« Une médecine sans médecins ne peut être la solution aux difficultés démographiques actuelles » #PLFSS
Le CNOM et les 6 syndicats de médecins libéraux ont affiché une unité rare pour exprimer leur opposition contre les articles 40 et 41 du PLSS 2022 qui offrent la possibilité aux infirmières en pratique avancée d’établir des primoprescriptions et aux patients d’accéder directement aux masseurs kinésithérapeutes et aux orthoptistes sans passer par leur médecin traitant.
MG France, l’Union syndicale Avenir Spé —Le Bloc, la Fédération des médecins de France, l’UFML-Syndicat, la CSMF, le SML et enfin le CNOM ont adressé un courrier au ministre de la Santé et aux membres de la Commission des affaires sociales du Sénat qui devait examiner ces amendements introduits par le gouvernement. Ils déplorent l’absence de concertation sur des mesures qui mettent fin à la notion de médecin traitant et introduisent « une médecine sans médecin » qui pourrait conduire à des retards diagnostiques et des pertes de chance pour les patients.
Si les organisations professionnelles signataires du courrier ci-dessous espéraient un retour en arrière, elles n’ont obtenu des sénateurs que quelques limitations supplémentaires.
- La primoprescription offerte aux IPA serait ainsi limitée à un an, mais étendu à toutes les régions alors que les députés prévoyaient de limiter les régions à 3 pendant 3 ans.
- Le décret fixant les modalités d’accès direct aux kinés serait pris après avis de la HAS et de l’académie de médecine afin de garantir la qualité et la pertinence des soins. L’expérience sera limitée à 6 départements sans le cadre d’une structure de soins coordonnés.
- Les orthoptistes ne pourraient réaliser de bilan visuel en toute autonomie que pour les plus jeunes afin d’éviter toute perte de chances pour les patients les plus âgés
« Madame la Présidente,
En réponse à des revendications professionnelles, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, adopté par l’Assemblée nationale le 26 octobre 2021, contient trois dispositions organisant l’accès direct des patients aux orthoptistes, aux orthophonistes aux masseurs-kinésithérapeutes et aux infirmiers en pratique avancée (articles 40, 41 quinquies, 41sexies et 41 octies).
Le Conseil national de l’Ordre des médecins et les syndicats de médecins libéraux y sont fermement opposés dès lors que cette prise en charge, déconnectée de tout diagnostic médical et de toute stratégie thérapeutique globale, conduira à des retards de diagnostic et à une perte de chance pour les patients. Le médecin, en raison de sa formation, est le seul à pouvoir poser un diagnostic médical et prendre en charge un patient dans sa globalité ; ces principes fondamentaux, qui ont cours dans tous les Etats de l’Union Européenne sont battus en brèche par des dispositions qui, sans le dire, dérogent aux règles sur l’exercice illégal de la médecine mentionnées à l’article L. 4161-1 du code de la santé publique.
Expérimenter une médecine sans médecins ne peut être la solution aux difficultés démographiques actuelles et prévisibles depuis plus d’une décennie.
Les dispositions relatives aux masseurs-kinésithérapeutes, aux orthophonistes et aux infirmiers en pratique avancée sont faussement rassurantes lorsqu’elles évoquent d’une part, une simple expérimentation et, d’autre part, un exercice dans des structures d’exercice coordonné. En effet, la plupart des évaluations faites jusqu’à présent s’effectuent à travers d’un questionnaire limité aux expérimentateurs sans aucune évaluation scientifique externe qui d’ailleurs se révèle inutile puisque le seul objectif est la généralisation d’un transfert d’activités hors du champ médical. Évoquer un exercice dans une structure d’exercice coordonné n’apporte pas non plus la garantie d’un exercice interprofessionnel centré sur le patient et coordonné par le médecin. En quoi l’appartenance du professionnel de santé à une CPTS résout-elle la question de la perte de chance du patient qui accède directement à son cabinet, sans consultation médicale et sans lien avec le médecin ?
A ce propos, nous sommes frappés que les solutions interprofessionnelles innovantes qui font leurs preuves en ophtalmologie laissent, dans le projet de loi la place à une activité d’un orthoptiste dans un exercice libéral totalement déconnecté du médecin. Par ailleurs, nous sommes surpris par cette volonté de légiférer dans l’urgence alors que des organisations territoriales, formalisées ou non, sont en cours de déploiement rapide sur le terrain.
Les mesures dont nous demandons la suppression accéléreraient le cloisonnement des professionnels de santé dans la prise en charge des patients et iraient à l’opposé des mesures législatives relatives à la construction d’un parcours de soins coordonnés par le médecin et au rôle dévolu au médecin dans le diagnostic et la thérapeutique. Elles rendent sans objet la notion même de médecin traitant et vident de leur sens les missions du médecin généraliste contenues dans le code de la santé publique.
C’est le parcours de soins coordonné par le médecin, qui garantit la sécurité générale du patient et la logique des soins, au regard de la segmentation des soins par des professionnels de santé agissant chacun dans leurs domaines sans capacités d’organiser leurs actions dans le triptyque intégré clinique/diagnostic/thérapeutique.
Le Conseil national de l’Ordre des médecins et les syndicats de médecins libéraux attendent de la loi de financement de la sécurité sociale qu’elle propose les moyens pour favoriser la coordination des prises en charge indispensable à l’accès aux soins pour tous et notamment un modèle économique viable pour les IPA.
Nous avons beaucoup de mal à concevoir la mise en œuvre de la coordination des acteurs de terrain, toutes professions de santé confondues, et l’évolution des périmètres métiers sans une concertation préalable entre les Ordres, syndicats et conseils nationaux professionnels concernés que le Gouvernement n’a jamais réunis sur ce sujet. Cette concertation avec les autres professions de santé et l’État, qui n’a pas eu lieu dans le Ségur de la Santé, nous la réclamons.
Nous vous prions d’agréer, Madame la Présidente, l’expression de notre haute considération. »
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