Les risques professionnels des injections d’insuline auprès de personnes diabétiques : mythes ou réalités ?
Soumis à des horaires de plus en plus exigeants et à des pressions quotidiennes diverses, les professionnels de santé doivent, aujourd’hui plus que jamais, s’assurer que leur sécurité et leur bien-être au travail figurent bien parmi les priorités de leurs employeurs. Nous nous penchons ici sur le cas particulier du personnel soignant administrant des injections d’insuline à des personnes diabétiques. Ces professionnels font-ils face à des risques plus importants que les autres ? Doivent-ils être mieux protégés ?
Au cours de mes années d’expérience en tant qu’endocrinologue, j’ai pu entendre un certain nombre d’hypothèses erronées à propos des risques d’accidents d’exposition au sang (AES) et d’infection dans le cadre du traitement du diabète. Voici quelques idées reçues, quelques mythes que je me propose de débusquer pour vous :
Mythe n°1 : Les personnes diabétiques sont moins susceptibles d’être atteintes de virus dangereux que les personnes de la population générale
C’est faux. Les personnes diabétiques courent un risque au moins équivalent,voire plus élevé, à celui de la population générale. En fait, une étude [2] révèle que de l’ADN viral de l’hépatite B (VHB) a été décelé chez 11% des patients diabétiques type 2, par rapport à 3% de sujets atteints dans la population contrôle, ce qui représente une différence significative sur un plan statistique. De ce fait, les spécialistes travaillant dans ce groupe sont donc soumis à davantage de risques de contracter une infection en se blessant par piqûre d’aiguille que ceux travaillant avec des patients à injecter appartenant à la population générale.
La protection apportée par le vaccin des professionnels de la santé contre le VHB reste insuffisante. En effet, la proportion des professionnels de santé couverts par la vaccination est loin d’être à 100% [3] ; et les personnes vaccinées peuvent ne pas être totalement à l’abri, du fait de la diminution des titres en anticorps protecteurs avec le temps. De plus, bien d’autres virus dangereux (comme le VIH, le virus de l’hépatite C (VHC)) existent encore, contre lesquels aucun vaccin n’est disponible.En considérant le risque de manière plus générale, on réalise qu’il représente plus de 30 maladies virales transmissibles par BPA - dont le VHC et le VIH sont les plus dangereux - et dont la prévalence parmi les personnes diabétiques est plus élevée que la prévalence du VHC[4] ou égale à celle du VIH [5] dans la population générale.
Mythe n°2 : Il y a moins de BPAs lorsque l’on injecte des personnes diabétiques à l’aide d’aiguilles spécifiques, des aiguilles plus petites présentent moins de risque d’infection, la prophylaxie empêche les infections, et, en plus, les aiguilles et dispositifs d’injection utilisés chez les diabétiques ne peuvent pas être contaminés
En fait, c’est totalement l’inverse. Les BPAs provoquées par aiguilles ou seringues comptent, chez les diabétiques, parmi les blessures aigües les plus fréquentes en environnement médical [6]. Il n’existe aucune branche de la médecine où le risque de BPA soit faible ou nul. De plus, la plupart des personnes diabétiques sous traitement dans un service de médecine interne sont celles qui présentent le risque le plus élevé de BPA. Les diabétiques utilisent des aiguilles d’injection de petite dimension, qui, du fait même de leur taille, seraient censées ne représenter qu’un faible risque de blessure. Là encore, on oublie un problème de taille. Les stylos à injection, lors de leur utilisation, aspirent des cellules humaines, qui se retrouvent dans la cartouche de produit à injecter. Ces cellules, potentiellement infectées, se retrouvent stockées dans la lumière de l’aiguille, ce qui augmente donc les risques de BPA. De même, les aiguilles à l’usage des diabétiques peuvent présenter des traces de sang.
