Pro- ou anti-Raoult : et si le droit était le seul arbitre ?
Parce que la France est et restera la France, tout est, en cas d’épidémie, sujet à critiques, controverse, agitation, et cela surtout entre professeurs de médecine, à coups de grands renforts médiatiques !
En temps normal, les pro-vaccins affrontent les anti-vaccins, les prohospitalisations les proambulatoires. En ces temps de pandémie, les débats télévisés dans lesquels personne n’a vraiment tort, ni vraiment raison, laissent place au combat des pro-Raoult contre les anti-Raoult.
Pour les uns, Didier Raoult est un sauveur, et en ces temps de suspension liturgique, il est le nouveau messie, celui par qui vient le salut. Il offre le pain de vie, la fontaine du salut par le savoureux mélange du Plaquenil et de la rétromycine.
Pour les autres, un charlatan dangereux et qui, en plus, n’est pas même pas Parisien !
Et au milieu… coule un ministre qui tente, avec calme et douceur printanière, de mettre tout le monde d’accord, en appliquant la règle du ni trop ni trop peu !
Mais si le véritable salut venait, une fois encore, dans cette crise, du droit ? Et si le véritable arbitre était, une fois de plus, le bon vieux droit, fondateur de nos civilisations ?
Le problème du juriste est qu’il n’est guère très médiatique quand il est précis et technique, et à ce titre, ses instruments de régulation qu’est le texte, la jurisprudence, la doctrine ne sont guère très séduisants pour le commun des mortels !
S’affronter sur les plateaux télé à coup de potion magique vs traitement conventionnel est de loin plus payant sur le plan médiatique, et l’auteur de ces lignes, technicien aussi ennuyeux que minutieux 364 jours par an, en a fait l’expérience, lorsque par un lundi de confinement, il laissa sa colère éclater sur un plateau télé, qui désormais rime avec vitalité ! Hélas, technicien est son métier, et pour se positionner sur le débat du Plaquenil, il le lui faut exercer…
Le premier rappel, et comment ne pas s’excuser, est contenu au Code de déontologie médicale, codifié au Code de la santé publique, et plus particulièrement en son article R 4127-8 et selon lequel
« Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance.
Il doit, sans négliger son devoir d’assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins. »
Ainsi, et pardon de ce rappel de la douce évidence : la prescription médicale est encadrée, et doublement même :
– par les données acquises de la science ;
– et par la qualité, la sécurité et l’efficacité des soins qui constituent non seulement un cadre, mais une limite.
La question des données acquises est probablement la plus intéressante en ce qu’elles constituent une barrière infranchissable pour le praticien, et celui qui l’enjamberait risquerait particulièrement gros.
Le problème est que leur définition n’est pas aussi évidente qu’il y paraît, et sans entrer dans un cours de droit médical, il faut retenir qu’on entend par cette notion les données suffisamment éprouvées, ayant acquis un consensus suffisant au sein de la communauté médicale.
Ce consensus, en matière de médicament, prend évidemment la forme de l’autorisation de mise sur le marché : on estime qu’un médicament qui a reçu telle autorisation est suffisamment éprouvé pour être prescrit dans l’indication qui lui est donnée.
Mais… la liberté de prescription constitue un principe tellement essentiel qu’il l’a été élevé au rang de principe général du droit, de telle sorte que celui qui voudrait y porter atteinte devrait tout de même faire très attention !
Et c’est pour cette raison que malgré un certain nombre de scandales sanitaires, dont le médiator, la prescription hors AMM demeure toujours possible à des conditions bien précises parmi lesquelles figurent l’absence de traitement équivalent disponible et… la conformité aux données de la science.
C’est ici que naît la ligne de démarcation entre les pro-Plaquenil et les anti-Plaquenil.
Pour les uns : quelques cas issus d’une expérience menée par un professeur original ne sauraient constituer de données de la science autorisation une prescription hors AMM. Au titre de ceux-là, on retrouve non moins que le Collège des enseignants de médecine générale, ou encore le Conseil national de l’ordre des médecins.
Pour les autres : à la guerre comme à la guerre, et le professeur Raoult étant une sommité internationale, on peut lui faire confiance. Dans ce camp, on retrouve Philippe Douste Blazy, ou encore le Conseil Régional de l’Ordre PACA, pour ne citer qu’eux.
Et donc ?
Et donc, une fois encore la vérité est tout entière juridique : pour qu’il y ait conformité aux données de la science, il faut qu’il y ait consensus (d’où d’ailleurs le nom de conférences de consensus) soit national, soit international ! Et ici, le juge n’est pas avare : si une étude étrangère démontre de manière suffisante l’efficacité d’un traitement alors que celui-ci est en cours d’expérimentation en France, il ne s’intéressera pas tant à cette dernière circonstance qu’à la première. Mais encore faut-il qu’elle existe…
La vérité sur le protocole du professeur Raoult est que, juridiquement, il est impossible de considérer que celui-ci constitue le socle des données acquises de la science, ne serait-ce que par sa considération purement locale. En effet, et à titre d’exemple, le tocilizumab expérimenté à Naples donne des résultats assez prometteurs, tant et si bien que sa généralisation est en cours au sein des hôpitaux italiens. Mais ce n’est pas parce qu’il ne constitue pas le socle des données de la science que pour autant, sa prescription demeure interdite en principe. Et le décret encadrant l’hydrochloroquine n’y change pas grand-chose à ce sujet, n’interdisant pas une prescription hors AMM, mais empêchant juste (sic) sa dispensation.
L’auteur de ces lignes n’entend évidemment pas nier le vif intérêt et espoir qu’apporte le traitement ainsi à l’épreuve en ce moment même et regrette sans nul doute les conditions de prescriptions telles que fixées par les derniers décrets. Pour autant, il doit rappeler avec force à l’attention du Professeur Raoult les dispositions de l’article R 4127 14 du code de la santé publique :
« Les médecins ne doivent pas divulguer dans les milieux médicaux un procédé nouveau de diagnostic ou de traitement insuffisamment éprouvé sans accompagner leur communication des réserves qui s’imposent. Ils ne doivent pas faire une telle divulgation dans le public non médical. »
Ainsi, et en conclusion, peut-être que le droit peut encore une fois mettre tout le monde d’accord : oui, le Plaquenil constitue un espoir thérapeutique sérieux dont l’essai clinique mériterait à être généralisé, surtout au regard des dernières communications émanant des USA, mais non il est impossible de dire qu’il constitue un traitement éprouvé et inoffensif.
Les USA, d’ailleurs, constituent un espoir non négligeable de répondre très vite à la question de savoir si le protocole du professeur Raoult est, oui ou non, efficace, sans compter l’essai clinique d’envergure lancé par le CHU d’Angers.
Maître Fabrice Di Vizio, avocat spécialiste des médecins libéraux
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