Une médecin au bord de la rupture réquisitionnée à Bully

Une médecin au bord de la rupture réquisitionnée à Bully Alors qu’elle avait cessé d’assurer les gardes en raison d’une surcharge de travail, une médecin généraliste de Bully (Loire) a été réquisitionnée par la préfecture pour pallier un manque de volontaires. Choquée par l’intervention des gendarmes venus lui notifier cette obligation, elle s’est immédiatement mise en arrêt maladie, réduisant ainsi l'offre soins sur la commune  Ce bras de fer illustre les tensions croissantes entre les soignants et l’État, et pose une question de fond : imposer plutôt que négocier est-il vraiment la solution face à la désertification médicale ?

Une réquisition qui choque la profession

Le mardi 23 janvier, une médecin généraliste exerçant à Bully a reçu la visite de gendarmes venus lui remettre une réquisition préfectorale. Émise à la demande de l’Agence régionale de santé (ARS) Auvergne-Rhône-Alpes, cette mesure l’obligeait à assurer deux gardes médicales non pourvues, dont une prévue le soir même entre 20 heures et minuit.

Depuis janvier, la médecin avait cessé de participer aux gardes médicales, expliquant cette décision par une surcharge de travail insoutenable. Elle était en effet seule à gérer une patientèle d’environ 1 500 personnes après le départ de sa collègue en juin 2024. « Elle ne peut pas tout gérer seule », a rappelé Rodolphe Calandry, directeur du Centre de santé du Marais, son employeur, à France 3 Régions.

Sous le choc de cette intervention, la praticienne a suspendu son activité et s’est placée en arrêt maladie jusqu’au 15 février. « Cette réquisition a été la goutte d’eau », a confié un collègue au Progrès.

Sur ce sujet : Coercition et déserts médicaux : une approche simpliste et contreproductive

Une indignation portée par les professionnels de santé

Cette affaire a provoqué un tollé parmi les médecins et leurs représentants. Jérôme Marty, président de l’Union française pour une médecine libre et syndicat (UFMLS), a vivement réagi sur les réseaux sociaux :

« Quelle autre profession accepterait cela ? Quel est ce pays qui n’accepte pas qu’une médecin épuisée s’arrête ? Quel est ce pays qui confond médecin libéral et agent public sans droit du travail ? »

Dans une déclaration acerbe, il dénonce une atteinte grave à la dignité et aux droits des médecins :

« Obliger le médecin à consulter sous surveillance des forces de l’ordre ? Ignorer l’état de santé, la violence exercée, et les conséquences générées ? Les médecins ne sont pas à vos ordres et ne vous doivent rien, ils sont d’une profession qui n’a jamais démérité. »

L’UFMLS a également exprimé son soutien total à la médecin réquisitionnée et a proposé une assistance juridique et financière pour faire valoir ses droits.

D’autres voix se sont élevées pour exprimer leur colère face à ce qu’ils perçoivent comme une atteinte aux droits fondamentaux des praticiens. Ainsi, Dominique a commenté :

« Le travail forcé n’est-il donc que pour les médecins ? »

Christine, quant à elle, s’est dite abasourdie par l’intervention des forces de l’ordre :

« Trois gendarmes d’un coup pour ça ? Elle a de quoi être choquée, si seulement ils avaient autant d’engagement à poursuivre les dealers… »

Plusieurs témoignages soulignent également les conditions de travail devenues intenables pour de nombreux praticiens. 

« Nous sommes réquisitionnés tous les jours dans les Landes avec police au cabinet, car nous souhaitons arrêter les gardes à 22h. On nous réquisitionne depuis un an de 22h à minuit… »

La réquisition a ravivé le débat autour de l’obligation de garde et de la responsabilité des médecins libéraux concernant la permanence des soins. Pour certains, le cadre légal actuel, bien que contraignant, reste indispensable :

« Tout le monde sait que la réquisition est une possibilité prévue dans le cadre légal. […] Quand on fait notre métier, on a une mission de service public. La seule solution est de revenir à une obligation de garde, répartie sur l’ensemble des médecins. »

Pour d’autres, cette approche pourrait aggraver la pénurie de médecins en décourageant les jeunes professionnels. Marine résume cette inquiétude :

« La pénurie de médecins s’aggravant… il est inéluctable que l’État en arrive à une coercition débile qui fera fuir le peu de motivés qui restent. »

Un management autoritaire et contre-productif

La permanence des soins repose de facto sur le volontariat, mais le Code de la santé publique permet d’imposer des réquisitions en cas de carence. « Nous devons garantir un accès minimal aux soins dans le secteur », a défendu Maxime Audin, directeur adjoint de l’ARS Loire, dans une déclaration à France 3 Régions. Certes, l'intention est louable et la réquisition est reglementairement fondée. Mais du point de vue des ressources humaines et de l’organisation des services de santé, ce qui semble évident dans ce cas précis, c'est qu'un management autoritaire peut vite transformer une difficulté structurelle en un conflit ouvert.

