‘Vache folle’ et nouvelle forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob : un lien plus fort que jamais
Au terme d'une élégante série d’expériences menées sur des souris transgéniques exprimant le gène codant pour le prion d’origine bovine, une équipe de chercheurs américains et britanniques livrent les arguments les plus convaincants à ce jour en faveur du passage à l’homme de l’agent responsable de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB).
Leurs résultats, publiés dans la dernière livraison des comptes rendus de l’Académie américaine des sciences (PNAS), établissent un lien direct entre la maladie de la vache folle et le nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, maladie neurodégénérative constamment mortelle.
Ces travaux ont été coordonnés par deux sommités mondiales : le Pr Robert Will de l’Unité nationale de surveillance de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (Western General Hospital, Edimbourg (Ecosse, Grande-Bretagne) et le Pr Stanley Prusiner de l’Université de Californie San Francisco, Prix Nobel pour ses travaux sur les prions. Ces chercheurs écrivent au sujet du Royaume-Uni, où plus de 175.000 bovins sont morts d'ESB et l'on dénombre 48 cas de nouveau variant atypique de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (nvCJD) frappant des adolescents et des adultes jeunes, que "la possibilité qu'une large fraction de la population soit à haut risque doit être sérieusement considérée".
Ces chercheurs ont utilisé des souris transgéniques exprimant le gène du prion normal (PrP), en l’occurrence celui du prion bovin (BoPrP), dans la mesure où il est établi que le gène du prion normal est le principal facteur qui détermine la susceptibilité à l’infection par une forme pathologique de prion. Cet artifice permet de contourner la " barrière d’espèce " qui confère aux membres d’une espèce un certain degré de protection vis-à-vis des prions originaires d’autre espèce.
Les expériences montrent que l’inoculation intracérébrale de prions provenant de bovins infectés entraînent une maladie chez ces souris transgéniques. La période d’incubation est d’environ 250 jours. Chez ces rongeurs génétiquement manipulés, l’expression de la BoPrP abolit donc la barrière d’espèce, ces souris pouvant assurer la propagation de l’agent responsable de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB).
Ces mêmes souris transgéniques sont également très susceptibles à l’infection par des prions provenant de malades atteints du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Une maladie neurologique se développe chez quasiment 100 % des rongeurs inoculés, après une période d’incubation très proche de celle observée après transmission du prion de l’ESB : 250 à 270 jours.
De même, des souris exprimant le gène du prion bovin sont aisément infectables par l’agent de la tremblante du mouton, la scrapie. Ces rongeurs transgéniques sont donc également sensibles aux prions des ovins.
Les prions humains et bovins provoquent la même maladie chez les souris
Les examens neuropathologiques pratiqués chez les souris transgéniques infectées par les prions du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (nvCJD) montrent que les lésions cérébrales sont en tout point similaires à celles observées chez les souris infectées par le prion de l’ESB.
Ainsi, la dégénérescence spongiforme a été observée dans les mêmes zones cérébrales. Les plaques amyloïdes avaient un aspect et une localisation identiques. Une même distribution du prion pathologique a été notée dans le cerveau des souris transgéniques après inoculation avec l’agent du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ou le prion de l’ESB.
Les auteurs soulignent en revanche que ces lésions neurologiques ne ressemblaient pas à celles retrouvées chez les souris transgéniques infectées par l’agent de la tremblante du mouton (scrapie).
L’analyse des caractéristiques moléculaires des prions du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (nvCJD) et l’ESB chez les souris transgéniques a montré que leurs propriétés étaient les mêmes. Le traitement enzymatique de ces protéines infectieuses conduisait dans tous les cas à un même fragment de 19 kDa, non glycosylé, protéase-résistant. De plus, la prédominance de fragments diglycosylés restait constante chez les souris transgéniques après transmission du prion bovin ou du prion provenant du nouveau variant de la maladie humaine (nvCJD).
