#covid_19 : La réalité du terrain par les anesthésistes réanimateurs
Alors que se multiplient les interventions publiques de personnalités générant beaucoup de confusion parmi nos concitoyens [1–3], les professionnels des « soins critiques », notamment les anesthésistes — réanimateurs, tiennent à éclaircir le contexte dans lequel s’inscrit cette pandémie. Loin de toute idéologie, trois points fondamentaux et factuels sont à retenir.
Oui, les soins critiques sont sous tension
En France, les « soins critiques » représentent 19 200 lits. Ceux-ci se déclinent en 1/lits de réanimations (5400 lits), 2/lits de soins intensifs (5800 lits, dont 3600 lits de soins intensifs de cardiologie et de neurologie), tous deux admettant les patients dont le pronostic vital est engagé, et 3/en lits de surveillance continue (8000 lits) qui sont des secteurs de surveillance des patients à risque sans détresse vitale (Fig. 1). Cette organisation structurelle est conditionnée par un environnement technologique de pointe et un personnel hautement qualifié, dont la pénurie est chronique. Hors période COVID, ces lits sont occupés à hauteur de 85-87 % par des patients pris en charge pour un large éventail de pathologies chirurgicales ou médicales (Fig. 2), allant des complications postopératoires aux traumatismes graves en passant par les détresses respiratoires secondaires à une infection des poumons [4].
Ces derniers jours, 4 500 patients COVID se sont brutalement surajoutés à cette activité habituelle. D’après les projections, ce nombre pourrait augmenter jusqu’à 9000 patients vers le 16 novembre [3]. Nous alertons sur le fait que les « soins critiques », déjà sous tension, risquent d’être submergés par un tel afflux de patients en un temps restreint. Si le pool de praticiens compétents en « soins critiques » est important en France (12000 anesthésistes-réanimateurs et médecins intensivistes [5]), la principale difficulté réside dans la mise à disposition rapide d’un personnel soignant (infirmier, aide-soignant, kinésithérapeutes…) qualifié et formé de façon adéquate [6].
Oui, l’augmentation des besoins d’hospitalisations en « soins critiques » implique des déprogrammations chirurgicales massives
Lors de la première vague, la réponse des professionnels des « soins critiques », au premier rang desquels les anesthésistes-réanimateurs, a été le développement de « réanimations éphémères ». Celles — ci se sont installées dans l’urgence au sein de certains blocs opératoires et salles de réveil, créant ainsi
4200 lits supplémentaires dans les structures publiques et privées [7]. Ceci a été construit au prix de l’annulation massive des chirurgies programmées, dont nous ne mesurerons les conséquences potentielles que dans le futur. Avec un total de 7,2 millions d’interventions chirurgicales programmées annuellement en France [8], dont près de 10 % au titre de la cancérologie [9], l’arrêt de toute chirurgie est susceptible de dégrader à l’échelle de 5 à 10 ans le pronostic des patients du fait des retards de prise en charge [10]. Nous alertons sur le fait que la force de cette nouvelle vague impose à nouveau le recours à une déprogrammation chirurgicale et pose donc des problèmes de santé publique et d’éthique majeurs.
Non, l’hospitalisation ne concerne pas que les seniors
La communication a été confuse avec des messages minimisant le risque d’être hospitalisé en réanimation pour les patients « jeunes ». Même si le taux de mortalité en cas d’infection est faible chez les patients jeunes [11], la COVID-19 dans sa forme grave n’épargne personne. Un patient sur cinq hospitalisé en réanimation décèdera au cours de son séjour. Ainsi, 1500 patients de moins de 65 ans sont décédés au cours des 6 derniers mois du fait de cette pandémie [12]. Un séjour en réanimation, même si l’issue est favorable, demande plusieurs mois d’effort pour retrouver la qualité de vie antérieure. Nous alertons sur le fait que, au-delà d’un risque de mortalité bien réel, un séjour en soins critiques affecte la qualité de vie d’un patient pendant plusieurs mois ou années, qu’il soit jeune ou non.
