Covid-19 : le décubitus ventral vigile efficace pour les patients non intubés souffrant de forme grave selon un méta-trial innovant piloté par le CHRU de Tours
En combinant de façon prospective les données de 6 essais randomisés menés conjointement sur les continents américains et européens, une équipe de chercheur a pu établir de façon très rapide et avec une grande puissance statistique la preuve de l’intérêt de recourir au décubitus ventral vigile systématique sur des patients non intubés souffrant de pneumonie grave à SARS-COV2. Ce projet de recherche clinique coordonné par le CHRU de Tours est le premier à utiliser des théories statistiques dérivées des méta-analyses classiques. Il a fait l’objet d’une revue dans The Lancet Respiratory Medicine.
Si depuis une dizaine d’années, le bénéfice de placer en décubitus ventral les patients intubés souffrant du syndrome de détresse respiratoire aiguë est établi, l’intérêt de placer les patients non intubés sur le ventre n’avait jamais été clairement démontré. Au début de la pandémie de la covid-19, les lits et les respirateurs artificiels se font tellement rares dans les unités de soins intensifs que cette question se pose avec une nouvelle acuité.
Plusieurs équipes, en particulier chinoises rapportaient l’utilisation de cette technique, mais aucune évaluation scientifique rigoureuse n’avait été menée pour tester cette technique à large échelle.
Un projet de recherche clinique international coordonné à Tours vient d’apporter la preuve de l’efficacité du décubitus ventral vigile chez les patients non intubés souffrant de pneumonie grave à SARS-COV2. Les résultats ont été publiés dans The Lancet.
Les résultats
Entre le 2 avril 2020 et le 26 janvier 2021, 1126 patients ont été recrutés et assignés de manière aléatoire au positionnement en décubitus ventral vigile (n=567) ou aux soins standard (n=559). 5 patients ont été exclus. L’échec du traitement est survenu chez 223 (40 %) des 564 patients affectés au positionnement en décubitus ventral vigile et chez 257 (46 %) des 557 patients affectés aux soins standard (risque relatif 0,86 [IC 95 % 0,75-0,98]).
Le hazard ratio (HR) pour l’intubation était de 0,75 (0,62-0,91), et celui pour la mortalité était de 0,87 (0,68-1,11) avec le positionnement en décubitus ventral par rapport aux soins standards dans les 28 jours suivant l’inscription.
Par ailleurs, alors que 40 % des patients du bras contrôle étaient intubés à 28 jours de l’inclusion, c’était le cas pour seulement 33 % des patients du bras décubitus ventral vigile, un résultat statistiquement significatif et cliniquement pertinent. Aucun signal en faveur d’effets secondaires significatifs n’a été observé.
Selon les auteurs, « il existe un bénéfice individuel pour les patients, qui pour certains sortiront de réanimation sans jamais avoir été intubés, les mettant à l’abri des nombreuses complications de l’intubation, mais également collectif avec une moindre tension sur les respirateurs et lits de réanimation.
Ainsi, le méta-trial apporte un haut niveau de preuve en faveur de la mise en décubitus ventral vigile des patients non intubés souffrant de pneumonie grave à SARS-COV2 sous oxygénothérapie à haut débit nasal. Un résultat avec des implications cliniques immédiates pour la 4e vague épidémique.
Ces résultats ouvrent des perspectives de recherche nombreuses, comme d’évaluer les bénéfices à plus long terme, les facteurs favorisant la bonne tolérance de séances longues de décubitus ventral qui semblent associées à un bénéfice plus grand, les facteurs prédictifs du succès de la technique, l’évaluation dans le cadre d’autres infections pulmonaires que la COVID-19. »
Histoire du projet
Le Dr Yonatan Perez, chef de clinique assistant de Médecine Intensive Réanimation à la Faculté de Médecine et au CHRU de Tours a déposé avec succès un projet à l’appel d’offres interrégional du PHRC (Programme Hospitalier de Recherche Clinique) au printemps 2020 (Etude High Prone COVID-19), en pleine première vague pandémique. Il s’agissait d’évaluer le décubitus ventral vigile chez les patients souffrant de pneumonie grave à SARS-COV2, nécessitant une assistance respiratoire par oxygène à haut débit nasal, mais non intubés. Il s’agissait alors d’une approche totalement originale de prise en charge ventilatoire. Dès le début du projet, il est apparu que plusieurs équipes dans le monde initiaient des essais randomisés similaires. Plutôt qu’une approche concurrentielle nous avons cherché à tirer bénéfice de cet engouement pour la technique. La Dr Elsa Tavernier, statisticienne du centre d’investigation clinique du CHRU de Tours, avait développé au cours de sa thèse des méthodes de recherche clinique permettant l’analyse prospective simultanée de plusieurs essais randomisés. Ces théories statistiques dérivées des méta-analyses classiques n’avaient jamais été testées grandeur nature, c’était l’occasion.