La petite dimension des aiguilles à l’usage des diabétiques ne réduit pas le risque. Il suffit d’une infime quantité de sang pour transmettre le VHB ou le VHC ; il est donc important d’avoir une idée claire du nombre de personnes pouvant potentiellement être infectées par le sang contenu dans une aiguille creuse. Le volume moyen inoculé lors d’une blessure provoquée par une aiguille de calibre 22 est approximativement de 1.0 – 2.0 μL [7], qui peut contenir une dose infectieuse de virus à diffusion hématogène. La charge virale d’un millilitre de sang infecté peut s’élever jusqu’à environ un milliard de particules virales, pour ce qui est de HBV [8]. À supposer qu’une charge virale classique soit d’environ 10 millions particules par millilitre de sang infecté, cela correspondrait à une charge virale de 10 000 particules virales par μL. Cela suffit pour contaminer un grand nombre de personnes avec le HBV. La charge en HCV est moins élevée, mais toutefois suffisante pour faire un grand nombre de victimes. Si nous traduisons le risque en termes de contaminations concrètes, cela mène à des chiffres réellement préoccupants, notamment lors d’études révélant des séroconversions du VHC s’échelonnant entre un et deux pour cent d’événements de BPAs (expositions percutanées).
Quel est l’impact de la prophylaxie chez les personnes qui ont malheureusement subi une BVA, et l’infection qui en a résulté ? Les derniers médicaments prophylactiques peuvent bien sûr empêcher une séroconversion. Cependant, leur effet dépend largement de cette « heure d’or » au cours de laquelle une action d’urgence peut être menée de manière efficace. De plus, même si un traitement prophylactique peut être administré, on ne peut empêcher certains effets indésirables de la thérapie - non seulement physiques, mais aussi professionnels et psychologiques. Les personnes affectées sont forcées de changer leurs habitudes de travail et de vivre une période prolongée de stress extrême avant de savoir si elles ont contracté ou non une infection menaçant leur vie [10]. De même, certains changements doivent intervenir dans d’autres domaines comme la sexualité, ce qui met la vie familiale et relationnelle sous pression.
Mythe n°3 : Les diabétiques recapuchonnent leurs aiguilles d’injection et les jettent dans les poubelles qui leur sont destinées ; il n’existe pas d’aiguilles de sécurité pour le traitement du diabète ; les nouvelles directives édictées par l’Union Européenne relatives à la prévention contre les blessures par objets tranchantsn’incluent pas le traitement du diabète.
On se trompe en pensant que les personnes diabétiques suivent scrupuleusement les procédures d’élimination des déchets, en recapuchonnant leurs aiguilles et en les jetant dans des réceptacles qui leur sont destinés. En effet, une étude [11] a révélé que seules 33% des aiguilles usagées sont jetées dans des containers prévus à cet effet. 12% d’entre elles finissent dans une bouteille ou un emballage carton vide, et 46% d’entre elles vont directement à la poubelle après recapuchonnage, voire sans être recapuchonnées pour 3% d’entre elles.
Indépendamment de l’élimination sécurisée des aiguilles, il existe aujourd’hui un nombre important de dispositifs médicaux de sécurité sur le marché, comprenant des dispositifs actifs (où le fourreau est activé manuellement par l’utilisateur) ou passifs (où l’aiguille se rétracte automatiquement après usage). Pourtant, leur existence n’est pas toujours connue du grand public. De nombreuses études [12,13] ont démontré que la fréquence des BPAsbaisse considérablement lorsque des dispositifs médicaux de sécurité sont utilisés. Le coût de ces dispositifs peut paraître élevé aux organismes de soins, mais un rapide examen des études [14, 15, 16] sur le sujet révèle que la prévention des blessures permet un excellent retour sur investissement, notamment en atténuant les risques juridiques, réglementaires, financiers ainsi que d’atteinte à la réputation des établissements.
Enfin, la Directive Européenne en vigueur stipule spécifiquement que quel que soit le risque encouru de blessures par piqûre d’aiguille, les utilisateurs ainsi que tous les professionnels de santé doivent être protégés par des mesures de précaution adéquates, notamment l’usage de dispositifs médicaux incluant des mécanismes de protection sûrs17.
En conclusion, le traitement des personnes diabétiques ne devrait, logiquement, pas faire exception dans le respect des pratiques les plus sûres. Les diabétiques présentent le même risque, voire un risque supérieur, de contamination par des virus dangereux. Qui plus est, la fréquence des blessures par aiguilles est plus élevée que la norme lors du traitement des personnes diabétiques. Ces blessures représentent une source importante d’infections possibles malgré la taille réduite des aiguilles à l’usage des diabétiques. L’introduction des dispositifs médicaux de sécurité très faciles à trouver a prouvé son efficacité dans la réduction des risques de blessure et d’infection.
