Le CCNE n’a pas d’objection éthique à allonger le délai d’accès à l’IVG de deux semaines
Le ministre des Solidarités et de la Santé a sollicité, le 2 octobre 2020, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) afin de recueillir son avis sur l’allongement du délai d’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), visant à renforcer le droit à l’avortement et à « assurer la pleine effectivité du droit des femmes ». Cette saisine est contemporaine d’une proposition de loi « visant à renforcer le droit à l’avortement », adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 8 octobre 2020, comportant notamment un article traitant de l’allongement du délai d’accès à l’IVG de 12 à 14 semaines de grossesse (14 à 16 semaines d’aménorrhée).
Le texte du CCNE répond donc à une question de délai d’accès à l’IVG et n’évacue pas le débat moral posé par le principe même de l’IVG, question suscitant encore de vives réactions au sein de la société. Pour le CCNE, la pratique d’une IVG ne peut être considérée comme un acte médical ordinaire. Il considère que la clause de conscience spécifique prévue par l’article L. 2212-8 du Code de la santé publique en souligne la singularité et est donc favorable à son maintien pour les médecins et les sages-femmes.
De ce fait, l’axe de la réflexion du CCNE pour répondre à cette saisine a été d’interroger la question de la bienfaisance et de la non-malfaisance à l’égard des femmes, afin d’apprécier si l’application des mesures rappelées dans la proposition de loi en cours d’examen permettait, dans le cadre du respect du droit des femmes, de mieux les protéger.
En 2019, le nombre d’IVG en France s’est élevé à 232 244, correspondant à l’interruption volontaire d’une grossesse sur quatre environ. Ce ratio est similaire à celui d’autres pays comme le Royaume-Uni ou la Suède, mais supérieur à celui de l’Allemagne ou des Pays-Bas. La moitié des IVG réalisées en 2019 concerne des grossesses de moins de 6 semaines, celles réalisées durant les deux dernières semaines du délai légal (11 et 12e semaine de grossesse) correspondant à 5,3 % de l’ensemble des IVG, soit 12 000 en 2019. Certaines patientes françaises ayant dépassé la limite autorisée pour les IVG en France sont conduites à se rendre principalement dans trois pays (Pays-Bas ; Royaume-Uni ; Espagne), compte tenu des différences législatives en termes d’accès à l’IVG qui y prévalent.
Jusqu’à très récemment, aucune donnée n’avait été publiée permettant d’évaluer de façon fiable le nombre de patientes concernées, ainsi que les raisons qui les amènent à dépasser le terme de 12 semaines. L’évaluation qui en a été faite par le CCNE, au cours du travail préparatoire à cette réponse, a permis d’estimer ce nombre à 1500-2000 femmes en 2018, nombre inférieur aux chiffres régulièrement mentionnés dans de nombreux rapports, mais jamais référencés. Par ailleurs, des données récemment publiées par de Zordo et al. (2020), concernant un effectif (47) de patientes françaises de plus de 18 ans, ayant eu recours à une IVG dans l’un des trois pays, soulignent que 70 % d’entre elles n’ont fait le diagnostic de grossesse qu’après 14 semaines d’aménorrhée pour diverses raisons incluant notamment l’irrégularité des cycles menstruels, l’absence de signes cliniques de grossesse et parfois la persistance des menstruations.
Appliquer et faire respecter les lois en vigueur
Le choix des femmes de ne pas poursuivre leur grossesse doit être respecté et accompagné par les professionnels de santé dans le respect de la loi mise en place en France en 1975 (Loi Veil).
Pour toutes les femmes qui doivent y avoir recours, l’IVG est une étape de vie compliquée et le regard posé par la société se doit d’être bienveillant à partir du moment où c’est le choix fait par la France. Le fait que le nombre d’IVG soit élevé en France oblige qu’une information soit faite, aux garçons et aux filles, dès l’école, sur la sexualité et l’éducation affective, les méthodes contraceptives, ainsi que sur le risque de grossesse, dans le but d’éviter aux femmes la situation difficile d’une grossesse non désirée. Sur la question de l’information en milieu scolaire, un rapport du CESE publié en 2019 indiquait « un déficit alarmant en matière d’éducation » : un quart des établissements scolaires n’ayant mis aucune action en place.
Par ailleurs, le non-respect de la loi par les structures de soins ou les professionnels de santé, en particulier les délits d’entrave à l’IVG, doit être sanctionné.
Améliorer la prise en charge et les parcours de soins
Le principe éthique de bienveillance ne s’applique que si, toute femme découvrant sa grossesse dans les délais légaux de l’IVG puisse avoir accès, même dans un délai proche de 12 semaines de grossesse à une IVG, si cela est son choix. Cela n’est clairement pas le cas pour toutes les femmes. De fortes disparités territoriales dans l’accès à l’IVG subsistent aujourd’hui, liées en particulier à la diminution du nombre d’établissements de santé la pratiquant et conduisant parfois à des délais trop importants de prise en charge, avec des capacités réduites.
Les mesures mises en place par les différentes politiques publiques doivent être respectées afin d’améliorer la prise en charge des IVG en France. Des mesures concernant la contraception en particulier chez les 19-25 ans qui représentent 65 % des IVG doivent être déployées.
Des moyens doivent être donnés aux structures réalisant les IVG pour pouvoir recevoir les patientes dans les 5 jours et en urgence proche du terme limite de 12 semaines de grossesse.
Parmi les conditions qui conduisent une femme à dépasser le terme légal actuel, certaines sont évitables et tout doit être fait pour renforcer l’accompagnement dû à chaque femme à travers une amélioration des parcours médicaux. Le CCNE ne saurait cautionner une mesure prise pour pallier les multiples dysfonctionnements matériels, économiques, juridiques d’une politique de santé publique majeure pour les femmes.
Doit-on continuer à ne rien proposer en France pour les femmes qui partent à l’étranger ?
Une IVG, comme toute intervention chirurgicale, comporte des risques. Les données publiées dans la littérature sur les risques concernant les IVG réalisées jusqu’à 22 semaines de grossesse montrent que, plus le terme est avancé, plus le pourcentage de complications obstétricales augmente, mais les complications graves sont très rares et il n’existe que peu, voire pas de différence entre 12 et 14 semaines de grossesse. Toutefois, si les IVG sont réalisées entre 12 et 14 semaines de grossesse, elles nécessiteront leur réalisation par des médecins correctement formés et qui acceptent de le faire. Une enquête réalisée par le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) en octobre 2020 auprès de 783 médecins indique que 37,3 % d’entre eux les réaliseraient si la loi les y autorisait. Ces données ne concernent que les gynécologues-obstétriciens, mais de nombreux médecins généralistes pratiquent également des IVG.
En axant sa réflexion sur les principes d’autonomie, de bienfaisance, d’équité et de non-malfaisance à l’égard des femmes, le CCNE considère qu’il n’y a pas d’objection éthique à allonger le délai d’accès à l’IVG de deux semaines, passant ainsi de 12 à 14 semaines de grossesse.
Cette opinion du CCNE a été approuvée par la majorité des membres présents lors de la réunion du 12 novembre 2020, à l’exception d’une opinion divergente.
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