Urgences en crise : un été 2024 révélateur des failles structurelles
Des fermetures en cascade
Les résultats de l’enquête menée par SUdF sont édifiants. Durant l’été, 61 % des services d’urgences (SU) ont dû fermer au moins une ligne médicale, soit près de deux tiers des établissements interrogés. Quant aux SMUR, qui représentent le dernier rempart face aux urgences vitales, 51 % ont également dû fermer des lignes. Ces fermetures, qui touchent aussi bien les départements ruraux que les centres urbains, ont privé de nombreux territoires d’une couverture médicale adéquate. Le chiffre est d’autant plus frappant que 1 500 lits supplémentaires ont été fermés dans les services de médecine et de chirurgie, accentuant la pression sur les équipes soignantes et les patients.
Une communication gouvernementale lénifiante
Malgré ces faits accablants, le gouvernement persiste à afficher une image trompeuse de la situation. Dans un ton critique, SUdF n’a pas manqué de dénoncer l’attitude de Frédéric Valletoux, ministre démissionnaire de la santé, qui s’est félicité du bon déroulement de l’été 2024 et d’une soi-disant amélioration des urgences. Pourtant, cette vision est en totale contradiction avec la réalité vécue sur le terrain. Comme le souligne le communiqué de presse du 17 septembre 2024, les professionnels de santé font face à une situation où la sécurité sanitaire n’est plus assurée, y compris pour les urgences vitales. Les chiffres de l’enquête témoignent d’un système hospitalier au bord du gouffre, où des fermetures massives de services laissent des milliers de patients dans l’incertitude et les délais de prise en charge explosent.
Ce décalage flagrant entre le discours politique et les conditions réelles est révélateur de l’hypocrisie du gouvernement, qui préfère s’appuyer sur une communication lénifiante plutôt que de reconnaître l’effondrement du système hospitalier. Cela ne fait que renforcer le sentiment d’abandon des soignants, déjà épuisés après des années de crise.
Un effondrement orchestré par des politiques qui ont sacrifié la santé des Français sur l'autel de la réduction du coût du travail
Loin d’être une simple conséquence de l’été 2024, la situation actuelle des urgences est le résultat de décennies de politiques publiques qui ont progressivement affaibli le système de santé dans le but de réduire le coût du travail. Les gouvernements successifs, en quête d’économies budgétaires, ont délibérément sous-financé le secteur de la santé, aboutissant à un sous-effectif chronique, des fermetures de lits et une diminution de l’attractivité des professions médicales. La régulation de l’accès aux urgences par le SAMU-SAS, aujourd’hui devenue une mesure conventionnelle, ne fait que masquer temporairement la gravité de la situation en détournant les patients à faible gravité vers d’autres structures. Mais cette solution, bien qu’efficace pour diminuer la pression immédiate sur les services d’urgences, ne résout pas le problème de fond.
En réalité, les réformes menées depuis des années n’ont fait qu’aggraver la crise. Le décret du 29 décembre 2023, loin d’apporter des améliorations, a permis la généralisation des fermetures de lignes médicales et des lits sans proposer de solutions concrètes. En parallèle, la gestion défaillante des lits hospitaliers pousse chaque année davantage de patients à rester des heures, voire des jours, sur des brancards dans les couloirs des urgences, situation que SUdF qualifie de maltraitance institutionnelle.
Des solutions existent, mais où est la volonté politique ?
Face à cette situation critique, SUdF a proposé 10 mesures pour tenter de renverser la tendance et améliorer la prise en charge des patients. Ces propositions incluent notamment la création de centres de soins primaires pour désengorger les urgences, l’obligation de réserver des lits non programmés dans chaque hôpital, et l’instauration d’un ratio patients/soignants au sein des services d’urgence. Cependant, sans une véritable volonté politique de la part du gouvernement pour réformer en profondeur le système hospitalier, ces mesures risquent de rester lettre morte.
Le bilan de l’été 2024 est un signal d’alarme qui ne peut plus être ignoré. Les professionnels de santé, déjà épuisés par des années de crise, ne pourront pas indéfiniment compenser par des heures supplémentaires et des sacrifices personnels. Il est urgent que les décideurs politiques prennent la mesure de la gravité de la situation et agissent pour rétablir un système hospitalier capable de répondre aux besoins de la population.
Verbatims extraits du rapport
« Va-t-on réussir un jour à travailler dans des conditions sereines, qui nous permettent de prendre en charge correctement un requérant ? J’envisage une reconversion, j’aime plus que tout mon métier… Mais je suis épuisée. »
« Je quitte l'hôpital public pour aller dans le privé ou dans un centre de soins non programmé. »
« On risque de ne pas pouvoir continuer ainsi. On réfléchit à ne plus assurer les nuits de WE pour faciliter le reste de la semaine. On diminuera forcément les effectifs de médecins pendant les congés scolaires, à 1 seul médecin par jour. Enfin on va bousculer les horaires de présence pour renforcer l'équipe médicale sur le pic de fin de journée/début de soirée. Néanmoins les urgentistes, chez nous, vieillissent : 2 de 55 ans, 1 de plus de 61 ans. Ces 3 médecins ne font plus de gardes de 24 heures depuis 1 an. Et celui de 61 ans ne fait plus de nuit. Le recrutement de jeunes urgentistes est très difficile. On ne sait pas combien de temps on va pouvoir tenir ainsi ! »
« On est en plein dans la catastrophe mais je pense qu'en dehors des professionnels de santé personne ne s'en rend compte. »
« Les conditions de travail sont vraiment dégradées, la prise en charge des patients en devient tellement indigne. »
« La fermeture des services d'urgences de périphérie et l'absence de lit d'aval aggravent les prises en charge augmentant la morbi-mortalité des patients et un sentiment d'insatisfaction grandissant du travail d'urgentiste s'aggravant d'années en années... sans grande reconnaissance des difficultés par notre gouvernement. »
« La fermeture des cliniques la nuit a créé une augmentation de la fréquentation. Il n'y a plus de tranche horaire plus calme la nuit par rapport à la journée. Associé au manque de médecins cela crée une attente indécente pour les patients. Heureusement les paramédicaux sont là. »
« Plutôt très pessimiste sur l'avenir de l'hôpital et des urgences : impression d'être les seuls à assurer la permanence de soins la nuit, les WE, les jours fériés et les vacances sans avoir la reconnaissance adaptée qu'elle soit financière ou par les moyens alloués pour travailler dans de meilleures conditions. »
« J'ai quitté le CHU il y a 6 ans pour cause de gardes et journées devenues intolérables et je vois que lentement les conditions de travail dans les hôpitaux périphériques se dégradent de la même façon pour rejoindre bientôt le niveau de pénibilité des CHU et cela ne dérange personne. »
« L'entrée aux urgences doit être régulée par le 15, 24h/24h, car beaucoup trop et toujours plus de patients se rendent aux urgences par eux-même pour des problèmes ne relevant pas des urgences. Ceci entraine un épuisement et une perte de sens des urgentistes contraints de faire de la bobologie... »
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