Convention médicale : la CNAM lâche du lest au dernier moment

Convention médicale : la CNAM lâche du lest au dernier moment Après deux jours d'intenses négociations, les syndicats de médecins et l'Assurance Maladie ont conclu vendredi soir une nouvelle version de la convention médicale. Ce texte, en discussion depuis six mois, fixera les tarifs et conditions d'exercice des médecins libéraux pour les cinq prochaines années. Les syndicats disposent de quinze jours pour consulter leurs membres et décider de signer ou non.

Un marathon de discussions

Les discussions ont été marquées par des sessions marathon au siège de l’Assurance-maladie à Paris. Les syndicats, représentant tant les généralistes que les spécialistes, ont exprimé le sentiment d'avoir été globalement entendus, bien que des désaccords subsistent. Le vendredi 17 mai au soir, les six syndicats représentatifs des médecins libéraux ont quitté le siège de l’Assurance-maladie avec la satisfaction d'avoir évité le pire notamment concernant les engagements collectifs qui ne sont ni obligatoires, ni opposables, mais sans aucune certitude d'engagement définitif. Thomas Fatôme, directeur général de l’Assurance-maladie, a promis de transmettre le texte final en début de semaine suivante. Chaque syndicat consultera alors sa base avant de prendre une position officielle, avec l’espoir de clore ce feuilleton conventionnel autour du 27 mai. Bien que la CNAM ait fait des concessions dans la dernière ligne droite, beaucoup de médecins les jugent largement insuffisantes.

Un léger rattrapage mais pas de choc d’attractivité

L'Assurance-maladie a proposé un investissement de 1,6 milliard d’euros sur la période 2024-2028, montant porté à 1,9 milliard d’euros en incluant les dépenses des complémentaires santé. Cette enveloppe devrait couvrir les revalorisations des consultations et des actes médicaux. « C'est une négociation réussie, je pense que chacun est allé au bout de ce qu'il pouvait », a salué Patricia Lefébure, présidente de la FMF dans Egora. Cependant, les syndicats, bien que reconnaissants des efforts consentis, jugent ces mesures insuffisantes pour compenser l’inflation et attirer de nouveaux praticiens. « Les 30 euros, aujourd'hui, ça rattrape l'inflation. Mais en décembre, déjà, je ne sais pas. Et là c'est pour cinq ans… », nuance la Dre Agnès Giannotti, présidente de MG France. Sophie Bauer, présidente du SML, rappelle que les 30 euros proposés restent très en deçà de la moyenne européenne et que pour rattraper l’inflation, il aurait fallu a minima 34 euros.

Le parcours de soins dernier point d'acchoppement pour MG France 

Un des principaux points de friction concerne la possibilité pour un spécialiste de coter un avis ponctuel de consultant (APC) à la demande d'un autre spécialiste sans passer par le médecin traitant. Les généralistes, représentés par le syndicat MG France, considèrent cette évolution comme une ligne rouge, craignant une désorganisation du parcours de soins. « Le rôle du médecin traitant, la cohérence du parcours de soins doivent être respectés. Il n’est pas possible, en une phrase, de les gommer de cette façon. C’est notre ligne rouge », affirme Agnès Giannotti pour lemonde.fr.

 

Les revalorisations obtenues

Pour les généralistes, le tarif des consultations G(S) et VG(S) passera à 30 € dans six mois, sans revalorisation immédiate. Une augmentation significative du forfait médecin traitant (FMT) est prévue, mais seulement à partir de 2026. Une nouvelle catégorie de consultations longues sera introduite en 2026, avec des conditions strictes. De plus, le COE verra une hausse en deux paliers : une première augmentation en décembre 2024 et une seconde en juillet 2025.

Concernant les spécialistes, l'APC sera fixé à 60 € dès décembre 2024. Les consultations CS seront à 31,50 €, et les consultations CNP à 52 €. Les pédiatres, endocrinologues et dermatologues bénéficieront de revalorisations en deux étapes, en décembre 2024 puis en juillet 2025. Une révision de la CCAM est attendue en 2026, avec une augmentation progressive du point travail CCAM et des modificateurs T et K. Dès janvier 2025, certains spécialistes pourront bénéficier des nouvelles consultations ESS.

