Des cornées humaines reproduites en laboratoire
Des chercheurs canadiens et américains annoncent avoir pour la première fois construit en laboratoire, à partir de différentes lignées cellulaires, des équivalents de cornée humaine reproduisant les caractéristiques morphologiques et fonctionnelles du tissu naturel.
Cette avancée devrait pouvoir trouver des applications immédiates en toxicologie. Elle pourrait en effet être une méthode alternative au classique test d’irritation oculaire, décrit par Draize en 1944, qui consiste à tester la toxicité d’un produit pharmaceutique ou domestique sur des cornées de lapins.
Ces cornées fabriquées de toutes pièces en laboratoire devraient également très rapidement servir à évaluer l’efficacité de médicaments destinés à accélérer la cicatrisation cornéenne en cas de plaie ou d’ulcère.
A plus long terme, la mise au point de ces équivalents de cornée humaine ouvre à la voie au développement de cornées bioartificielles implantables de façon temporaire ou permanente, ce qu’autorise théoriquement le statut immunitaire particulier de ce tissu. La pénurie de cornées aujourd'hui limite aujourd'hui les possibilités de greffes.
May Griffith et ses collaborateurs de l’University of Ottawa Eye Institute (Ottawa, Ontario, Canada) ont utilisé les trois types de cellules qui composent la cornée : les cellules épithéliales stratifiées qui forment la couche externe, les kératinocytes du stroma intermédiaire, les cellules endothéliales spécialisées de la couche interne.
Afin de disposer d’un nombre important de cellules pour construire des équivalents de cornée, la plupart des cellules ont été immortalisées en les infectant avec des virus recombinants renfermant des gènes transformants provenant de papillomavirus (HPV), du virus simien SV40 et d’adénovirus.
Des expériences ont montré que les cellules qui devaient servir à construire les couches épithéliale, stromale et endothéliale des équivalents de cornée étaient similaires sur les plans morphologique, biochimique et électrophysiologique aux cellules d’une cornée naturelle.
Une fois que les cellules de l’épithélium ont conflué pour former une nappe, elles ont été exposées à l’air pour favoriser leur différenciation en un épithélium stratifié. Les chercheurs ont laissé ces cellules épithéliales superficielles se différencier pendant deux semaines avant de tester les caractéristiques physiques et physiologiques des équivalents de cornée humaine.
Publiés dans Science, les résultats de ces manipulations cellulaires montrent que les équivalents cornéens miment les cornées humaines naturelles pour ce qui est de la morphologie, de la transparence, de l’expression de certains marqueurs biochimiques, du transport de fluides et d’électrolytes.
Le profil d’expression de gènes impliqués dans la réparation tissulaire cornéenne après application un détergent léger est également identique dans les deux types de cornée. Il s’agit des gènes codant pour les interleukines 1 et 6, le bFGF (basic fibroblast growth factor), le VEGF (vascular endothelial growth factor) et le collagène de type 1.
Après exposition à des produits chimiques, une opacification et un nombre accru de cellules mortes ont été observés dans la zone concernée sur des cornées de lapin, des cornées humaines naturelles et leurs équivalents. Des changements similaires dans la transparence des trois types de cornées ont été notés en réponse à des produits chimiques.
Ces résultats montrent donc que les équivalents de cornées réagissent de manière similaire à ce que l’on attend d’une cornée humaine. Sous réserve que les chercheurs parviennent à produire de grandes quantités d’équivalents de cornée humaine, ces dernières pourront servir dès maintenant dans l’évaluation toxicologique de très nombreux produits. A cet égard, il n’est pas surprenant de constater que des chercheurs de la firme Procter & Gamble (Cincinnati, Ohio, Etats-Unis) ont collaboré à ces travaux.
Ce groupe chimique a d’ailleurs signé une accord de coopération dans ce domaine avec un autre géant des produits domestiques, Unilever, ainsi qu’avec une association non lucrative, l’Institute for In Vitro Sciences, qui examine notamment la façon dont des tissus reproduits en laboratoire peuvent servir d’alternatives à l’expérimentation animale en toxicologie.
Pour ce qui est d’utiliser ces équivalents de cornée humaines à des fins de transplantation, il n’est évidemment pas question de les utiliser à ce stade des recherches. En effet, certaines des cellules utilisées sont porteuses d’oncogènes viraux, il convient donc d’écarter un risque ultérieur de transformation maligne, en même temps que vérifier que les cornées bioartificielles n’induisent pas de réaction immunitaire chez l’hôte transplanté et restent toujours translucides. Autant dire que leur utilisation en tant que transplants n’est pas pour demain.
Source : Science, 10 décembre 1999, vol.286, 2169-72, 2050-1.
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