Les remèdes amers du Président Macron pour la médecine de ville
Crise des urgences, de la pédiatrie, de la psychiatrie, grèves des médecins libéraux et des laboratoires d’analyses médicales, difficultés d’accès aux soins… le système de santé français est à bout de souffle et menace de s’effondrer. Dans ce contexte particulièrement tendu, les annonces du président Macron lors de ses vœux aux soignants étaient attendues. Si elles ont été plutôt bien accueillies au niveau de l’hôpital ainsi que par l’ordre des infirmiers, elles laissent un gout très amer pour bon nombre de médecins libéraux.
Le chef de l’État a dépeint une crise complexe, multifactorielle, sans fin qui s’accompagne d’une perte de sens pour de nombreux professionnels de santé. Il pointe le cloisonnement ville/hôpital et redoute une dégradation de la démographie médicale qui pourrait se traduire par une perte de 20 000 médecins généralistes d’ici 2025, si « ceux qui doivent partir à la retraite partent ». Ce qui pourrait se produire encore plus tôt que prévu si l’on prend en considération l’accueil glacial des médecins de ville face aux mesures annoncées. Car pour le Président, le diagnostic qu’il avait posé en 2018 était le bon et la solution consiste alors à accélérer le déploiement du plan « Ma santé 2022 ».
Il précise donc que « la réponse n’est pas forcément plus de moyens » en affirmant que le budget de la santé avait déjà été augmenté de 50 milliards d’euros en trois ans tout en omettant de préciser que ces rattrapages concernent essentiellement l’hôpital. « Notre défi collectif, à court terme, c’est de dégager du temps de médecin, de dégager du temps de soignant face au patient, et de repenser notre organisation collective. »
"Travailler plus pour gagner pareil voire moins"
Aux milliers de médecins en grève qui réclamaient un choc d’attractivité, aux 49 % des médecins qui ont plus de 60 ans ou sont en burnout et à tous les médecins qui travaillent en moyenne 54 heures par semaine, il propose de façon ubuesque un « travailler plus pour gagner plus » à peine remaquillé en « un pacte de droits et devoirs ».
Concrètement en ce qui concerne la médecine de ville il propose de :
- « mieux rémunérer les médecins qui assurent la permanence des soins et qui prennent en charge de nouveaux patients »
- Sortir d’un financement à l’acte pour aller vers un financement à la mission, et ce pour la ville comme pour l’hôpital
- « récompenser ceux qui veulent travailler ensemble »
- Simplifier et accélérer le transfert ou la délégation de tâches envers les professions paramédicales « pour des actes simples », à développer massivement les IPA
- Recruter 6000 nouveaux assistants médicaux
« C’est à eux de s’organiser pour trouver du temps. S’ils sont malins, ils délèguent les actes qui ont moins de valeur aux paramédicaux. » E. Macron
Pour l’AFP, la présidente de MG France, Agnès Giannotti, s’est déclarée « inquiète, presque en colère… Je n’ai pas vu beaucoup de moyens sur la table, mais j’ai vu se profiler beaucoup de contraintes ».
Pour Christelle Audigier, fondatrice du collectif « Médecins pour demain » : « M. Macron ne semble pas avoir écouté les médecins de terrain. Il parle de l’attractivité des hôpitaux, mais pas de celle de la ville… il juge que nos compétences peuvent être transmises aux paramédicaux comme si la réévaluation d’un traitement était une plaisanterie… il met de l’huile sur le feu. »
Pour le SML, « Il semble que le Président n’ait rien compris ni entendu aux revendications des milliers de médecins libéraux qui ont manifesté jeudi dans la rue et aux attentes pourtant légitimes de la médecine de ville »
Dans un communiqué tres détaillé, L’UFMLS démonte méthodiquement les solutions proposées par le Président.
« Présenter le financement de 10 000 assistants médicaux comme une solution aux difficultés d’accès aux soins des Français liés à la pénurie de médecins libéraux est symbolique de cette absence totale d’écoute des professionnels de santé, de connaissances de leurs exercices et de leurs difficultés. Pour l’UFML-S c’est chaque médecin libéral qui doit bénéficier de l’aide d’un ou plusieurs assistants et c’est leur exercice qui doit leur permettre (comme leurs collègues dentistes) de les salarier. Le modèle subventionné est le faux-nez d’une absence de volonté d’investir et de développer la médecine libérale…
La généralisation du SAS, proposée comme solution est déjà en cours et se heurte aux manques de médecins régulateurs et de médecins effecteurs, au regard de la pression constante de la demande de soins sur les cabinets libéraux. L’accélération annoncée sur les délégations d’actes est, tant sur la forme que sur le fond du discours, une insulte aux médecins libéraux et un mépris de la médecine qu’ils exercent »
« Les Français devront avoir recours à d’autres professionnels pour renouveler leurs ordonnances pour des maladies chroniques, pour le dépistage »
Mais qui conseille notre Président ? Y a-t-il seulement quelqu’un ? Le renouvellement d’ordonnance, c’est la médecine libérale vue depuis le comptoir du Balto ! C’est une médecine presse-bouton, une médecine de bon à tirer, qui n’existe que dans les fantasmes de celles ou ceux qui voient les médecins comme leur petit personnel, là pour leur délivrer sans réfléchir ce qu’ils sont venus chercher. Cette déclaration laisse à penser que c’est sa vision de la médecine libérale et de la médecine générale en particulier.
