Crise des Urgences : le Pr Jouve désigne les médecins libéraux comme responsables

Le professeur Jean-Luc Jouve a récemment provoqué une vive controverse en pointant du doigt les médecins libéraux comme principaux responsables de la crise des Urgences. Cependant, cette prise de position pourrait détourner l'attention des véritables causes de cette situation, notamment les choix politiques ayant affaibli le système de santé public.

Ces dernières semaines, la situation critique des services d'urgence a une nouvelle fois fait la une des médias, en particulier durant l'été, période traditionnellement tendue. Alors que les acteurs du secteur, qu'ils soient politiques ou médicaux, s'accordaient sur les améliorations apportées à la coordination entre médecins hospitaliers et libéraux, le professeur Jean-Luc Jouve, chef du service de chirurgie orthopédique à l'hôpital de la Timone et président de la commission médicale d'établissement de l'AP-HM, a ravivé les tensions en désignant les médecins libéraux comme coupables de cette crise.

"Tant que l’on n’aura pas un Gouvernement, et quel qu’il soit, qui aura le courage d’imposer à la médecine libérale de participer à la solidarité nationale et à la permanence des soins, tant que les urgences des hôpitaux publics seront les seuls établissements ouverts dans ces périodes-là ; alors on aura cette problématique", a poursuivi le président du CME de l'AP-HM.

Un discours qui détourne l’attention

Lors d'une interview sur France Info, le Pr Jouve a affirmé que l'absence de participation suffisante des médecins libéraux à la permanence des soins était à l'origine de l'engorgement des urgences. Il a suggéré que sans une intervention gouvernementale imposant cette participation, la situation resterait inchangée. Toutefois, ce discours semble occulter des problèmes bien plus profonds, en particulier les conséquences des politiques de santé publique menées depuis plusieurs décennies.

Les politiques de réduction des coûts, la fermeture de lits d'hospitalisation et la gestion centralisée des ressources ont considérablement fragilisé les hôpitaux publics. Ces choix ont conduit à une pénurie de personnel soignant et à une saturation des services, particulièrement en période estivale où les effectifs sont réduits. En mettant l'accent sur la responsabilité des médecins libéraux, le Pr Jouve pourrait involontairement ou non détourner l'attention des responsabilités politiques dans cette crise systémique.

Une réaction ferme des médecins libéraux

Les propos du Pr Jouve ont rapidement provoqué l'indignation des syndicats de médecins libéraux, en particulier l'UFML-S. Dans un communiqué publié le 21 août 2024, le syndicat a dénoncé des déclarations « profondément diffamatoires » et rappelé que les médecins libéraux assurent la continuité des soins à hauteur de 97 % les week-ends et jours fériés, et 96 % les soirs de semaine. L'UFML-S souligne également que les services d'urgence des cliniques privées reçoivent chaque année plus de trois millions de patients, souvent dans des conditions plus difficiles qu'à l'hôpital public, et sans l'appui d'internes.

En outre, le syndicat a rappelé que les véritables problèmes des services d'urgence résident dans le manque de lits et de personnel, conséquence de décisions politiques successives. L'UFML-S a exigé des excuses publiques du Pr Jouve et a saisi l'Ordre des médecins, dénonçant une attaque contre l'ensemble de la profession libérale.

Les véritables enjeux : une crise systémique et politique

L'intervention du Pr Jouve pourrait ainsi contribuer à détourner le débat des véritables enjeux. La crise des Urgences est avant tout le résultat de politiques de santé publique qui ont fragilisé l'ensemble du système hospitalier. Les hôpitaux publics, sous-financés et sous-dotés en personnel, peinent à faire face à une demande croissante de soins, en particulier durant les périodes de tension.

L’économiste de la santé Frédéric Bizard estime sur FranceInfos que cette polarisation du débat entre secteur public et privé est « stérile » et détourne l'attention des réformes structurelles nécessaires pour résoudre cette crise. Selon lui, il est essentiel de repenser l’organisation des soins, d’assurer une meilleure répartition des ressources et de garantir une équité de traitement entre le public et le privé.