En conclusion, le système de santé français en « soins critiques » fera face à cette pandémie historique, en maintenant une qualité de soins optimale et en s’appuyant sur la plasticité des compétences de ses praticiens. Toutefois, nous vivons un événement historique mettant en tension les soins critiques et les blocs opératoires. La réanimation, mise en exergue par nombre d’experts, ne doit jamais être perçue comme une solution de premier recours ; il faut sans hésitation privilégier la prévention et donc respecter les mesures barrières.
Signataires (en date du 8 novembre 2020) :
Le Conseil National Professionnel Anesthésie-Réanimation et l’ensemble de ses composantes :
- le Collège National des Enseignants d’Anesthésie-Réanimation,
- la Société Française d’Anesthésie-Réanimation,
- le Syndicat National des Anesthésistes-Réanimateurs de France,
- le Syndicat National des Jeunes Anesthésistes-Réanimateurs,
- le Syndicat National des Praticiens Hospitaliers Anesthésistes-Réanimateurs Élargi et
- le Syndicat des Médecins Anesthésistes-Réanimateurs non universitaires
Contacts presse :
Pr Marc Leone — 33 6 16 71 30 94 — marc.leone@ap-hm.fr
Dr Franck Verdonk — 33 6 77 78 38 77 — fverdonk@stanford.edu
Références
1. Il est urgent de changer de stratégie sanitaire face à la Covid -19 | Le Club de Mediapart. https://blogs.mediapart.fr/laurent- mucchielli/blog/270 920/il-est-urgent-de-changer-de-strategie — sanitaire-face-la-covid-19. Accessed 5 Nov 2020
2. TRIBUNE. Le confinement constitue un remède pire que le mal pour la société française — regards. http://www.regards.fr/idees-culture/article/tribune-le- confinement-constitue-un-remede-pire-que-le-mal-pour-la — societe. Accessed 5 Nov 2020
3. Covid-19: les réanimations « ne sont pas débordées » ? Faux |Factuel. https://factuel.afp.com/covid-19-les-reanimations-ne- sont-pas-debordees-faux. Accessed 5 Nov 2020
4. Beyond 20/20 WDS - Rapports.
http://www.data.drees.sante.gouv.fr/ReportFolders/reportFold ers.aspx. Accessed 5 Nov 2020
5. Veber B, Asehnoune K, Ecoffey C, et al (2019) Démographie médicale en réanimation et unités de soins continus en France en 2018. Quels sont les besoins ? Anesthésie & Réanimation 5:265–273. https://doi.org/10.1016/j.anrea.2019.04.006
6. Lefrant J-Y, Fischer M-O, Potier H, et al (2020) A national healthcare response to intensive care bed requirements during the COVID-19 outbreak in France. Anaesth Crit Care Pain Med. https://doi.org/10.1016/j.accpm.2020.09.007
7. Guide d’aide à la mise en place et à la gestion d’une « Réanimation Ephémère » —La SFAR. https://sfar.org/guide- daide-a-la-mise-en-place-et-a-la-gestion-dune-reanimation-
ephemere/. Accessed 5 Nov 2020
8. Communiqué commun de l’Académie nationale de médecine et de l’Académie nationale de chirurgie: La reprise des activités chirurgicales : une urgence sanitaire et une contribution à la reprise économique — Académie nationale de médecine | Une institution dans son temps. http://www.academie-medecine.fr/communique-commun-de- lacademie-nationale-de-medecine-et-de-lacademie-nationale — de-chirurgiela-reprise-des-activites-chirurgicales-une-urgence-sanitaire-et-une-contribution-a-la-reprise — economiqu/. Accessed 5 Nov 2020
9. INCA —Les cancers en France. https://www.e-cancer.fr/ressources/cancers_en_france/#page=176. Accessed 5 Nov 2020
10. Hanna TP, King WD, Thibodeau S, et al (2020) Mortality due to cancer treatment delay: systematic review and meta- analysis. BMJ 371:m4087. https://doi.org/10.1136/bmj.m4087
11. Brazeau NF, Verity R, Jenks S, et al Infection Fatality Ratio: Estimates from Seroprevalence. https://doi.org/10.25561/83545
12. Stokes EK, Zambrano LD, Anderson KN, et al (2020) MMWR - Coronavirus Disease2019 Case Surveillance — United States, January 22–May 30, 2020
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