En cas de dossier médical incomplet, la charge de la preuve repose sur le médecin

En cas de dossier médical incomplet, la charge de la preuve repose sur le médecin Une récente décision de la Cour de cassation redistribue la charge de la preuve dans les affaires de responsabilité médicale. Si le dossier médical est incomplet, il appartient désormais au médecin de prouver que les soins prodigués respectaient les règles de l’art. Cette évolution marque un tournant dans la protection des droits des patients et fait peser sur les épaules des médecins une responsabilité de plus en plus lourde.

Une affaire qui trouve racine dans des lacunes documentaires

Lors d’une arthroscopie de la hanche, une broche guide métallique s’est rompue, provoquant des séquelles importantes pour la patiente. Celle-ci engage une action en responsabilité contre le chirurgien, arguant que les recommandations de la Société française d’arthroscopie (SFA) n’ont pas été respectées. Ces dernières suggèrent notamment l’introduction d’air et de sérum physiologique pour préparer l’articulation avant l’intervention.

Le point central du débat repose sur le dossier médical. Bien que le chirurgien ait affirmé avoir suivi les recommandations, cette étape n’a pas été consignée dans le compte rendu opératoire, créant une lacune documentaire.

La Cour de cassation a jugé que dans un contexte où l’absence d’informations dans un dossier médical empêche de vérifier la conformité des soins, la charge de la preuve bascule vers le professionnel de santé. Elle s’appuie sur :

  • L’article L1142-1 du Code de la santé publique, qui régit la responsabilité médicale.
  • L’article 1353 du Code civil, précisant que celui qui se libère d’une obligation doit en apporter la preuve.

En l’espèce, la Cour estime qu’il appartenait au chirurgien de démontrer que les actes réalisés étaient conformes aux standards de soins, ce qui n’a pas été fait.

Une nouvelle jurisprudence en faveur des victimes

Cette décision s’inscrit dans une série d’arrêts renforçant les droits des victimes d’erreurs médicales en cas de documentation insuffisante. Parmi les précédents :

  • En 2012, lors d’un accouchement, la Cour a statué que l’absence d’enregistrements du rythme fœtal imposait à la clinique de prouver qu’aucune faute n’avait été commise.
  • En 2014, un gynécologue-obstétricien a été tenu de justifier l’absence de faute lors d’un retard dans l’hospitalisation d’un nouveau-né souffrant d’hémorragie.
  • En 2018, la perte complète d’un dossier médical a conduit à un recours réussi contre une clinique par l’ONIAM.

Cependant, l’arrêt de 2024 innove en considérant qu’un dossier médical complet mais incomplet sur un point critique peut suffire à inverser la charge de la preuve. Cette évolution met en lumière l’exigence accrue de rigueur documentaire dans le domaine médical.

Pour Dimitri Philopoulos, Avocat et Docteur en médecine, La décision de la Cour de cassation apparaît cohérente, car le compte rendu opératoire, rédigé par le médecin, engage sa responsabilité en ce qui concerne toute omission ou imprécision dans les informations qu’il contient.

Réactions des professionnels et impacts sur la pratique médicale

Réactions variées des professionnels de santé

Les avis sont partagés parmi les acteurs du secteur médical. Sur Linkedin, certains saluent une avancée pour les droits des patients, estimant que cette décision renforcera la transparence et la rigueur dans la gestion des dossiers médicaux :

  • "Enfin une évolution respectable pour les victimes qui peinent à faire valoir leurs droits face aux erreurs médicales."
  • "Cela va encourager une meilleure tenue des dossiers, ce qui est bénéfique à long terme pour tous les acteurs du système de santé."

D’autres, cependant, expriment de vives inquiétudes quant aux conséquences pratiques :

  • "Cette décision installe une méfiance qui pourrait altérer la qualité des échanges entre patients et soignants."
  • "Les médecins risquent de pratiquer une médecine défensive, évitant les patients jugés à risque pour ne pas se retrouver en procès."

Conséquences sur le système de santé

Cette jurisprudence pourrait avoir des impacts systémiques majeurs :

  • Allongement des délais de prise en charge : certains médecins pourraient hésiter à accepter des cas complexes, augmentant ainsi la file d’attente.
  • Charge administrative accrue : garantir une traçabilité parfaite des soins nécessitera davantage de temps et de moyens, au détriment du temps médical disponible.

Un médecin déclare : "Nous passerons plus de temps à rédiger des documents qu’à soigner des patients." Une réalité qui pourrait décourager les jeunes générations à embrasser une carrière médicale.

Une réflexion sur l’équilibre à trouver

Si cette décision est saluée pour renforcer les droits des patients, elle soulève des interrogations majeures sur l’équilibre entre la rigueur documentaire et la praticité clinique. La relation médecin-patient, fondée sur la confiance, pourrait être mise à mal par une judiciarisation accrue des pratiques médicales.

Certains observateurs craignent un glissement vers un modèle anglo-saxon, où la peur des procès paralyse parfois la pratique médicale. Un commentaire souligne : "Attention à ne pas reproduire un système où la médecine est paralysée par la peur des procès, comme aux États-Unis."

Cette décision, bien que saluée pour renforcer les droits des patients, soulève des enjeux systémiques majeurs. Trouver un équilibre entre transparence et praticité sera essentiel pour éviter des dérives et préserver une médecine humaine et accessible.

Comme l’affirme un professionnel de santé : "Cette décision est une bonne chose, mais elle doit être appliquée avec discernement pour ne pas engendrer des effets pervers dans la pratique médicale."

 

https://www.courdecassation.fr/decision/670f57544ad0d5ee7d7e5932

 

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