Logique comptable versus qualité des soins : la convention médicale dans l’impasse
Dans le cadre des négociations de la convention médicale, la CNAM aurait proposé, selon différentes sources syndicales, une revalorisation sans condition de 6 % du tarif de base de la consultation médicale, soit 26,5 €. Elle aurait également expliqué que son contrat d’engagement territorial était un point non négociable de la convention. Les syndicats de médecins libéraux sont pour une fois unanimes pour refuser de telles propositions. Ils appellent à la grève le 14 février prochain.
La CNAM propose un euro et demi supplémentaire pour les consultations de base
Les syndicats se donc rendus le 2 février porte de Montreuil pour écouter les dernières propositions de Thomas Fatome, le directeur de la CNAM. 1,5 € de plus pour la consultation de base, soit une augmentation de 6 % ou encore 26,5 € pour le GS et la VGS.
Si 6 % d’augmentation peuvent paraitre honorables pour beaucoup de professions, il convient de rappeler que ces tarifs n’ont pas été revalorisés depuis 2017, ce qui explique que la plupart des syndicats se sentent humiliés par une telle proposition.
Si l’UMLS, la FMF et médecins pour demain revendiquent 50 € tout en supprimant les rémunérations forfaitaires, la CSMF et MG-France proposent 30 €, mais sans condition. L’écart est d’autant plus abyssal que cette revalorisation est la seule dans le package de la CNAM à ne pas être assortie de nouvelles contraintes pour les médecins libéraux.
Le « contrat d’engagement territorial » est non négociable
Car lors de cette réunion, qualifiée de monologue par le SML, les syndicats ont été éberlués d’apprendre que le contrat d’engagement territorial (CET) était un point non négociable alors que ce contrat est le point d’achoppement qui a conduit les syndicats à quitter officiellement la table des négociations.
Le contrat d’engagement territorial devrait à en croire la CNAM permettre aux médecins de bénéficier d’un forfait de rémunération annuel de 3000 € selon la FMF. En contrepartie les médecins généralistes et les spécialistes devront s'engager à respecter au moins un item de leur choix pour chacune des thématiques suivantes :
Ils pourront également prétendre à des tarifs de consultation majorés, mais non dévoilés à ce stade et dépendant d’une nomenclature dite simplifiée.
Le niveau 0 inclura les actes de téléconsultation et les consultations chez des généralistes en dehors du médecin traitant. Les consultations courantes seront regroupées au niveau 1, les consultations pour enfants et les premières consultations chez un nouveau médecin traitant au niveau 2, et les consultations spécialisées au niveau 3.
Le Dr Talbot de la FMF donne son sentiment sur le niveau d’engagement attendu par la CNAM.
« Une chose est sûre, on attend des médecins qu’ils voient plus de patients, qu’ils fassent plus de SNP, plus d’actes en PDSA, mais attention, la CNAM nous l’a répété plusieurs fois “on vous donne les moyens de voir plus de patients sans travailler plus” (sic).
Et les niveaux à atteindre sont quand même conséquents : il faut atteindre le 70e percentile pour la file active (1900 patients différents par an) ou la patientèle ADULTE (plus de 1200 patients, donc ceux qui ont une grosse activité pédiatrique travailleront gratuitement), ou avoir un assistant labellisé CNAM (les secrétaires ne comptent pas) ou un IDE Asalee.
L’adhésion à une CPTS devient de fait quasi obligatoire.
Les généralistes seront priés d’ouvrir 35 samedis par an (et j’ai posé la question : dans les cabinets de groupes, assumer les samedis à tour de rôle ne compte pas, c’est 35 samedis par médecin) et les spécialistes d’ouvrir 5 jours par semaine.
Nous avons pourtant une définition très claire d’un temps plein médical libéral dans l’avenant 3 de la convention actuelle, ou dans les Contrats de Praticiens Territoriaux, ou dans le CAIM : un temps plein c’est 8 demi-journées par semaine. Donc les spécialistes doivent travailler AU-DELA d’un temps plein.
Mais rappelez-vous bien : la CNAM ne nous demande pas de travailler PLUS. Là encore, cherchez l’erreur. Et demandez-vous QUAND vous allez caser votre FMC dans cet emploi du temps. »
Les négos dans l'impasse
Les syndicats de médecins libéraux commencent à avoir une vision plus claire des propositions de la CNAM pour l’évolution de la convention médicale. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’elles laissent un gout amer dans la bouche des représentants syndicaux qui y voient tous une absence d’écoute et une forme de mépris à l’endroit des médecins libéraux.
En dehors de l’euro et demi supplémentaire pour les consultations de base et dans la suite des vœux présidentiels, la proposition de la CNAM consiste essentiellement à assortir de nouvelles contraintes organisationnelles toute revalorisation de la rémunération des médecins libéraux. Plus de patients, plus de gardes, plus d’actes, plus de samedis travaillés, plus de critères à respecter… l’approche de la CNAM dans ces négociations est avant tout une approche comptable et bureaucratique de la médecine voire low cost et productiviste.
De leur côté, les syndicats sont peu ou prou unanimes pour réclamer plus d’attractivité pour leur profession afin d’inciter les médecins formés à s’installer et à éviter que les plus âgés ne déplaquent prématurément. Pour eux cette attractivité passe par plus de moyens financiers et moins de contraintes afin de leur permettre de s’organiser en toute indépendance pour pratiquer une médecine de qualité au service de leur patient.
Dans une tribune remarquable, le Dr Marty prône un programme de transformation pour l’exercice libéral de la médecine qui repose sur trois principes : substituer la logique de valeur des actes à celle de volumes, rendre lisible le modèle économique pour optimiser l’utilisation de l’argent public, et responsabiliser l’exercice libéral pour répondre aux besoins sanitaires des territoires.
Selon lui, la négation de la valeur de la consultation médicale est la cause de l’effondrement du système, car elle « enferme la médecine dans un stakhanovisme délétère pour la santé des médecins, des patients et l’optimisation des ressources. »
Il propose une hausse progressive de la consultation vers 50 €, accompagnée d’une transformation de la consultation vers une approche centrée sur la prévention, la prise en compte holistique du patient, et l’utilisation du numérique. Il milite pour que chaque médecin puisse doubler son temps de consultation sans que cela mette en danger son modèle économique.
Et selon lui ce changement serait même rentable pour l’Assurance maladie, qui pourrait voir le cout global de prise en charge des patients chroniques réduit de façon considérable. Enfin, cette revalorisation améliorerait la lisibilité du modèle économique et encouragerait l’installation de médecins, réduisant ainsi les déserts médicaux.
« C’est la quantité de médecins installés qui doit résoudre l’équation de la pénurie et non l’épuisement des médecins déjà installés par toujours plus d’actes. » Dr Marty
À ce stade les positions des parties prenantes dans cette négociation paraissent inconciliables et l’hypothèse d’un règlement arbitral de la convention prend au fil des jours de plus en plus d’épaisseur.
Les syndicats de médecins ont annoncé une grève et une manifestation pour le 14 février devant le Sénat en réponse à une séance de négociations décevante et à la proposition de loi Rist. Les syndicats ont écrit une lettre commune à la Première ministre pour exprimer leur mécontentement concernant les « décisions bloquantes », notamment l’utilisation de vecteurs législatifs pour contourner les syndicats, l’ONDAM insuffisant pour la médecine libérale et les nouvelles contraintes sur les tarifs. Ils réclament une enveloppe financière supplémentaire et annoncent d’autres mesures de rétorsion, telles que la grève de la permanence des soins ambulatoire, la restriction de l’ouverture des cabinets en soirée et le samedi matin.
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