Les autorités laissent les employeurs engager des procédures inéquitables contre les médecins
Le Conseil d’État a rejeté un recours déposé par l'Association Santé et Médecine du Travail (SMT) et d'autres organisations professionnelles qui dénonçait la possibilité pour un employeur de porter plainte contre un médecin devant le conseil départemental de l'ordre. Cette décision donne l'opportunité aux employeurs de mettre en cause un médecin qu'elle jugerait trop complaisant à l'égard de ses salariés. Le médecin serait alors placé dans la situation pour le moins délicate où il serait contraint d'assurer sa défense tout en préservant le secret médical.
Multiplication des procédures inéquitables contre les médecins
Ces dernières années, les plaintes déposées par des employeurs contre des médecins se sont multipliées. Si 42 affaires ont été jugées entre 2013 et 2015, plus de 300 plaintes contre des médecins du travail, des généralistes mais aussi des psychiatres auraient en réalité été déposées selon SMT. Leur nombre aurait depuis doublé pour atteindre 400 plaintes par an, dont 200 médecins généralistes et 100 médecins du travail.
Dans ce genre d'affaires, l'objectif des employeurs est le plus souvent de limiter leur responsabilité et de minorer les indemnisations qu'ils pourraient verser à des salariés souffrant de pathologies en lien avec leurs conditions de travail.
Et cela marche puisque l'association SMT déclarait à Medscape en 2016 :
« Ainsi, plus de 60% des médecins attaqués par un employeur devant l’Ordre sont contraints par le dispositif de menace de la conciliation ordinale à modifier leur diagnostic, faisant disparaitre ainsi le travail comme facteur étiologique».
Pour Dominique Huez, président de SMT, ces plaintes sont irrecevables dans la mesure où elles entrainent des procédures inéquitables pour le médecin qui ne peut se défendre sans bafouer le secret médical auquel il est tenu. Elles portent également atteinte à la protection du secret médical et à l’indépendance du médecin.
La solution : modifier le code de la santé publique
Au printemps dernier, plusieurs associations, dont SMT ont demandé au Premier Ministre fraichement nommé de modifier le code de la santé publique afin que la liste des personnes habilitées à déposer une plainte devant le conseil départemental de l’ordre contre un médecin soit définie de façon limitative. Concrètement il s'agissait de supprimer le terme "notamment" qui avait été introduit il y a quelques années sur pression du Conseil National de l'Ordre des Médecins selon SMT.
L'objectif de cette modification était d’interdire à un employeur de faire pression sur un médecin du travail en initiant une action disciplinaire contre lui en raison de certificats ou d'attestations qui feraient un lien entre la pathologie d'un salarié et ses conditions de travail.
Face au silence et au refus implicite du Premier Ministre, ces associations ont déposé un recours devant le Conseil d'Etat qui l'a rejeté le 11 octobre dernier en motivant son refus par les éléments suivants :
- il considère que la liste des personnes habilités à engager la responsabilité du médecin est suffisamment restrictive en l'état et que seules les personnes « lésées de manière suffisamment directe et certaine par le manquement d’un médecin à ses obligations déontologiques » peuvent introduire une plainte contre un médecin. Il rajoute que cela inclut les employeurs, mais avec l’application d’un « critère strict ».
- il estime qu’un médecin mis en cause par un employeur n’est pas tenu ni d'ignorer le secret médical ni de renoncer à se défendre.
- il rappelle également les médecins du travail à leurs obligations déontologiques et précise pour enfoncer le clou qu'il leur est interdit de délivrer des certificats de complaisance !
- il recommande tout de même au juge disciplinaire de tenir compte des spécificités des conditions d’exercice du médecin du travail qui, de par ses fonctions, a accès à un grand nombre d’informations sur le fonctionnement de l’entreprise et les conditions de travail des salariés.
Pour Dominique HUEZ, président de l'association SMT :
«le Conseil d’état aurait dû reconnaitre irrecevables les plaintes d’employeurs devant l’ordre des médecins, contre des praticiens ayant attesté d’un lien entre l’atteinte à la santé et le travail. En effet pour préserver le secret médical, les médecins ne peuvent s’y défendre. Cela atteint leur droit à un procès équitable. La violation du secret médical atteint aussi à la protection de la vie privée du patient. Les articles 6 et 8 de la convention européenne des droits de l’homme sont respectivement bafoués par ces deux violations.
Dans un communiqué, l'association SMT s'étonne de la pauvreté du raisonnement juridique de cette décision qui se contente d’affirmer sans démontrer.
Elle y trouve cependant des motifs d'espoir « L’intérêt principal de cette décision décevante, sans fondement exprimé, est surtout qu’elle pourrait ouvrir la porte à un recours devant une juridiction moins conformiste, celle de la Cour européenne des droits de l’Homme, puisque précisément le secret médical et le droit à une défense équitable sont garantis par la constitution européenne. Cela permettrait en outre de mettre en cause l’abus de pouvoir de l’ordre des médecins que constitue l’instruction des plaintes d’employeurs et le caractère d’exception des instances disciplinaires ordinales».
Quoi qu'il en soit, la décision du Conseil d'Etat et le silence du gouvernement pourraient dans les années à venir mettre de plus en plus de médecins dans l'embarras face à des employeurs peu scrupuleux.
Pour en savoir plus :
http://www.conseil-etat.fr/Actualites/Communiques/Medecine-du-travail
http://www.a-smt.org/
https://blogs.mediapart.fr/dominique-huez/blog/290916/faire-reconnaitre-irrecevable-les-plaintes-demployeurs-devant-lordre-des-medecins
https://blogs.mediapart.fr/dominique-huez/blog/141017/lien-sante-travail-l-evitement-embarrasse-du-conseil-d-etat
http://www.scotti-avocat.fr/Publications/La_Faute_Deontologique.html
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