OGM : tollé après la publication d‘un article controversé par The Lancet
Comme l’on pouvait s’y attendre au vu des réactions qui s’étaient exprimées avant même la publication par The Lancet de l’article sur les effets chez le rat de pommes de terre transgéniques, l’étude de Ewen et Pusztai a déclenché les foudres de nombreux scientifiques britanniques.
La réaction la plus attendue était sans doute celle de la Royal Society, l’équivalent à l’académie des sciences au Royaume-Uni, qui considère que “la publication d’un article dans un journal réputé confère une certaine authenticitéà en juger par le niveau de la revue”. Son président, Sir Aaron Klug, Prix Nobel, a déclaré que “la Royal Society n’aurait pas publié l’article du Pr Stanley Ewen et du Dr Arpad Pusztai car il confirme le premier jugement de la Society selon lequel les expériences qui servent de base à cet article sont incomplètes”.
L’institution scientifique britannique précise que “trop peu d’animaux ont été utilisés pour obtenir des résultats statistiquement significatifs sur le phénomène complexe examiné; les régimes alimentaires étaient incomplètement contrôés; il n’y avait aucun groupe contrôle de rats nourris avec une ration pauvre en protéines. Il s’agit d’un oubli important car les pommes de terre génétiquement modifiées avaient une teneur moindre en protéines que des pommes de terre normales. Encore une fois, on observe un manque de rigueur dans la conception de l’expérience et l’interprétation statistique”.
“Sur la base de cet article, il n’est pas possible de conclure, comme le Pr Ewen et le Dr Pusztai le font, que le processus de modification génétique de végétaux, ou même que les gènes qui ont été introduits dans ces pommes de terre génétiquement modifiées, soulève des questions pour la santé humaine“, conclut le communiqué de la Royal Society.
Son ancien secrétaire, le Pr Brian Heap, conteste, comme l’écrit The Lancet, que la publication de l’article devrait aider au débat public sur les OGM.
Pour le toxicologue Chris Potten du Christie Hospital de Manchester, il est clair que ces rats ont été “mal nourris, ce qui pourrait en soi expliquer certaines observations d’Ewen. Ce toxicologue note par ailleurs que la façon dont la muqueuse digestive a été étalée pour être examinée a pu modifié la longueur des cryptes, un des indices histologiques étudiés par Ewen et Pusztai.
Quant à David Baulcome, biologiste végétal au John Innes Centre à Norwich, il estime que certains changements observés pourraient tenir aux conditions de culture des cellules de pomme de terre et non aux constructions génétiques utilisées pour introduire le transgène. Selon lui, “cette étude nous en dit plus sur les pommes de terre que sur les OGM”.
Colère d’un reviewer
Richard Horton, l’éditeur du Lancet, doit également faire face aux critiques d’un des referées qui a relu l’article soumis à la revue.
Décidant de rompre le sacro-saint anonymat qui entoure la composition des comités d’experts indépendants qui donne leur avis sur la qualité des résultats d’une étude, le Pr John Pickett a décidé de mêler sa voie au concert des critiques. Ce spécialiste en biologie végétale déclare qu’il est “très triste quand un journal très distingué juge bon d’aller à l’encontre de reviewers senior”.
“On ne fait jamais cela avec un article. S’il ne mérite pas d’être publié sur la base du peer-review [relecture par les pairs], il ne l’est pas“, ajoute ce biochimiste de l’Institut of Arable Crops Research à Rothamsted (Hertordshire).
Un ancien collègue de Pusztai monte lui aussi au créneau.John Gatehouse, biologiste végétal à l’Université de Durham, a adressé une lettre au Lancet qui ne la pas publiée, mais que l’on peut consulter sur Internet. “L’article décrit des données qui manquent de contrôles appropriés et les résultats présentés sont essentiellement anecdotiques. Il fait état d’un grand nombre d’affirmations et de suppositions non fondées”, peut-on lire.
Ce chercheur affirme que les auteurs de cet article n’ont absolument pas tenu compte des protocoles établis en matière de sécurité des végétaux transgéniques, aussi bien dans la conception des expériences que dans l’évaluation des données.
“Déclarer qu’il existe un problème mal cerné avec les végétaux transgéniques en général sur la base des données présentées par Ewen et Pusztai est tout simplement non scientifique. C’est une attitude digne des procès médiévaux en sorcellerie”, conclut-il.
Outre-Atlantique, un imminent spécialiste de la transgénose végétale a tenu des propos très sévères vis-à-vis du Lancet. Pour Charles Arntzen, qui travaille sur la mise au point de vaccins comestibles et notamment sur des pommes de terre exprimant une toxine d’Escherichia coli, The Lancet a commis un “outrage scientifique en publiant des données que ses propres reviewers ont rejeté comme non scientifiques. Si l’article avait porté sur un autre sujet, comme un moyen pour prévenir une maladie cardiaque ou un cancer, ils n’auraient jamais publié ce travail de mauvaise qualité”.
Soutien du gouvernement
A l’exception des déclarations de groupes de pression anti-OGM dont l’organisation Friends of the Earth qui appelle à un moratoire sur les OGM et à une réflexion sur les meilleurs méthodes scientifiques pour juger de leur sécutité, une voie, celle du gouvernement britannique, est venue soutenir la politique éditoriale du Lancet au milieu de ce flot de critiques.
Le gouvernement britannique a déclaré qu’il trouve justifiée la publication du travail du Dr Pusztai par The Lancet, ajoutant que l’éditorial du journal qui appele à une approche prudente dans l’interprétation des résultats sur les OGM rejoint son point de vue. “Comme le Lancet l’a dit, la publication des docteurs Ewen et Pusztai n’est pas, comme certains journaux l’ont rapporté, une justification des premières affirmations du Dr Pusztai”, indique un communiqué officiel.
Source : The Royal Society, The Times, The Independent, Daily Telegraph, The Washington Post, The International Herald Tribune, GM Communication Unit at The Cabinet Office.
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