Les plans européens de pharmacovigilance renforcée : sécurité ou frein ?
Près d’un an après le lancement de l’alerte mondiale, la mise sur le marché de vaccins efficaces contre le SARS-CoV-2 a fait naître l’espoir de maîtriser le cours de la pandémie de Covid-19. Cet espoir est toutefois fragile, en raison du caractère lentement progressif de la campagne, de la faible disponibilité des doses de vaccins et de l’émergence de variants plus contagieux qui risquent de réduire l’efficacité de la vaccination.
Dans l’Union Européenne, comme dans de nombreux autres pays, le lancement de la campagne de vaccination s’est accompagné de la mise en place d’un plan de pharmacovigilance renforcée. Ce plan vise à recenser les effets secondaires déjà identifiés dans le cadre des essais cliniques de phase 3 des différents vaccins ayant précédé l’octroi de leur autorisation de mise sur le marché. Il vise aussi à repérer d’éventuels événements indésirables non détectés en phase 3. L’analyse de ces événements post-vaccinaux est importante pour déterminer si leur survenue est liée ou non à l’acte vaccinal par une relation de causalité, ce qui peut conduire l’Autorité de régulation à remettre en cause l’autorisation d’utilisation du vaccin imputé.
Un effet secondaire rare, non identifié durant les essais cliniques de phase 3 (sur quelques milliers de personnes), peut n’être détecté qu’en phase 4, après la mise sur le marché du vaccin (il est alors administré à des centaines de milliers, voire des millions de personnes). Ainsi, durant la campagne de vaccination contre le virus A/H1N1v responsable de la pandémie grippale de 2009, des cas de narcolepsie, non révélés lors des essais cliniques, ont été observés avec un risque attribuable à cette vaccination dans 1 cas sur 18 400 doses [1]. Lorsqu’un évènement indésirable grave survient au cours d’une campagne de vaccination de masse, il peut être difficile de réfuter toute relation de cause à effet. Ainsi, constatant une corrélation entre la vaccination contre l’hépatite B (administrée à plus de 30 % de la population adulte jeune au cours des années 1990) et l’incidence de la sclérose en plaques en France, l’autorité sanitaire avait suspendu le programme de vaccination des collégiens en 1998, retardant de plusieurs années l’extension de la couverture vaccinale, bien qu’aucun lien de causalité n’ait été établi [2]. Cet épisode regrettable avait entraîné une perte de confiance durable vis-à-vis de la vaccination.
Très récemment, une trentaine d’accidents thrombo-emboliques survenus dans l’Union européenne après vaccination par le vaccin COVID-19 AstraZeneca® ont été signalés au dispositif renforcé de pharmacovigilance, suscitant une vive inquiétude parmi les États membres et conduisant plusieurs d’entre eux (Danemark, Norvège, Islande, Pays-Bas, Allemagne, Italie, Espagne, Portugal et France) à suspendre l’utilisation de ce vaccin en vertu du principe de précaution.
Une analyse épidémiologique détaillée est nécessaire pour déterminer s’il existe un lien statistiquement significatif entre ces accidents et l’administration du vaccin COVID-19 AstraZeneca® et, dans cette éventualité, rechercher une relation de causalité pouvant modifier la balance bénéfice-risque et faire reconsidérer l’homologation de ce vaccin.
Alors que la recrudescence de la Covid-19 dans les pays européens nécessite une intensification de la campagne de vaccination, la suspension du vaccin COVID-19 AstraZeneca®, même pour une courte durée, motivée par un signal faible de signification incertaine, compromet la dynamique d’une vaccination de masse encore balbutiante et conforte l’hésitation vaccinale.
Afin que la pharmacovigilance, élément central de la sécurité sanitaire de cette campagne, n’en devienne pas un frein irrationnel, l’Académie nationale de Médecine recommande :
– de faire connaître au grand public le fonctionnement et l’organisation du plan de pharmacovigilance renforcé mis en place lors du lancement de la campagne nationale de vaccination ;
– d’inciter les professionnels de santé et les particuliers à signaler tout évènement indésirable survenant au décours de la vaccination ;
– d’améliorer la sensibilité du système de détection des évènements indésirables post-vaccinaux, actuellement passif, en le complétant par un volet proactif comportant des sollicitations systématiques (par courriel ou SMS) aux personnes vaccinées [3] ;
– de soumettre le recours au principe de précaution à l’étude préalable et objective du rapport bénéfice/risque de la vaccination.
Académie de Médecine
1. Sarkanen TO et al. Incidence of narcolepsy after H1N1 influenza and vaccinations: Systematic review and meta-analysis. Sleep Med Rev. 2018 ; 38 : 177-86.
2. AFSSAPS. Bilan de pharmacovigilance et profil de sécurité d’emploi des vaccins contre l’hépatite B « Aucune nouvelle donnée ne vient remettre en cause le bénéfice de la vaccination », février 2012.
3. Communiqué de l’Académie nationale de médecine « Pour réussir la campagne nationale de vaccination contre la Covid-19, n’oublions pas le carnet électronique de vaccination », 3 décembre 2020
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