personnel et des patients. Cette procédure s’inscrit bien dans la volonté de tous de surmonter cette situation économique difficile. Nous restons confiants quant à l’issue de cette démarche »
Le dossier est suffisamment sensible pour que deux figures majeures de la Mutualité française, Thierry Beaudet (MGEN) et Daniel Havis (Matmut), aient annulé leur participation à un déjeuner officiel avec la ministre de la Santé pour se consacrer à l’examen de cette crise.
Une spirale financière incontrôlable
l’engrenage immobilier
Les difficultés financières de l’IMM trouvent en partie leur origine dans les emprunts contractés lors de sa création, notamment auprès de Dexia (30 millions d’euros). À cela s’ajoute un vaste projet immobilier lancé au début des années 2000, creusant progressivement le déficit. La réforme de la tarification à l’activité (T2A), instaurée en 2004, a aggravé cette situation en rendant impossible la compensation des investissements hospitaliers.
« Le système T2A ne prévoit pas de compenser les investissements immobiliers », explique une source interne sous couvert d’anonymat. Résultat : 72 millions d’euros manquent au budget, plaçant l’hôpital dans « une situation de déséquilibre structurel » selon le rapport des administrateurs judiciaires. Selon un rapport de MFPass, cité par Miroir Social, « le financement de la construction par l’IMM lui-même a généré un déficit structurel ».
Un modèle économique sous pression
La crise post-Covid achève de fragiliser l’édifice. Alors que l’inflation galopante et les revalorisations salariales creusent les besoins, les pouvoirs publics n’octroient qu’une aide partielle. Comme le rapporte Le Parisien, la direction de l’IMM dénonce une « sous-compensation par l’État de l’inflation et des mesures salariales post-Covid ».
L’IMM est confronté à un paradoxe budgétaire. Son activité a augmenté de 13 % en trois ans, mais son chiffre d’affaires n’a progressé que de 7 %. « Nous sommes pénalisés par nos modalités de financement », déplore Marc Tranchat, secrétaire général de la Mutuelle Fonction Publique des Affaires Sociales et de Santé (MFPass), organisme mutualiste propriétaire de Montsouris.
À cela s’ajoute un obstacle majeur : son statut d’établissement de santé privé d’intérêt collectif (ESPIC). Ce modèle hybride – avec des médecins salariés et une interdiction des dépassements d’honoraires – prive l’IMM de certaines subventions allouées aux hôpitaux publics, tout en l’empêchant de générer des revenus complémentaires comme le secteur privé lucratif. Les ESPIC comme Montsouris sont pris en tenaille entre les contraintes du public et la concurrence agressive du privé lucratif.
Urgence sociale et médicale
Un établissement de pointe en péril
La procédure judiciaire place directement en danger 1 470 salariés et 485 lits, dont 60 % dédiés à la chirurgie lourde. Dans un contexte où le système hospitalier francilien a déjà perdu 4 867 lits en 2023, la disparition de l’IMM aurait des répercussions majeures. « Fermer Montsouris, c’est enlever un poumon à la médecine française », alerte le Dr. Lefèvre, cancérologue au sein de l’établissement depuis quinze ans.
L’institut est en effet un acteur incontournable de la recherche et du soin. Classé dans 20 spécialités par Le Point, il réalise 45 000 séjours annuels et est reconnu comme un centre d’excellence en oncologie. Son expertise en chirurgie invasive et robotique attire des patients de toute l’Europe. « Nous risquons de perdre un maillon essentiel de la recherche clinique », prévient le Pr. Leclerc, membre de l’Académie de médecine.
Dans la communauté médicale, l’inquiétude grandit face à l’incertitude entourant l’avenir de l’Institut Mutualiste Montsouris (IMM). Une lettre signée par 240 médecins – soit la quasi-totalité du corps médical de l’établissement – exprime leur incompréhension et leur désarroi.
« Nous sommes déstabilisés », confie au monde le professeur Marc Beaussier, président de la commission médicale d’établissement. « Depuis la sortie de la crise du Covid-19, nous avons tout fait pour que l’activité reprenne, elle est dynamique et en croissance [ 30 % sur les années 2023 et 2024]. » Avec 55 000 séjours hospitaliers et 250 000 consultations par an, l’IMM a non seulement retrouvé son niveau d’activité d’avant-crise, mais l’a même dépassé.
Le professeur insiste sur l’impact qu’aurait une éventuelle fermeture de l’établissement : « Une fermeture de l’IMM est inimaginable. Nous assurons un service public, notre qualité médicale est largement reconnue… pourquoi nous laisse-t-on dans cette situation ? »
une mobilisation politique et citoyenne
Au sein de la sphère politique, le dossier a été porté à l’Assemblée nationale par Rodrigo Arenas, député La France insoumise de la circonscription. Fin octobre, il a adressé une question écrite au ministère de la santé, alertant sur le « désastre sanitaire à l’échelle de la région parisienne » que représenterait la fermeture de l’IMM. Il y met en avant l’importance de l’établissement, notamment en ce qui concerne les 2 000 accouchements réalisés chaque année.
Dans la société civile, une mobilisation s’organise également. Une pétition en ligne visant à « sauver » l’IMM a déjà réuni, début février, plus de 4 000 signatures.
Pistes de sauvetage : le grand flou
Des aides publiques insuffisantes
Alors que les coûts ont explosé – notamment avec l’inflation et la revalorisation des salaires ( 183 euros mensuels pour les infirmiers) –, l’IMM se retrouve pris à la gorge. Si les pouvoirs publics ont consenti à une aide exceptionnelle de 48 millions d’euros, cela reste largement insuffisant au regard des besoins, estimés à 120 millions d’euros.
Les mutualistes attendent un geste supplémentaire de l’État, qui tarde à se manifester. Trois ans plus tôt, lors du congrès mutualiste de Nice, François Hollande s’était engagé à répondre à leurs principales demandes. Mais aujourd’hui encore, les promesses restent lettre morte.
Le mirage de la fusion avec Saint-joseph
Annoncé en grande pompe en février 2024, le projet de fusion avec l’Hôpital Saint-Joseph (groupe Elsan) s’est finalement enrayé. « Les cultures organisationnelles étaient incompatibles », confie une source proche du dossier, évoquant des divergences sur la gouvernance médicale. La direction cherche désormais à nouer des alliances inédites avec des acteurs universitaires, sans qu’aucun accord concret n’ait été dévoilé.
La course contre la montre
Avec une trésorerie limitée, l'établissement joue sa survie au jour le jour. L'ARS Île-de-France a déclaré dans un communiqué cité par Le Parisien : « Dans les discussions qui vont s'engager [...] l'ARS Île-de-France sera attentive au maintien de l'unité de l'établissement. »
Avec seulement trois mois de trésorerie, l’IMM joue sa survie au jour le jour. Plusieurs options sont envisagées :
- une recapitalisation forcée des mutuelles historiques, malgré leur réticence
- une cession partielle de certains actifs immobiliers
- une intervention in extremis de l’État, via des garanties d’emprunt exceptionnelles
« L'établissement restera pleinement opérationnel et continuera à assurer avec le même niveau de qualité les missions de service public qui lui sont confiées » IMM .
épilogue : un symbole qui dérange
Derrière le cas Montsouris se profile un enjeu plus vaste : l’avenir du modèle mutualiste dans un système de santé en tension. L’incapacité d’un hôpital de pointe à équilibrer ses comptes dans le cadre du financement hospitalier actuel interroge sur la viabilité du modèle. Alors que le gouvernement prépare une réforme des ESPIC pour 2026, cette crise constitue un signal d’alerte.
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