Pour tous les médecins, le dispositif des assistants médicaux sera revalorisé, permettant deux ETP en décembre 2024. Le tarif de la téléexpertise sera fixé à 23 € en janvier 2026, et quelques majorations ponctuelles entreront en vigueur en janvier 2026. Pour inciter les médecins à s’installer dans les déserts médicaux, la CNAM propose une aide de 5 000 à 10 000 euros pour les nouveaux arrivants et une augmentation de 5 euros par consultation pour les consultations en soirée.

Certains tarifs en baisse

Le Forfait structure sera globalement réduit de moitié avec le DONUM, et le forfait SAS perdra 400 € en passant de 1400 € à 1000 €. Les actes de radiothérapie verront une diminution de 5 %. Les majorations F, MM et MN pour les actes en horaire de PDSA non régulés seront presque supprimées. La cotation YYYY010 sera drastiquement limitée, et certaines spécialités perdront la ROSP. De plus, les dispositifs actuels d’aide à l’installation en ZIP seront quasiment éliminés.

 

Synthèse du projet de convention 2024

Points positifs

Le projet de convention 2024 propose diverses augmentations tarifaires et revalorisations offrant une perspective d'amélioration notable des revenus des omnipraticiens. Les spécialistes bénéficieront également de revalorisations spécifiques et d'une révision de la CCAM prévue pour 2026. De plus, l'introduction des consultations ESS pour certains spécialistes dès janvier 2025 montre une volonté de diversifier et d'adapter les services médicaux aux besoins des patients.

Points négatifs

Cependant, ces augmentations, souvent différées, réduisent leur impact immédiat. L'augmentation du FMT et la création de consultations longues n'entreront en vigueur qu'à partir de 2026, trop tard pour répondre aux besoins urgents. Les augmentations de tarifs pour les actes spécifiques, bien que positives, sont relativement modestes et étalées sur plusieurs années, insuffisantes pour compenser les coûts croissants de la pratique médicale. De plus, la réduction du Forfait structure et du forfait SAS, ainsi que la diminution des majorations pour les actes de radiothérapie, suscitent des inquiétudes. La limitation stricte de certaines cotations et la perte de la ROSP pour certaines spécialités sont perçues comme des mesures défavorables, ajoutant aux incertitudes entourant le transfert des sommes de la ROSP vers le volet prévention du FMT et les impacts réels de la réforme de la CCAM. Les professionnels de santé nécessitent des garanties claires et une visibilité sur l'application de ces mesures pour pouvoir s'adapter en conséquence.

En réalité, les syndicats ont principalement mené une négociation "défensive". Leur action s'est concentrée sur la suppression des points inacceptables, la non-opposabilité des objectifs collectifs et une légère réduction du calendrier d'application.  Ils ont échoué à obtenir la liberté tarifaire, un choc d'attractivité avec des revalorisations qui les rapprocheraient de la moyenne européenne, une simplification administrative et une clause de revoyure pour compenser l'inflation.

Un accord possible mais tres incertain

Bien que des avancées significatives aient été réalisées, certains syndicats, comme l’UFML, affirment qu’ils ne signeront pas. Sur Facebook, le Dr Marty rappelle que l'UFMLS avait anticipé les propositions de revalorisation des consultations, dont la montée progressive à 30 euros. Il souligne que la temporalité des augmentations a été utilisée comme monnaie d'échange. Il affirme que seule la CSMF semble prête à signer, tandis que d'autres syndicats, comme MG France et Avenir Spé-Le Bloc, attendent de voir des clarifications sur certaines règles, notamment l'application de l'APC. L'UFMLS reste ferme sur sa position de ne pas signer, estimant que le modèle proposé, basé sur des augmentations tarifaires tous les cinq ans et une dépendance croissante aux subventions, n'est pas acceptable. Ils continueront à pousser pour une action de déconventionnement collectif.