Au total, l'ensemble de ces données montre que la transmission de prions du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (nvCJD) à des souris transgéniques pour BoPrP semble induire une maladie en tout point similaire à celle provoquée par les prions de l’ESB.
" Le fait que les prions humains de la nvCJD reproduisent si précisément les propriétés des prions natifs bovins de l’ESB lors de leur transmission à des souris transgéniques BoPrP constitue un argument extrêmement convaincant pour un lien étiologique entre l’ESB et le nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (nvCJD) ", concluent les auteurs.
La théorie du prion : un mécanisme multi-étapes
L’étude publiée dans les PNAS ne saurait cependant occulter celle parue jeudi dernier dans la revue Nature. Au terme de nombreuses expériences mettant en scène des souris et des hamsters transgéniques, l’équipe de Stanley Prusiner a obtenu des résultats qui permettent d’avoir une vision plus détaillée de sa théorie du prion.
Les maladies à prions peuvent être la conséquence d’une infection, apparaître de façon sporadique par un mécanisme inconnu, ou résulter de la transmission d’une mutation du gène du prion (PrP).
On le sait, l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) et la maladie de Creutzfeldt-Jakob sont caractérisées par l’accumulation dans le cerveau d’une protéine infectieuse. Il s’agit d’une version pathologique, baptisée PrPSc, de la protéine normale prion (PrP).
Or des travaux ont montré que certaines mutations héréditaires du gène PrP provoquent des maladies neurodégénératives dans lesquelles on ne retrouve pas le prion pathologique PrPSc. On observe en revanche la présence d’une forme transmembranaire de la protéine prion, baptisée CtmPrP.
Vishwanath Lingappa et ses collaborateurs rapportent que les maladies infectieuses et génétiques à prions partagent une étape commune sur la voie moléculaire qui conduit à la neurodégénérescence. Cette découverte permet pour la première fois de concilier des données apparemment contradictoires entre maladies génétiques et infectieuses à prions.
Leurs expériences montrent que l’accumulation de PrPSc dans les maladies transmissibles à prions est suivie par la production accrue de CtmPrP. L’accumulation de la PrPSc apparaît ainsi moduler l’apparition de la CtmPrP.
Ces résultats permettent donc d’imaginer que certaines mutations du gène PrP pourraient court-circuiter l’accumulation de PrPSc en provoquant directement la production de la protéine transmembranaire CtmPrP.
Tel pourrait être le cas de la mutation associée à la maladie de Gerstmann-Sträussler-Scheinker (GGS), une encéphalopathie spongiforme proche de la maladie de Creutzfeldt-Jakob mais qui s’en distingue par une ataxie cérébelleuse et une évolution plus prolongée. Ceci expliquerait la raison pour laquelle le prion pathologique PrPSc n’est pas retrouvé dans le cerveau des malades atteints de GGS et que la maladie n’est pas transmissible expérimentalement.
Au total, les auteurs proposent un mécanisme de la pathogénèse des maladies à prions en trois étapes. La première est représentée par la formation et l’accumulation du prion pathologique PrPSc. Elle est initiée par l’inoculation d'un prion infectieux ou la conversion du prion normal en PrPSc. La deuxième étape est caractérisée par la production de la protéine transmembranaire CtmPrP. Celle-ci pourrait être nécessaire et suffisante au développement de la maladie. La présence de dépôts de PrPSc ou de certaines mutations du gène PrP pourrait être déterminante à ce stade. Enfin, la troisième étape se résume à l’action délétère de la protéine CtmPrP sur les neurones, avec pour conséquence l’apparition d'une maladie neurodégénérative.
Ce nouveau modèle multi-étapes de la théorie du prion devrait inciter les chercheurs à mener des expériences permettant de mieux cerner les mécanismes qui régulent la production et le métabolisme de CtmPrP, protéine qui apparaît aujourd'hui être située au carrefour de la pathogénie des différents types de maladies à prions.
Source : PNAS, 21 décembre 1999, Vol.96, N°26, 15137-42. Nature, 16 décembre 1999, Vol.202, 822-6, 737-8.
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