L'activité antivirale in vitro des médicaments repositionnés contre la Covid-19 serait induite par la phospholipidose
Au cours des 16 derniers mois et dans le contexte de la crise sanitaire due à la Covid-19, des milliers de médicaments ont été testés pour un repositionnement afin de lutter contre le SARS-CoV-2, dont un nombre important ont montré une potentielle activité anti-virale (23 composés comprenant l'hydroxychloroquine, l'azithromycine, l'amiodarone et 4 autres testés en essais cliniques).
Considérant ce chiffre important, une collaboration internationale entre l’Université de Californie à San Francisco (UCSF), le Quantitative Biosciences Institute, l’Institut Pasteur et Novartis a permis de démontrer que l’activité anti-virale in vitro était en fait induite par un mécanisme commun aux composés, la phospholipidose. Ces travaux montrent l’importance de tester systématiquement la phospholipidose dans le cadre du repositionnement des médicaments afin d’affiner les critères permettant de sélectionner ceux qui pourront être proposés pour des essais cliniques. Les résultats de cette étude ont été publiés dans Science le 22 juin 2021.
Depuis le début de l’épidémie de SARS-CoV-2, et au vu de l’urgence sanitaire, la communauté scientifique internationale a entrepris d’identifier des médicaments, déjà sur le marché, pouvant être repositionnés pour lutter contre la Covid-19.
Un nombre important a été identifié comme pouvant avoir un effet antiviral contre SARS-CoV-2 in vitro, ce qui a incité les chercheurs de l’Université de Californie à San Francisco, du Quantitative Biosciences Institute, de l’Institut Pasteur et de Novartis à vérifier leur réelle efficacité dans le cadre de la lutte contre ce nouveau coronavirus. Leur collaboration internationale a permis de démontrer que l’activité antivirale de certaines molécules était en fait induite par un mécanisme annexe, commun aux différents composés, la phospholipidose.
La phospholipidose consiste en une accumulation excessive de phospholipides dans les tissus et un changement de la circulation cellulaire des phospholipides. C’est un phénomène toléré chez l'Homme à court terme, et présent à faible dose lors de l’utilisation de la plupart des médicaments. Ceci s’explique par le fait que l’effet thérapeutique des médicaments est plus important que l'effet secondaire de la phospholipidose.
Afin d’éclairer l’importance de cette étude, et l’impact de ces résultats pour les futures recherches liées au repositionnement de médicaments, Marco Vignuzzi, responsable de l’unité Populations virales et pathogenèse à l’Institut Pasteur et co-dernier auteur de l’étude, apporte son éclairage.
1/ Quels éléments vous ont amené à vous poser cette hypothèse de recherche ?
Depuis le début de l’épidémie, plusieurs études conduites par notre consortium sur le repositionnement des composés ont identifié un nombre surprenant de médicaments qui avaient un effet antiviral. Ce nombre (plus de 20) semblait un peu trop encourageant d’un point de vue scientifique. Des études réalisées par d’autres équipes avaient des résultats similaires sur d’autres médicament. Pourtant, tous ces médicaments avaient des structures différentes, mais rien ne permettait de suggérer qu’ils étaient efficaces grâce au même mécanisme. Nous nous sommes donc demandés si les effets observés pouvaient être provoqués par un mécanisme commun sous-jacent qui ne serait pas lié à une activité antivirale réelle.
2/ Comment analysez-vous ces résultats ?
La plupart de ces composés sont dits amphiphiles cationiques. Cette structure physico- chimique nous a amenés à vérifier le lien entre un phénomène appelé phospholipidose et l’activité anti-virale observée. Nous avons pu montrer une corrélation directe entre le taux de phospholipidose et l’effet antiviral in vitro que l’on avait observé initialement. Cela s’explique par le fait que le SARS-CoV-2 dépend lui-même des lipides cellulaires, et donc que la phospholipidose perturbe la réplication virale. Ce mécanisme n’est malheureusement pas exploitable dans le cadre d’un médicament efficace in vivo car cela impliquerait d’administrer le traitement pendant un temps long avant que celui-ci affecte réellement la réplication virale. Cela n’est pas envisageable car la phospholipidose est toxique pour les cellules humaines à long terme. La plupart des composants que nous avions testé n’ont donc pas d’effet antiviral réel.