« Et si on en restait au règlement arbitral ? C’est une option qui mérite qu’on y réfléchisse. Nous n’avons pas obtenu ce que nous voulions, nous avons notre fierté, on envoie balader l’UNCAM et on en reste là en espérant obtenir mieux d’une nouvelle négociation. Sauf que nous ne sommes absolument pas certains d’en obtenir une avant 4 ans (plus rien n’y oblige l’UNCAM), et que c’est rester sur une position figée sans espoir rapide d’amélioration. » envisage le Dr Talbot sur le site de la FMF.

Le Dr Franck Devulder, président du syndicat CSMF, se montre favorable à la ratification de la convention, la qualifiant de compromis bénéfique sans nouvelles contraintes pour les médecins. « Cette convention, qui est un compromis, apporte-t-elle un plus ? Je pense que oui (...) Et est-ce qu'elle apporte des contraintes en plus [pour les médecins ?] Je pense que non », a-t-il résumé pour Franceinfos. Le ministre délégué à la Santé, Frédéric Valletoux, a salué le projet d'accord en le qualifiant de « juste équilibre entre revalorisation de la médecine de ville, qualité et pertinence des pratiques, et réponses aux besoins des Français en matière de santé ». La décision finale dépendra de la consultation des bases syndicales, prévue pour la semaine du 27 mai. « Je ne ferai pas de déclaration si ce n’est que nous soumettrons le texte à nos adhérents », avance le Dr Patrick Gasser d’Avenir Spé.

Le projet de convention 2024 présente un ensemble de mesures qui, bien qu'elles apportent certaines améliorations, manquent d'envergure et de réactivité pour répondre aux défis urgents du secteur médical. Les augmentations différées, les réductions de certains forfaits et les incertitudes persistantes soulèvent des doutes quant à l'efficacité globale de cette convention. En l'absence de choc d'attractivité et de simplifications administratives, la démographie médicale restera en berne et les déserts médicaux avanceront inexorablement. Néanmoins la signature d'un telle convention pourrait apparaitre légitime pour de sortir du statu quo, dans l'espoir, un peu fou, de créer une dynamique de changement et de bénéficier des revalorisations proposées pour améliorer le pouvoir d'achat des médecins, en berne depuis 2017.

Un enjeu plus politique que sanitaire 

L’Assurance-maladie et le gouvernement continuent à marteler dans leur communication que cet accord permettra d’améliorer l’accès aux soins et de rendre la médecine libérale plus attractive.  L'objectif affiché est de revaloriser les consultations et les rémunérations des médecins généralistes et spécialistes, en échange d'engagements collectifs visant à améliorer l'accès aux soins pour tous les Français. « J’ai la conviction que ce projet de convention doit permettre d’améliorer l’attractivité de la médecine libérale, notamment de la médecine générale, et l’accès aux soins, donc le fonctionnement du système de santé », a avancé Thomas Fatôme.

C'est une vision pour le moins optimiste de la situation. Si l'objectif était vraiment celui ci, les moyens alloués à cette convention auraient été bien plus conséquents.  A la veille des élections européennes et en pleine révolte en Nouvelle Calédonie, les enjeux sont bien plus politiques que sanitaires. En février 2023, une première tentative de négociation avait échoué, butant sur la question des engagements individuels, perçus par les médecins comme une contrainte inacceptable. Cet échec avait plongé le système de santé dans une crise profonde et fini par faire reculer la classe politique sur des mesures coercitives à l'installation.

L'Assurance-maladie est déjà confrontée à une négociation difficile avec les pharmaciens, qui ont prévu une grève le 30 mai, et le gouvernement doit également gérer le mécontentement des cliniques privées, en grève à partir du 3 juin. Un nouvel échec dans les négociations avec les médecins libéraux serait un facteur d'embrasement social supplémentaire et représenterait un coup dur pour les autorités. Pour les esprits les plus contestataires cela fait deux bonnes raisons de ne pas signer cette convention.

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