CHU DE TOULOUSE : Une fuite de 26 173 fiches incidents témoigne des effets délétères des politiques d'austérité sur l'hôpital public.
Une erreur informatique a rendu accessibles 26 173 fiches incidents du CHU de Toulouse censées rester confidentielles. Le site d'investigation Médiacités a pu se les procurer et en a livré une synthèse qui met en lumière le manque de moyens humains et matériels, une qualité de soins dégradée, des dysfonctionnements graves et des mises en danger de la vie de patients. Le constat est d'autant plus alarmant que le CHU de Toulouse est classé comme le second meilleur hôpital de France.
Les fiches incidents sont des rapports internes aux hôpitaux, rédigés par le personnel, qui sont destinés à améliorer la gestion de qualité au sein de l'établissement. Rendues accessibles à la suite d'une erreur informatique , le média d'investigation Médiacités a pu en collecter pas moins de 26 173 datées entre 2013 à 2017.
Des dysfonctionnements graves et récurrents.
Si la plupart des fiches témoignent d'incidents logistiques bénins, certaines mettent en lumière des incidents techniques graves et récurrents selon Médiacités :
- Défibrillateur défectueux au moment de choquer le patient,
- tensiomètres inopérants,
- pièce à main qui crache et brûle la bouche du patient,
- des chutes de patients provoquées par un trop grand écart entre le palier et l'ascenseur pendant plus d'un an,
- une porte d'entrée défectueuse pendant 3 ans qui fait descendre la température du hall d'accueil du service de traumatologie à 15° pendant 3 ans alors même que les patients y sont allongés sur des brancards,
- de la peinture qui tombe sur le patient durant l'opération,
- des coupures d'eau qui durent tout un week-end,
- des pannes d'électricité, ...
Et cette triste liste s'allonge presque indéfiniment avec des fiches incidents liées au manque de personnel qui relatent des soins bâclés, des patients mis en danger et un épuisement professionnel permanent:
- 2 infirmières pour 26 lits,
- des patients souillés,
- des retards dans la surveillance postopératoire,
- un service de traumatologie en sous-effectif,
- retard de brancardage,
- absence de prise en charge psychologique suite à l'annonce d'un cancer,...
Le personnel est « fatigué de ce manque de moyens qui met en danger la vie des patients. »
La direction du CHU s'échine dans sa communication à relativiser la portée de cette fuite de documents confidentiels. Elle note que seules 1600 fiches concernent des dommages aux soins et revêtent un caractère alarmant. Elle souligne par ailleurs que ces "1600 fiches doivent être mises en perspective avec les 1.2 million de prises en charge de patients qui se passent correctement chaque année ".
Au micro de France Bleu, Anne Ferrer se veut rassurante : "Chaque fiche est traitée, analysée. ... on demande à chaque agent de les relayer dès lors qu’ils en sont le témoin .. C’est vraiment un contrat de confiance que l’on a avec l’ensemble des agents du CHU"
Pour la CGT au contraire il ne s'agit que de la partie émergée de l'iceberg.
"9 agents sur 10 ne remplissent pas de fiches par manque de temps, et la plupart de ces fiches n’ont jamais de réponse !" Selon les propos rapportés par FranceInfo
Une politique d'austérité menée au détriment des patients et des soignants
Classé depuis 3 ans dans les 3 meilleurs CHU de France, le CHU de Toulouse a une activité dynamique qui se traduit par une hausse importante de son taux d'activité ses dernières années : 4,5% en 2016 et 2% prévus en 2017 selon la Tribune qui précise que cette hausse est essentiellement liée à l'activité de soins.
Malgré ce dynamisme, c'est bien une politique d'austérité qui est menée depuis 3 ans au CHU de Toulouse. En 2016 lorsqu'il prend en main les rênes du CHU, Raymond Le Moign annonce la couleur : réduire le déficit de 30 à 10 millions d'euros avant un retour à l'équilibre. Il met en place "Le plan Avenir", qui se traduit par la suppression de 39 équivalents temps plein en 2016, et de 56 en 2017. Pour la CGT ce n'est pas moins de 150 postes qui ont été supprimés en 2 ans.
« Le plan Avenir s’est traduit par des restructurations partout, une augmentation de l’ambulatoire, et la privatisation du bionettoyage des chambres et du brancardage », déplore Julien Terrié de la CGT.
4 salariés du CHU mettent fin à leur jour en 2016, le dialogue avec les syndicats se détériore. Le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) missionne le cabinet Addhoc pour enquêter sur le drame.
Après 62 jours d’enquête et 67 entretiens, le rapport est très clair sur la santé au travail du personnel hospitalier « Les indicateurs d’alerte sont au rouge et les troubles sont visibles et alarmants : burn-out, dépression, tentatives de suicide, suicides ».
Si l'impact d'une telle politique d'austérité sur les conditions de travail du personnel est de plus en plus documenté par ce genre de rapport et de multiples témoignages, des publications scientifiques cherchent à mesurer de façon rigoureuse leur impact sur la qualité des soins.
Si certaines études ont du mal à établir un lien linéaire entre mesures d'austérité et qualité des soins, ce n'est pas le cas de cette publication dans le Lancet de 2014 qui a pu conclure que le risque de mortalité augmentait de 7 % (1•068, 95% CI 1•031–1•106) chaque fois qu'une infirmière devait prendre en charge un patient supplémentaire. Cette étude portait sur 400 000 patients de plus de 50 ans pris en charge dans plus de 300 hôpitaux européens à la suite des plans d'austérité engagés après la crise de 2007.
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