La financiarisation de l'offre de soins : un risque pour l'indépendance médicale ?

La financiarisation de l’offre de soins : un risque pour l’indépendance médicale ? Un rapport de la commission des affaires sociales du Sénat, publié ce jour, alerte sur la progression inquiétante de la financiarisation dans le secteur de la santé. Alors que des fonds d’investissement prennent le contrôle de cliniques, laboratoires et centres d’imagerie, les sénateurs appellent à une régulation stricte pour protéger l’indépendance des professionnels de santé et assurer la qualité des soins. Ce rapport met en lumière les dérives possibles d’un système de santé de plus en plus dominé par des intérêts financiers.

La progression rapide de la financiarisation dans la santé

Depuis le début des années 2000, le secteur de la santé, notamment l’hospitalisation privée et la biologie médicale, a vu l’émergence de fonds d'investissement dans le capital des groupes de soins. En 2021, 62 % des sites de biologie médicale en France étaient concentrés entre six grands groupes, rendant ces secteurs extrêmement vulnérables aux dynamiques de concentration et de rentabilité financière. L’implication croissante des fonds d’investissement a permis aux cliniques privées de réaliser des fusions et des acquisitions massives, renforçant la création d’oligopoles régionaux.

Par exemple, 40 % des cliniques privées françaises sont désormais détenues par seulement quatre groupes : Ramsay Santé, Elsan, Vivalto et Amalviva. Cette concentration du marché crée des risques de distorsion concurrentielle et réduit la diversité de l’offre, comme le souligne l’Autorité de la concurrence.

Des effets ambigus sur l’offre de soins

Bien que l’intervention des investisseurs permette des économies d’échelle et la rationalisation des services, elle présente des conséquences potentiellement néfastes sur la régulation des dépenses de santé et la structuration de l’offre. Dans certains territoires, l’arrivée de grands groupes privés a réduit l’accès à des soins de proximité, en particulier dans la biologie médicale. La fermeture de laboratoires locaux au profit de grandes structures centralisées a allongé les délais de traitement et a limité les horaires d'ouverture.

Par ailleurs, les protocoles d'accord entre les assureurs et les grands groupes financiers influencent directement les tarifs, souvent au détriment des petits opérateurs indépendants. En conséquence, les pouvoirs publics peinent à réguler efficacement ces acteurs devenus très puissants.

Un danger pour l’indépendance des professionnels de santé

La financiarisation du secteur médical ne se contente pas de transformer l’offre de soins ; elle menace également l’indépendance des professionnels de santé. En effet, de nombreux rapports mettent en avant les risques liés à la prise de contrôle de sociétés d’exercice libéral (SEL) par des investisseurs extérieurs. Ces montages financiers peuvent nuire à la prise de décision autonome des professionnels. Les ordres médicaux ont d’ailleurs signalé leurs inquiétudes face à des clauses contractuelles ou statutaires qui permettent aux investisseurs de prendre le contrôle des décisions stratégiques des sociétés de soins.

Les conséquences de ces dérives sont profondes : elles incitent certains praticiens à privilégier la rentabilité financière au détriment de l’intérêt des patients. Si cette tendance se poursuit, c’est la déontologie médicale qui pourrait être mise à mal, et les soins aux patients pourraient devenir un enjeu secondaire dans un secteur dominé par des impératifs financiers.

Un encadrement nécessaire et urgent

Face à ces transformations inquiétantes, il apparaît urgent de renforcer les outils de régulation. Les autorités sanitaires, en collaboration avec les ordres professionnels et les élus locaux, doivent élaborer des dispositifs qui limitent l’influence des acteurs financiers dans la santé. Cela implique de mieux encadrer l’accès au capital des SEL et d’assurer une juste répartition de l’offre de soins sur le territoire national.

Par ailleurs, il est nécessaire d’outiller les professionnels de santé, en particulier les jeunes générations, afin qu'ils puissent faire face à ces nouveaux défis. Des formations sur la gestion des structures médicales et l’importance de l’indépendance professionnelle devraient être intégrées aux cursus des futurs praticiens pour garantir un système de santé orienté avant tout vers les patients et non vers la rentabilité.

Si la financiarisation de l’offre de soins en France peut apporter des bénéfices économiques à court terme, elle représente un danger à long terme pour l’accessibilité, la qualité des soins et l’indépendance des professionnels de santé.

Dans lemonde.fr, Bernard Jomier, rapporteur de la commission, a exprimé sa préoccupation en soulignant que « la financiarisation représente une menace pour les fondements mêmes de notre système de santé, qu'il s'agisse de l'organisation des soins, de l'indépendance des professionnels, de la gestion des ressources ou encore du coût pour les patients ». Il appelle les autorités à réagir rapidement face à ce phénomène grandissant, tout en précisant que l'objectif n'est pas de rejeter les investisseurs, mais de s'assurer que les impératifs de santé publique prévalent sur les logiques de profit​.

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1 réaction(s) à l'article La financiarisation de l'offre de soins : un risque pour l'indépendance médicale ?

  • MyPassion

    Sylvaine Bénassie | 29/09/2024- REPONDRE

    À qui la faute? On veut que l’hôpital devienne rentable, que la santé coûte moins cher… c’est une volonté politique que le système se privatise (ou « s’américanise »), alors jouer les étonnés quant à l’ingérence des investisseurs privés est d’une hypocrisie abyssale.

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