Effets durables des substances addictives : un nouveau mécanisme mis au jour
Jean-Antoine Girault, Directeur de l'Institut du Fer-à-Moulin (U839), centre de recherche de l'Inserm et de l'Université Pierre-et-Marie-Curie, et ses collaborateurs viennent de mettre au jour un nouveau mécanisme moléculaire qui explique l'influence, sur le cerveau, de substances telles que la cocaïne.
Les substances qui entraînent une dépendance (substances addictives) telles que la cocaïne, la morphine, les amphétamines exercent leurs effets sur le cerveau en détournant un système normal d'apprentissage auquel participe la dopamine, un transmetteur de « messages » chimiques entre neurones. Cet apprentissage fait notamment intervenir des modifications d'expression de gènes dans des régions cérébrales bien précises. Jean-Antoine Girault, Directeur de recherche à l'Inserm et son équipe viennent de mettre en évidence un nouveau mécanisme par lequel la dopamine est à l'origine de ces modifications au niveau du noyau des neurones. Ces travaux, publiés dans la revue Nature à l'adresse http://dx.doi.org/10.1038/nature06994, permettent de mieux comprendre les mécanismes normaux d'apprentissage et leurs « détournements » par les substances psychoactives. Ils pourraient aussi ouvrir, à terme, de nouvelles perspectives pour le traitement de maladies dans lesquelles la dopamine est impliquée. Les drogues telles que la cocaïne ou la morphine, qui induisent une dépendance, exercent leurs effets addictifs en détournant le circuit cérébral dit "de la récompense", dont la dopamine est un acteur majeur. La libération de dopamine dans le cerveau est en effet provoquée directement par la consommation de telles substances. Ce « signal dopamine » est alors interprété à tort par le cerveau comme ayant une valeur positive de récompense. En effet, normalement, la libération de dopamine est observée, lors de stimuli annonçant une récompense naturelle, comme la consommation de nourriture appétissante. La dopamine permet le fonctionnement normal de certaines régions du cerveau (le striatum). Elle facilite l'apprentissage de mouvements et joue un rôle dans la motivation. Ainsi, l'augmentation artificielle des taux de dopamine consécutive à la consommation d'une drogue, entraîne une stimulation chimique directe du circuit de la récompense. Cette hyperstimulation participe au besoin sans cesse accru, et irrépressible chez les sujets dépendants, de reproduire les conduites ayant amené à la prise de drogue. Différents travaux ont montré que les effets durables des drogues sont dus à des changements d'expression de gènes dans les neurones sur lesquels agit normalement la dopamine. C'est pourquoi "la question à laquelle nous nous sommes intéressés est : Comment précisément la dopamine contrôle l'expression des gènes ?", explique Jean-Antoine Girault. Dans les travaux publiés aujourd'hui dans Nature, les chercheurs apportent probablement une partie de la réponse. Ils mettent en effet en évidence une nouvelle voie de signalisation impliquant plusieurs enzymes spécifiques, des protéines phosphatases, activée par la dopamine et aboutissant à une modification de la chromatine, ce matériel génétique présent dans le noyau des neurones. Ils montrent en particulier que, dans une région du cerveau appelée striatum, une protéine, la DARPP-32 s'accumule dans le noyau des neurones lorsqu'une souris reçoit une injection de cocaïne, d'amphétamine, ou de morphine. Les chercheurs observent ensuite que, lorsque la séquence d'acides aminés qui compose la protéine DARPP-32 est mutée sur un seul acide aminé, les souris sont moins sensibles aux drogues. De plus, les auteurs montrent que cette protéine n'est pas uniquement mise en jeu par des drogues, mais intervient aussi dans l'apprentissage d'un geste très simple, qui consiste, pour la souris, à mettre son museau dans un petit trou pour obtenir un peu de nourriture. Cet apprentissage suffit en effet à entrainer l'accumulation de DARPP-32 dans le noyau des neurones du striatum. Et, de la même manière, la mutation ponctuelle de la protéine DARPP-32 diminue la motivation pour obtenir de la nourriture après un tel apprentissage. Ce travail élucide un nouveau mécanisme par lequel la dopamine contrôle l'expression de gènes dans les neurones. Il met en évidence l'importance de ce mécanisme dans les effets durables des drogues et permet également de déterminer la cascade des événements au niveau du neurone, qui président à l'apprentissage normal contrôlé par le circuit de la récompense. Ces résultats suggèrent des approches de recherche nouvelles dans le domaine du traitement de la dépendance aux drogues, et de certaines maladies mentales, pour lesquelles la dopamine est soupçonnée de jouer un rôle. Cette connaissance plus fine des mécanismes d'action de la dopamine au niveau moléculaire vise aussi à améliorer le traitement de la maladie de Parkinson, dans laquelle le rôle de la dopamine est central.Pour en savoir plus"A phosphatase cascade by which rewarding stimuli control nucleosomal response"Descripteur MESH : Dopamine , Cerveau , Cocaïne , Recherche , Fer , Apprentissage , Neurones , Récompense , Gènes , Rôle , Morphine , Nature , Motivation , Maladie de Parkinson , Protéines , Mutation , Mutation ponctuelle , Joue , Travail , Maladie , Acides , Génétique , Expression des gènes , Enzymes , Connaissance , Chromatine , Amphétamines , Acides aminés