2020-2021 : Retour d’expérience sur une campagne de vaccination antigrippale hors-norme
La campagne de vaccination antigrippe 2020-2021 s’est déroulée dans un contexte sanitaire inédit, où le développement de vaccins et la lutte contre la pandémie de COVID-19 ont occupé le devant de la scène. Dans le même temps, l’intérêt pour la vaccination contre la grippe s’est accru. Ainsi, en juin dernier, la Haute Autorité de Santé (HAS) soulignait l’importance d’augmenter la couverture vaccinale dans les populations cibles[1]. Le ministère des Solidarités et de la Santé appelait, plus encore que les années précédentes, à prioriser la vaccination des personnes les plus fragiles et des soignants.[2]
Le 5 février 2021, un collectif de professionnels de terrain, avec notamment des représentants du collectif Immuniser Lyon et de l’association Vacci’tanie, s’est réuni, avec le soutien institutionnel de Sanofi Pasteur, afin de dresser le bilan de cette campagne hors-norme. Leurs objectifs : tirer des enseignements à partir de leur retour d’expériences et identifier les leviers d’actions pour la campagne de vaccination antigrippe 2021-2022.
QUELS ENSEIGNEMENTS TIRER DE CETTE CAMPAGNE ?
Une ruée vers les vaccins dès le lancement de la campagne
À l’heure du bilan de cette campagne inédite, des constats s’imposent. Tout d’abord, la ruée en ville vers les pharmacies au début de la campagne s’est illustrée par un pic de demandes sur la première semaine[3]. De façon générale, une hausse de la demande en vaccins antigrippe a été provoquée par le contexte épidémique[4] ( 13 % par rapport à la campagne précédente). Enfin, en EHPAD, la couverture vaccinale traditionnellement élevée a été encore renforcée : « En Normandie, dans certains établissements, un taux de couverture de 90 % a pu être observé parmi les résidents », indique le Dr. Jean Philippe Leroy, médecin au CHU de Rouen.
Certes les chiffres de la couverture vaccinale n’ont pas encore été publiés par Santé Publique France, néanmoins, la hausse de la demande totale se traduira certainement par une amélioration de la couverture vaccinale. Lors de la précédente campagne, elle avait atteint 47,8 % de la population éligible à la vaccination[5].
Pour autant, cette hausse de la demande encouragée par le contexte sanitaire est-elle le reflet d’une prise de conscience collective de l’intérêt de se vacciner contre la grippe ? Serait-elle motivée par la conjoncture exceptionnelle : volonté de ne pas risquer une association de maladies respiratoires grippe et COVID-19 dans un contexte de saturation des hôpitaux, possible croyance — non démontrée mais relayée par certains médias — dans une protection croisée du vaccin antigrippal contre la COVID-19 ?
Comprendre les enjeux de cette plus forte adhésion à la vaccination antigrippe, acquise durant cette saison, est un enseignement essentiel pour maintenir une couverture vaccinale en progrès lors de la prochaine campagne (2021-2022).
Le défi de la production industrielle relevé — une gestion des stocks en pharmacie complexe
« La production a commencé pendant le premier confinement, à un moment où les capacités industrielles étaient en tension », explique Henri Lanfry, directeur du site de production de vaccins Sanofi de Val-de-Reuil. Les capacités de production ont été poussées au maximum afin de répondre à une demande en vaccins sans précédent. Ainsi, une hausse de plus de 20 % a été anticipée dès les premiers mois de l’année 2020 par Sanofi Pasteur qui a fourni lors de cette campagne plus de 250 millions de doses de vaccin antigrippe saisonnier dans le monde.
En raison du caractère imprévisible de la demande lié au pic de la première semaine, la gestion des stocks de vaccins par les pharmaciens d’officine a constitué une contrainte, car dépendante d’un planning de livraison échelonné dans le temps et difficilement modulable. « La gestion des stocks a été particulièrement complexe en pharmacie cette année avec des ruptures dans les premiers jours de la campagne en raison de la très forte demande créée par le contexte épidémique », témoigne Olivier Rozaire, pharmacien d’officine dans la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Les autorités sanitaires ont, pour la première fois, mis en place un stock d’Etat[6] de plus 2 millions de doses pour les populations cibles des recommandations vaccinales. Toutefois, la mise à disposition opérationnelle de ce stock a posé quelques difficultés : présence de certains vaccins non commercialisés en France et/ou avec un conditionnement différent, livraison auprès des pharmacies à partir du mois de décembre (période à laquelle la majorité des résidents d’EHPADs est déjà vaccinée), proximité avec le démarrage de la vaccination COVID-19 en EHPAD.
La montée en puissance de la vaccination en officine
Dans ce contexte sanitaire particulier, de nombreux Français ont voulu éviter de se rendre dans les cabinets médicaux. Aussi, les vaccinations en officine se sont développées, renforçant la dynamique enclenchée ces dernières années par l’ouverture de la vaccination aux pharmaciens d’officines[7]. Cette dernière est perçue par la population comme plus facile d’accès et mieux adaptée à un acte de prévention.
Pour garantir la protection des populations fragiles (à risque d’une double infection grippe et COVID-19), le ministère de la Santé et des Solidarités a demandé aux professionnels de santé de réserver la vaccination aux seules personnes ciblées par les recommandations vaccinales entre le début de la campagne et la fin du mois de novembre[8] puis jusqu’à la fin du mois de décembre[9]. Or, ces courriers ministériels n’ont pas fait l’objet de décrets d’application. Face à cette situation, certains pharmaciens ont craint que leur soit opposé un refus de soins par les populations « non prioritaires » [10].
