L’intégration des nouvelles technologies en cancérologie
Dans le cadre des Rencontres de la Cancérologie Française 2019, le Dr Maya Gutierrez, oncologue médicale à l’Institut Curie, revient, dans l’interview ci-dessous, sur l’intégration actuelle des nouvelles technologies en cancérologie, des avantages de l’intégration des chatbots et intelligences artificielles dans le parcours de soin, mais aussi les défis, en particulier, organisationnels qui restent encore à relever.
Dr Maya Gutierrez
Oncologue médicale à l’Institut Curie.
Référente médicale au GCS Sesan (Service Numérique de Santé) sur des programmes de santé numérique.
Responsable du projet Appli Chimio (https://applichimio.com/)
Quels sont les avantages des nouvelles technologies et comment sont-elles actuellement intégrées dans le parcours de soin ?
Les nouvelles technologies apportent un bénéfice à de nombreux patients à différentes étapes de leur prise en charge. Tout d’abord, les outils de coordination ville-hôpital peuvent améliorer la communication entre les soignants et fluidifier le parcours. Les portails patients hospitaliers, eux, permettent aux personnes malades de consulter leurs comptes rendus ou leurs rendez-vous et d’échanger avec leurs professionnels de santé en ligne. L’essor et le succès des réseaux sociaux de patients et des chatbots [1] facilitent l’empowerment [2] des patients et rompent l’isolement lié à la maladie. Quant au développement de la télémédecine, elle fait apparaître de nouveaux usages au service du patient. Pour les professionnels de santé, le partage d’information permet de gagner un temps considérable, d’éviter de refaire des examens inutiles et de devoir reconstituer l’historique du patient avec divers interlocuteurs. Au-delà de ces aspects, on a, avec les systèmes d’information, une plus grande visibilité du travail des professionnels de santé. Par exemple, là où avant on échangeait par téléphone, aujourd’hui on fait de la télémédecine et demain du télésoin. Cela permet d’ailleurs une rémunération de ces actes autrefois « cachés ».
Le rôle et le défi des nouvelles technologies sont d’harmoniser les prises en charge tout en veillant à ne pas amplifier une fracture numérique entre les patients connectés pouvant bénéficier de différents services et les autres.
Le principal facteur limitant de ces nouvelles technologies est la multiplicité des outils et le manque d’interopérabilité obligeant les utilisateurs à se connecter à différentes plateformes ou à télécharger plusieurs applications. Ces outils existent, mais doivent donc évoluer pour mieux répondre aux besoins et attentes des patients et des professionnels de santé.
Comment améliorer l’intégration des nouvelles technologies en cancérologie ?
Pour mieux intégrer les nouvelles technologies, il est essentiel de pouvoir concentrer le maximum de fonctionnalités dans un minimum d’outils tant pour les professionnels de santé que pour les patients. C’est d’ailleurs un des objectifs de « Ma santé 2022 ». Il ne faut pas négliger le temps nécessaire pour utiliser les outils et, aujourd’hui, certaines opérations sont redondantes ou non automatiques. Par exemple, le professionnel de santé peut être amené à créer un dossier patient pour chaque outil, à chaque fois en renseignant les mêmes items, ou alors, il doit transférer manuellement des documents, tels que des comptes rendus, d’une plateforme à une autre.
Le défi est de conserver la même sécurité des données avec une simplification des processus de création et de transfert des dossiers et documents des patients via plus d’automatisation.
Enfin, les outils intégrant ces nouvelles technologies sont issus de domaines variés qui n’ont pas forcément une ergonomie adaptée au domaine de la santé. Pour favoriser les usages, il faudrait davantage travailler l’ergonomie pour une meilleure intégration, par exemple, par la mise en place d’une démarche d’expérience et d’interface utilisateur (UX/UI design)
Pourquoi l’intégration des nouvelles technologies en cancérologie, et en santé en général, est-elle plus lente ?
En santé, le degré de sécurité des données est très important et spécifique comme cela existe dans d’autres domaines comme par exemple le domaine bancaire. De nombreuses problématiques sont à prendre en compte comme la nécessité de la sécurisation des données de santé, leur hébergement, l’application stricte des lois RGPD (cf. premières amendes RGPD pour l’hôpital de Barreiro au Portugal en 2018 et l’hôpital Haga aux Pays-Bas en 2019 [3]). Les enjeux sont très importants, ce qui entraîne une évolution et une intégration plus lentes. Un autre point important est la multiplicité, dans le domaine de la santé et en cancérologie plus particulièrement, des acteurs et des systèmes d’informations, ce qui ralentit les processus de transformation numérique.
La question du consentement est également clé. L’utilisation des nouvelles technologies pour des actes comme une télé expertise entraîne la mise en place d’un circuit d’information du patient et de traçabilité du consentement. C’est une étape additionnelle à intégrer à la charge de travail habituelle, entraînant un frein supplémentaire à son application.
Comment est perçue l’intégration des nouvelles technologies en cancérologie ?
Mon sentiment est que le professionnel de santé est parfois réticent ou craintif à l’intégration de ces nouvelles technologies. Elles ont beaucoup d’avantages comme se libérer des contraintes spatio-temporelles, mais elles entraînent aussi une gestion supplémentaire des données. Or les oncologues manquent souvent de temps pour bien les appréhender et les utiliser. Par exemple, si via un portail patient les personnes peuvent facilement contacter l’équipe soignante et leur poser des questions, cela peut entraîner une surcharge de travail. Ces outils doivent donc être construits avec les soignants, et les projets bénéficier grandement des retours d’expériences des autres initiatives. L’aspect collaboratif dans la e-santé est primordial et les meilleurs ambassadeurs en sont les professionnels de santé eux-mêmes. L’important est d’évaluer dans son ensemble l’apport du numérique et incontestablement le bilan est positif. On n’imagine pas la mise en place de programmes innovants sans les nouvelles technologies. Elles sont devenues incontournables, tant pour les patients que pour les soignants.
Quelle est, selon vous, la perspective entre les nouvelles technologies et l’humain en cancérologie ?
En oncologie, il y a un réel besoin humain. Je ne crois pas qu’il soit possible de le faire disparaître. Je pense plutôt que les nouvelles technologies et l’humain sont complémentaires. Le contact humain reste au cœur du parcours de soin. Par exemple, si un patient recherche des informations sur sa maladie via un chatbot1, il conserve toujours la possibilité d’avoir accès à un avis d’un professionnel de santé en face à face, que ce soit son médecin ou un autre expert pour un deuxième avis.
Les RCFr 2019 se dérouleront le 26 et 27 novembre 2019 prochains à Paris au Pavillon Cambon, autour de l’intégration en cancérologie. Retrouvez le programme complet sur : https://www.rcfr.eu/programme/ le-programme.htm
[1] Robots conversationnels
[2] Processus de transformation personnelle par lequel les patients renforcent leur capacité à prendre effectivement soin d’eux-mêmes et de leur santé, et pas seulement de leur maladie et de leur traitement (I. Aujoulat)
[3] L’hôpital de Barreiro a reçu une amende en 2018 en raison de sa politique d’accès aux bases de données des patients. L’hôpital Haga a quant à lui reçu une amende en juin dernier par manque de sécurisation des données de santé, notamment vis-à-vis des exigences d’authentification et de traçabilité.
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