Depuis mai 2013, une directive de l'Union Européenne a rendu obligatoire l'utilisation de dispositifs médicaux de sécurité, dans toutes les situations présentant des risques significatifs de blessures et d'infections par piqûres d'aiguilles. Beaucoup d'organismes de santé de l'Union Européenne ont introduit ces dispositifs de sécurité respectant la nouvelle législation. Il est formellement conseillé à tous les organismes ne l'ayant pas encore implémentée de le faire, afin d'éviter des dommages sur les plans financier, juridique, réglementaire, sur la réputation, et, par dessus tout, sur le plan humain.
Dr. Kenneth Strauss, Endocrinologue et Directeur de la Sécurité en médecine, EuropeanMedical Association, et Global Medical Director, Becton Dickinson (BD).
Références :
1 Council Directive 2010/32/EU, Official Journal of the European Union, L134/71
http://eurlex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2010:134:0066:0072:EN:PDF
2 Demir M, Serin E, Göktürk S, Ozturk NA, Kulaksizoglu S, Ylmaz U. The prevalence of occult hepatitis B virus infection in type 2 diabetes mellitus patients. Eur J Gastroenterol Hepatol. 2008 Jul;20(7):668-73.
3 De Schryver A, Claesen B, Meheus A, van Sprundel M, François G., Department of Epidemiology and Social Medicine, University of Antwerp, Antwerp, Belgium. European survey of hepatitis B vaccination policies for healthcare workers., Eur J Public Health. 2010 Sep
4 Simó R, Hernández C, GenescàJ, Jardí R, Mesa J. High prevalence of hepatitis C virus infection in diabetic patients. Diabetes Care. 1996 Sep;19(9):998-1000.
5 Mondy K, Overton ET, Grubb J, Tong S, Seyfried W, Powderly W, Yarasheski K. Metabolic syndrome in HIV-infected patients from an urban, midwestern US outpatient population. Clin Infect Dis. 2007 Mar 1;44(5):726-34. Epub 2007 Jan 22.
6 Phillippe Kiss, MD; Merc de Meester, MD; LutgartBraeckman, MD, PhD; Needlestick Injuries in Nursing Homes: The Prominent Role of Insulin Pens, Infection Control and Hospital Epidemiology, December 2008, Vol.29, No.12
7 Mondy K, Overton ET, Grubb J, Tong S, Seyfried W, Powderly W, Yarasheski K . Metabolic syndrome in HIV-infected patients from an urban, midwestern US outpatient population. Clin Infect Dis. 2007 Mar 1;44(5):726-34. Epub 2007 Jan 22.
8 Public Health Agency of Canada
http://www.phac-aspc.gc.ca/msds-ftss/msds76e-eng.php
9 UK Occupational bloodborne Virus report, November 2008
10 See, for instance, Nursing Times, Why we must stop needlesick injuries, 3 October 2006
11 Journal of Diabetes, 2 (2010) 168-179
12 Adams D, Elliott TS. Impact of safety needle devices on occupationally acquired needlestick injuries: a four-year prospective study, JHosp Infect 2006;64:50-5.
13 Jagger J et al. The impact of U.S. policies to protect healthcare workers from bloodborne pathogens: The critical role of safety-engineered devices, Journal of Infection and Public Health (2008) 1, 62—71.
14 Armadans Gil L, Fernandez Cano MI, Albero Andres I, Angles Mellado ML, Sanchez Garcia JM, Campins Marti M, VaqueRafart J. [Safety-engineered devices to prevent percutaneous injuries: cost-effectiveness analysis on prevention of high-risk exposure] GacSanit 2006 Sep-Oct;20(5):374-81.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17040646
15 Anna H. Glenngard ;Ulf Persson, Costs associated with sharps injuries in the Swedish health care setting and potential cost savings from needle-stick prevention devices with needle and syringe Scandinavian Journal of Infectious Diseases, Volume 41, Issue 4 2009 , pages 296 – 302.
http://informahealthcare.com/doi/abs/10.1080/00365540902780232
16 HS Scotland, Needlestick Injuries; Sharpen your Awareness, Annex 3, Safer Devices Cost Benefit Assessment.
http://www.sehd.scot.nhs.uk/publications/nisa/nisa-13.htm
17 Council Directive 2010/32/EU, Official Journal of the European Union, L134/71
http://eurlex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2010:134:0066:0072:EN:PDF
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