« Beaucoup de généralistes devraient déléguer deux ou trois ordonnances par an à l’infirmier référent ou au pharmacien référent ».
Au-delà du concept très Macronien du doigt mouillé, cette vision jupitérienne de l’exercice médical libéral est d’une naïveté confondante. Elle valide son absence totale de connaissance de ce qu’est la pratique médicale. Il n’y a pas de renouvellement d’ordonnance ! Une ordonnance est réévaluée, le patient réexaminé, son traitement discuté, mesuré, modifié s’il y a lieu, en fonction de ses effets, des événements, de la clinique, du moment…
Nous affirmons que parler de « renouvellement d’ordonnance » est une insulte faite aux médecins. Parler de deux ou trois ordonnances à « déléguer » à un infirmier ou un pharmacien référent est une idée déconnectée de la réalité de la pratique, une absurdité !
Pour lui, le dialogue entre médecins et paramédicaux permettra de trouver « la bonne fréquence »
« S’ils sont malins, ils délèguent aux paramédicaux… les actes qui ont le moins de valeurs »
Le président évolue manifestement dans une dimension qui lui est propre… Ce dialogue est constant, mais jamais cette question ne sera abordée, parce qu’elle n’a pas lieu de l’être, à moins de vouloir attenter à la qualité de la médecine… Parler d’être « malins » et de déléguer à d’autres des actes de « moins de valeurs » est indigne de la fonction présidentielle. C’est l’expression, là encore, d’un profond mépris à l’égard de celles et ceux qui portent le soin.
Plus grave encore : le Président déclare « le médecin traitant doit être la porte d’entrée, mais pas le verrou de notre système. D’ici à la fin de l’année, 600 000 patients en affections de longue durée se verront proposer un médecin traitant ou plus exactement une équipe de référence »
Il pulvérise le concept de médecin traitant, pour une dilution de la responsabilité au sein d’une équipe. En médecine, la dilution de la responsabilité est dangereuse. Il avoue ici sa vision des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). En effet le maillage complet du territoire national par les CPTS est prévu fin 2023 dans la lettre de cadrage du ministre de la Santé François Braun au directeur de l’assurance maladie. Or, une de leurs missions régaliennes est de fournir un médecin traitant à chaque patient ! « In vitro », sur le papier, le problème est donc résolu ! Sauf que, le nombre de médecins n’a pas augmenté (ce n’est pas la volonté macronienne) et que tous les médecins libéraux, ne sont pas dans les CPTS ! Pour répondre à cet engagement impossible, il change les règles du jeu, et pulvérise le concept de médecin traitant pour un concept fumeux et brinquebalant : l’équipe traitante !
…
Après avoir entendu ce discours, les médecins libéraux sont sûrs de plusieurs choses :
▪ Le président de la République ne les connaît pas, ne les entend pas, et n’a, à l’évidence, aucune volonté d’écouter leurs problématiques.
▪ Il veut ubériser la médecine libérale, changer le paiement à l’acte pour plus de forfaits et autres modes de rémunérations, diluer la responsabilité médicale et faire disparaitre l’existence du médecin traitant.
▪ Le président de la République ne fait pas le choix du développement de la médecine libérale, médecine pourtant moins couteuse et plus proche du patient, et n’aborde pas une fois dans son discours, la moindre volonté de développer les installations en médecine libérale.
▪ Le Président de la République poursuit plus vite et plus fort, des réformes en échec depuis 2018.
▪ Il fait le choix de la confrontation et d’un conflit dur avec les médecins libéraux
L’UFML-S en prend acte, et prend acte du sabotage présidentiel des négociations conventionnelles. Nous mettrons toute notre énergie à poursuivre le mouvement engagé avec collectifs et syndicats de médecins libéraux.
Nous présenterons, dans quelques jours, à la presse, les résultats d’un travail engagé depuis plusieurs semaines à l’opposé des choix présidentiels, en faveur de l’investissement large dans la médecine libérale, d’une amélioration de la santé publique et d’un gain économique pour le pays » UFMLS
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Jean-Michel RETAUX| 10/01/2023-