3/ Qu’impliquent ces résultats de manière générale sur les médicaments repositionnés ?
Est-ce spécifique à la Covid-19 ?
La plupart des composants repositionnés pour lutter contre la Covid-19 n’ont donc pas d’effet antiviral réel alors qu’ils ont été proposés pour être testés en essais cliniques. C’est la première fois qu’autant de médicaments sont testés pour un repositionnement, car il constitue un outil thérapeutique pertinent dans le cadre d’une nouvelle épidémie. Plusieurs d’entre eux étaient déjà identifiés comme ayant un effet antiviral contre d’autres virus (ce qui est très probablement lié à la phospholipidose). Aujourd’hui, grâce à ce travail, nous montrons qu’il faudrait envisager de tester de manière systématique la phospholipidose au stade in vitro, afin de ne pas engager des recherches supplémentaires sur des composants qui auront cet effet ce qui implique que, dans la plupart des cas, le repositionnement ne marchera pas pour ceux-ci. Cependant, il est toujours possible que certains médicaments induisent à la fois une phospholipidose tout en ayant un véritable effet antiviral. Cela reste à déterminer.
INSERM
Drug-induced phospholipidosis confounds drug repurposing for SARS- CoV-2, Science,
22 juin 2021
Tia A. Tummino1,2,3,4†, Veronica V. Rezelj5†, Benoit Fischer6†, Audrey Fischer6†,
Matthew J. O’Meara7, Blandine Monel8, Thomas Vallet5, Kris M. White9,10, Ziyang Zhang3,4,11,12, Assaf Alon13, Heiko Schadt6, Henry R. O’Donnell1, Jiankun Lyu1,3,4, Romel Rosales9,10, Briana L. McGovern9,10, Raveen Rathnasinghe9,10,14, Sonia Jangra9,10, Michael Schotsaert9,10, Jean-René Galarneau15, Nevan J. Krogan3,4,11,16, Laszlo Urban15, Kevan M. Shokat3,4,11,12, Andrew C. Kruse13, Adolfo García-Sastre9,10,17,18, Olivier Schwartz8, Francesca Moretti6*, Marco Vignuzzi5*, Francois Pognan6*, Brian K. Shoichet1,3,4*
1 Department of Pharmaceutical Chemistry, University of California San Francisco (UCSF), San Francisco, CA, USA.
2 Graduate Program in Pharmaceutical Sciences and Pharmacogenomics, UCSF, San Francisco, CA, USA.
3 Quantitative Biosciences Institute (QBI), UCSF, San Francisco, CA, USA.
4 QBI COVID-19 Research Group (QCRG), San Francisco, CA, USA.
5 Institut Pasteur, Viral Populations and Pathogenesis Unit, CNRS UMR 3569, 75724 Paris, Cedex 15, France.
6 Novartis Institutes for BioMedical Research, Preclinical Safety, Basel, Switzerland.
7 Department of Computational Medicine and Bioinformatics, University of Michigan, Ann Arbor, MI, USA.
8 Institut Pasteur, Virus and Immunity Unit, CNRS UMR 3569, 75724 Paris, Cedex 15, France.
9 Department of Microbiology, Icahn School of Medicine at Mount Sinai, New York, NY, USA.
10 Global Health and Emerging Pathogens Institute, Icahn School of Medicine at Mount Sinai, New York, NY, USA.
11 Department of Cellular and Molecular Pharmacology, UCSF, San Francisco, CA, USA.
12 Howard Hughes Medical Institute, UCSF, San Francisco, CA, USA.
13 Department of Biological Chemistry and Molecular Pharmacology, Blavatnik Institute, Harvard Medical School, Boston, MA, USA.
14 Graduate School of Biomedical Sciences, Icahn School of Medicine at Mount Sinai, New York, NY, USA.
15 Novartis Institutes for BioMedical Research, Preclinical Safety, Cambridge, MA, USA.
16 Gladstone Institute of Data Science and Biotechnology, J. David Gladstone Institutes, San Francisco, CA 94158, USA.
17 Department of Medicine, Division of Infectious Diseases, Icahn School of Medicine at Mount Sinai, New York, NY, USA.
18 Tisch Cancer Institute, Icahn School of Medicine at Mount Sinai, New York, NY, USA.
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