Le méta-trial : un design d’étude internationale inédit
Avec le Pr Stephan Ehrmann, l’équipe s’est lancée dans la mise en œuvre concrète du premier méta-trial, combinant prospectivement les données issues de 6 essais randomisés menés conjointement aux États-Unis, Canada, Espagne, Irlande, Mexique et France. Pour harmoniser les protocoles de chaque essai national, le comité de pilotage du meta-trial s’est réuni par visioconférence et a également convenu des principes de fonctionnement du projet collaboratif. Un plan d’analyses intermédiaires commun a été mis sur pied prévoyant d’analyser les données agrégées tous les 200 patients. Ainsi, le méta-trial permettait en unissant les efforts de chercheurs et cliniciens éparpillés dans le monde, de se donner les moyens de répondre à la question de l’intérêt du décubitus ventral vigile chez les patients non intubés en un minimum de temps avec un maximum de puissance statistique. Il s’agit alors d’un design d’étude totalement innovant, décrit de façon théorique, mais jamais mis en œuvre en pratique. Le bénéfice de cette collaboration internationale, comparé aux nombreuses initiatives éparses de recherche parfois insuffisamment coordonnées qui ont vu le jour durant la pandémie mérite d’être souligné.
Centres participant dans les différents pays (6 pays, 41 centres)
USA
- Rush University Medical Center, Chicago, IL
- Unity Point Health-Des Moines, Des Moines, IA
- Baylor University Medical Center, Dallas, TX
- University of Michigan Medical School, Ann Arbor, MI
Canada
- Hôpital de Verdun, Montréal, Québec
- Royal Victoria Hospital and Montreal General Hospital, both part of the McGill University Healthcare, Montréal,
- Hôpital de la Cité-de-la-Santé, Laval, Québec
- Hôpital de Gaspé, Gaspé, Québec
Espagne
- Hospital Universitari Vall d’Hebron, Barcelona
- Hospital Universitari del Mar, Barcelona
Irlande
- Galway University Hospitals
- National University of Ireland, Galway.
- University College Dublin
Mexique
- Hospital Civil Fray Antonio Alcalde. Guadalajara, Jalisco
- Hospital General de Occidente. Guadalajara, Jalisco
France
- CHRU de Tours, Tours ; CHU de Nantes, Nantes ; CH du Mans, Le Mans ; CHR d’Orléans, Orléans ; CHU de la Cavale Blanche, Brest ; CHU de Poitiers, Poitiers ; CHU de Nice, Nice ; CH Victor Dupouy, Argenteuil ; APHP, Hôpital Louis Mourier, Colombes ; Centre Hospitalier Bretagne Atlantique, Vannes ; APHP, Hôpital Tenon, Paris ; CHU de Lille, Lille ; CH de Mont-de-Marsan, Mont-de-Marsan ; CHU Grenoble Alpes, Grenoble ; CHU d’Amiens, Amiens ; CHU de Caen, Caen ; Centre hospitalier du pays d’Aix – Centre hospitalier intercommunal Aix-Pertuis, Aix-en-Provence ; CH de Dax, Dax ; CH de Béthune, Béthune ; CHU Dijon-Bourgogne, Dijon ; CHU de Bordeaux, Bordeaux ; CHD Vendée, La Roche-sur-Yon ; CH de Valence, Valence ; CH de Blois, Blois, CH de Lorient, Lorient ; CHU de Nancy, Vandœuvre-lès-Nancy.
Calendrier
- 29 avril 2020 : 1ère visioconférence (France, USA, Canada, Irlande, Espagne). Définition du projet collaboratif
- 24 juillet 2020 : publication d’un appel à participation dans Journal of Critical Care
- Août 2020 : un 6ème pays, le Mexique, rejoint le projet
- 1ère analyse intermédiaire en août 2020
- 2ème analyse intermédiaire en octobre 2020
- 3ème analyse intermédiaire en janvier 2021 : décision d’arrêt des essais individuels pour efficacité
- 20 août 2021 : publication du meta-trial dans The Lancet Respiratory Medicine
« Moins de 16 mois se seront écoulés entre l’initiation du projet et sa publication. Au-delà des résultats positifs de l’étude avec un bénéfice prouvé pour les patients, mener à terme ce projet dans le contexte pandémique qu’on connait aura été une formidable aventure humaine. » Dr Yonatan Perez
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