« Le Titanic coule et vous jouez du violon sur le pont » répond le Dr Marty à Agnès Firmin Le Bodo
Le Dr Marty, président de l’UFMLS a publié une lettre ouverte à l’attention de la ministre déléguée Agnès Firmin Le Bodo en réaction à des propos pour le moins irritants à l’endroit des médecins grévistes.
Madame la Ministre,
Ce jeudi 24 novembre 2022, devant l’association des journalistes de l’information sociale, vous avez dit à propos du mouvement de grève des médecins libéraux, les 1 et 2 décembre : « Ce n’est pas le bon moment » pour faire grève « ils sont de moins en moins populaires », « je sens sur le terrain que le sentiment de nos concitoyens à l’égard des médecins commence à changer. Beaucoup de nos concitoyens ne comprennent pas pourquoi ils n’ont plus accès à un médecin », « j’en appelle à la responsabilité de chacun ».
Mme la Ministre, j’en appelle à VOTRE responsabilité !
Votre responsabilité dans ce que vivent les Français.
En un raccourci manipulatoire, vous tentez de rendre les médecins coupables des difficultés que rencontrent les Français à accéder à un médecin.
Mme la Ministre, ils n’y sont pour rien. Les responsables politiques, eux, y sont pour beaucoup, et vous en êtes. Vous avez épousé une carrière politique, vous avez gravi les échelons, jusqu’à être ministre déléguée, et cela vous impose de porter votre part de responsabilité dans les lois et décrets qui ont amené à la situation actuelle.
Les médecins, eux, sont restés soignants, et ont traversé ces années aux côtés de leurs patients. De loi en loi, de décret en décret, ils se sont adaptés, et ils ont maintenu le système, jusqu’à l’épuisement, jusqu’à la désespérance, parfois jusqu’au drame… Ils ont maintenu le système « quoiqu’il en coûte », madame la ministre, et vous, vous qui avez accepté, accompagné ou voté des lois inadaptées, insuffisantes, parfois dangereuses, vous en appelez à leur responsabilité, et avec le plus grand cynisme, vous transformez les conséquences des politiques en causes. Les difficultés d’accès aux soins sont les conséquences directes des politiques de santé successives. Le nombre de médecins et leur répartition sont ces mêmes conséquences. En faire des causes n’est pas la moindre des outrances.
« Ce n’est pas le bon moment » nous dites-vous, ah bon ? Vous nous expliquerez ce qu’est un bon moment… Dans l’attente, je vais vous rappeler quelques « bons moments ».
C’est le bon moment toute l’année pour soigner dans des conditions déplorables, à 55 h par semaine sans capacité de salarier une secrétaire ou un assistant. Pour rappel madame la ministre, les médecins ne vendent pas de pastilles mentholées, d’huiles essentielles, de lotion antirides, de shampoing colorant, ou, pire, de gélules sucrées remplies de rien…
Non madame la ministre, point de diversification commerciale pour eux.
C’est le bon moment pour essayer d’absorber une demande de soin explosive quand des consœurs ou confrères épuisés déplaquent ou partent sans être remplacés.
C’est le bon moment quand par votre volonté de ne pas développer la médecine libérale vous nous imposez d’être maltraitants.
Mais surtout, c’était le bon moment de se placer face à la covid sans masques ni moyens de protections.
C’était le bon moment, pour des dizaines d’entre nous, de mourir de soigner parce que votre gouvernement, dirigé par votre président de parti, était incapable de leur fournir ces protections, mentait sur leur disponibilité présente ou à venir, et construisait sa politique de santé publique sur les manques.
C’est le bon moment de vous rappeler cela, madame la ministre.
Ainsi nous serions de moins en moins populaires… ? Ce n’est pas dévoiler un secret que de rappeler que vous m’avez dit exactement la même chose, la même phrase, lorsque je vous ai rencontré dans votre bureau pour l’UFMLS, il s’agit donc d’un élément de langage que vous utilisez comme un mantra.
Je vous ai répondu Mme le Bodo, les Français ont confiance en leur médecin en des taux jamais démentis de 89 à 94 %, et s’ils peuvent manifester une légitime colère, elle n’est pas contre les médecins, mais bien contre celles et ceux qui ont construit leurs difficultés. Vous pouvez toujours désigner les médecins coupables de ces difficultés et irresponsables, vous gagnerez probablement un peu de temps en les salissant, mais au final la responsabilité sera toujours vôtre.
Le sentiment de nos concitoyens va changer et il va changer vite quand ils percevront les résultats de votre politique. Le Titanic coule et vous jouez du violon sur le pont. Dramatique…
La santé libérale est au sol, vous allez la redresser en donnant quelques actes de médecins aux infirmières, aux kinés et beaucoup aux pharmaciens. Vous allez financer 10 000 assistants et demander aux médecins qu’ils voient ainsi plus de patients, toujours plus, et qu’ils tiennent encore le système de santé à bout de bras, quoiqu’il en coûte, ou plutôt quoiqu’il leur en coûte. Le même nombre de soignants, le même nombre de patients et comme par magie la résolution de l’accès au soin…
Sur mon terrain « IRL », les infirmières croulent sous la demande de soins et font souvent des journées de plus de 12 h, les kinés refusent du monde et les pharmaciens n’ont pas de capacités à ajouter de l’acte à l’acte (même si certains installent des cabines de téléconsultations, il y a des margoulins partout…). Dans la vraie vie, votre plan ne résout rien, il jette de la poudre aux yeux aux gogos en un sinistre tour de bonneteau : peu importe la moindre qualité, peu importe l’épuisement, il faut faire croire à l’action, il faut gagner du temps, il faut sauver le cul du politique.
Alors oui, madame la ministre, nous allons faire grève et nous allons le faire précisément parce que nous prenons nos responsabilités, parce que nous n’acceptons plus le sabotage de nos exercices, parce que nous ne cautionnons plus la casse de notre médecine. Oui nous allons faire grève parce que nous ne voulons plus être maltraitants. Oui nous allons faire grève parce que nous n’avons pas d’autres moyens et que votre politique, comme votre négation des responsabilités passées, nous y oblige.
Cette grève nous la reconduirons si les faits nous l’imposent, et nous le ferons lā encore en responsabilité.
Nous sommes médecins, madame la ministre, nous avons fait ce choix, cet engagement. Nous voyons plusieurs fois par an une immense majorité de la population française, nous les voyons individuellement en un colloque singulier des millions de fois répété. Ils nous parlent, ils se confient, plus qu’ils ne le feront jamais à un politique ou derrière un comptoir, alors ne venez pas nous faire la leçon, nous savons mieux que quiconque les difficultés et les drames. Nous prendrons nos responsabilités, nous les avons toujours prises. Les 1 et 2 décembre, nous fermerons.
Recevez, madame la ministre, l’expression de ma haute considération.
Dr Jérôme Marty
Président UFMLS
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