Plusieurs erreurs stratégiques et de communication ont contribué à ce fiasco.

🔹 Une approche coercitive inefficace

L’une des premières erreurs de gestion dans cette affaire est le recours à une méthode coercitive (la réquisition) plutôt qu’à une approche collaborative. Dans une situation de tension et de surmenage, la motivation des professionnels est un facteur clé pour maintenir un service efficace. Or, ici, l’Agence régionale de santé (ARS) et la préfecture ont choisi d’imposer une obligation plutôt que de négocier des alternatives viables. 

En management, un bon leader cherche à fédérer plutôt qu’à contraindre. L’usage de la force dans ce contextel a non seulement accentué le malaise des médecins, mais a aussi abouti à un résultat inverse à celui escompté : la médecin s’est mise en arrêt maladie, aggravant encore la situation.

🔹 Un manque d’anticipation :

La crise aurait-elle pu être anticipée ? Le départ du médecin en juin 2024 et l’augmentation de la charge de travail étaient-ils connus des autorités sanitaires ? Une bonne gestion des ressources humaines aurait dû prévoir des solutions en amont, comme le recrutement temporaire de médecins remplaçants ou la mise en place d’une incitation aux gardes. En gestion de projet et en gestion des crises, il est essentiel d’identifier les risques et de mettre en place des actions préventives. Dans cette affaire, il semble que les autorités ont laissé la situation se détériorer jusqu’à devoir recourir à une mesure d’urgence, créant un climat de défiance et de conflit.

🔹 Une communication descendante brutale :

La réquisition a été perçue comme une injonction autoritaire, sans dialogue préalable avec la praticienne concernée ni avec les autres médecins du secteur. Ce type de communication descendante, où les décisions sont imposées sans concertation, est généralement mal accepté et peut engendrer du désengagement ou des réactions de rejet.

Une communication transparente et participative est un levier essentiel pour maintenir l’adhésion des équipes. Dans ce cas, l’absence de dialogue a renforcé la perception d’un mépris institutionnel pour les conditions de travail des médecins, contribuant au climat de tension et à la détérioration des relations. « On n’est pas des criminels ! », s’est indigné le docteur Jérémy Lacour, médecin dans une commune voisine, dans les colonnes du Progrès.

🔹 Un effet boomerang dangereux :

Les conséquences de cette gestion autoritaire ne se limitent pas à cette seule réquisition. À plus long terme, une telle approche risque de dissuader d’autres médecins de s’installer en milieu rural d'une manière générale, dans la Loire en particulier. En management des talents, on sait que la qualité de l’environnement de travail et le respect des conditions d’exercice sont des facteurs déterminants pour attirer et fidéliser les professionnels qualifiés.

L’intervention des forces de l’ordre pour imposer une garde à une médecin déjà surmenée donne un signal négatif fort. Mireille Brunelin, adjointe au maire de Bully, l'a bien compris « Quand on voit qu’un médecin est réquisitionné de cette manière, je doute que les jeunes médecins aient envie de venir »

Ce fiasco managérial est d'autant plus regrettable qu'une solution consentie n'était visiblement pas si difficile à trouver. Depuis cet événement, un médecin remplaçant assure deux jours de consultation par semaine dans la commune. Certes ce n'est que provisoire et cela ne suffira pas à répondre aux besoins des habitants. D'autant plus que deux des sept médecins encore en activité dans le secteur envisagent de quitter leur poste cette année. 

Valoriser plutôt que contraindre

Valoriser plutôt que contraindre : voilà l’enjeu. Plutôt que d’agiter la menace de la réquisition, pourquoi ne pas rendre l’exercice médical en zone rurale plus attractif ? Un médecin qui se sent respecté et soutenu choisira de rester, sans qu’il soit nécessaire de le forcer.

Plutôt que d’assurer durablement l’accès aux soins, ces mesures autoritaires alimentent un cercle vicieux : épuisement, démotivation, fuite des praticiens vers d’autres horizons. Alors, pourquoi ne pas innover et envisager une réforme de fond, ambitieuse et adaptée aux réalités du terrain ? Parce qu’écouter, dialoguer et bâtir des solutions durables exige bien plus d’efforts que d’imposer des décisions à coups de réquisition.

 

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1 réaction(s) à l'article Une médecin au bord de la rupture réquisitionnée à Bully

  • MyPassion

    Thomas BONNET| 30/01/2025- REPONDRE

    "Valoriser plutôt que contraindre" en effet, c'est tout à fait exact et c'est l'évidence même. Mais pourtant c'est bien quelque chose que l'État républicain français n'a jamais compris tout au long de ses presque 230 ans d'histoire... Il n'anticipe pas, demeure fort avec les faibles et faible avec les forts, et impose avec force et menaces, surtout sur ceux qui ne peuvent pas se défendre... Cela a toujours fonctionné ainsi en pratique, la dégradation de la situation du pays fait que c'est simplement plus visible depuis quelques années (cf. l'écrasement des gilets jaunes en 2018 et 2019)...

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