Un engagement collectif en faveur de la vaccination des professionnels de santé
Si la vaccination est l’affaire de tous, et avant tout des soignants[11], le taux de couverture vaccinale des professionnels de santé demeure cependant très inférieur à l’objectif de 75 % de couverture vaccinale tel que préconisé par l’OMS et la Commission européenne chez les personnes ciblées par les recommandations. Selon la dernière étude de Santé publique France publiée en 2019, elle est estimée globalement à 35 %[12] mais varie selon les professions. Selon la même étude, la couverture vaccinale n’est par exemple que de 27 % parmi les aides-soignants en EHPAD. En officine, la couverture vaccinale des préparateurs en pharmacie est en deçà des objectifs[13]. À l’instar des autres professionnels de santé, ils ne reçoivent pas de bon de prise en charge de l’Assurance maladie. Cette forte disparité de couverture vaccinale grippale entre professionnels de santé expose les patients fragiles pris en charge à un risque supplémentaire.
Les membres du groupe de travail ont donc rappelé l’importance de mobiliser l’ensemble des professionnels de santé afin d’augmenter leur couverture vaccinale, particulièrement dans le contexte sanitaire actuel.
QUELS LEVIERS POUR AMÉLIORER LA COUVERTURE VACCINALE ANTI-GRIPPE
1 : Définir une communication adaptée au contexte de crise sanitaire
« La vaccination est un acte de prévention, pas un acte curatif. Il faut donc simplifier la communication autour de cet acte », recommande Martin Blachier, médecin de santé publique. La communication doit d’abord être factuelle, basée sur les données épidémiologiques (nombre de clusters grippe en EHPAD, risque de saturation des hôpitaux…).
D’autre part, elle doit être rationnelleenvers les professionnels de santé et reposer sur des recommandations simples, claires et rassurantes. Enfin, la communication doit s’appuyer sur des exemples de réussite et sur des messages positifs pour rassurer tels que « Je me vaccine, je vous protège », ou engageant comme « J’achète, je me vaccine » pour éviter que les patients achètent le vaccin et oublient de se le faire administrer.
2 : Mieux anticiper les prochaines campagnes
Une campagne de vaccination antigrippe efficace se prépare dès la fin de la campagne précédente, et ce afin de capitaliser sur les enseignements de cette campagne. En particulier, les précommandes de vaccins grippaux par les pharmaciens nécessitent d’être anticipées entre le mois de décembre de l’année N-1 et de mars de l’année N.
La consultation et la communication auprès des différents acteurs le plus en amont possible du lancement de la prochaine campagne sont primordiales pour garantir sa réussite face à une situation sanitaire tendue. Il apparait primordial que toute stratégie de priorisation des populations à vacciner puisse être anticipée, communiquée et comprise le plus en tôt possible afin d’éviter des phénomènes de ruée vers les vaccins ou de mise en difficulté des acteurs de la vaccination, en particulier les pharmaciens d’officine. « L’anticipation et la concertation avec l’ensemble des acteurs seront les clés de la réussite des prochaines campagnes de vaccination antigrippe », précise Olivier Rozaire.
3 : Simplifier le parcours vaccinal
La vaccination en officine propose un modèle de parcours simple et accessible par tous, notamment dans un contexte de crise sanitaire. Elle s’inscrit dans les missions pouvant être exercées par les pharmaciens d’officine sur l’ensemble du territoire depuis le printemps 2019. [14]
La vaccination par les médecins généralistes pourrait être simplifiée via la constitution d’un stock de doses en cabinet. Ainsi, un équipement des cabinets (réfrigérateurs adaptés et permettant d’accueillir un stock suffisant de doses) permettrait d’accélérer l’accès au vaccin pour les patients. Dans un autre domaine thérapeutique, l’expérimentation REDIVAC[15], qui consiste à mettre à disposition des vaccins au cabinet médical des médecins généralistes et des sages-femmes pour augmenter la couverture vaccinale des adolescents et des jeunes adultes, permet de faciliter l’accès à la vaccination.
Par ailleurs, le renfort de la communication sur les compétences vaccinales des infirmiers permettrait d’asseoir la puissance de frappe de la campagne de vaccination, notamment à domicile. D’autant que, depuis le 26 septembre 2018, les infirmiers libéraux peuvent vacciner contre la grippe les personnes majeures pour lesquelles la vaccination grippale est recommandée, sans prescription et ce même dans le cadre d’une primovaccination.[16]
4 : Améliorer la coordination et faire émerger de nouveaux acteurs dans la prévention
« L’objectif commun c’est d’améliorer la couverture vaccinale : les querelles corporatistes n’ont plus de sens, nous devons collaborer tous ensemble vers cet objectif », précise Daniel Guillerm, président de la fédération nationale des infirmiers. Tous les acteurs de santé doivent donc travailler ensemble en faveur de cet objectif. Dans le sillage de la stratégie « Ma santé 2022 », les Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS)[17] constituent à ce titre un levier prometteur pour améliorer la couverture vaccinale sur un territoire défini.
Enfin, des expériences locales de promotion de la vaccination telles que les collectifs Immuniser Lyon[18] ou Vacci’tanie[19] fédèrent des professionnels de santé mais également la société civile (élus locaux, associations de patients, collectivités) autour de la prévention des maladies infectieuses et sont des outils efficaces de mobilisation des acteurs lors de la campagne vaccinale.
5 : Surveiller le taux de couverture vaccinale en temps réel
« Des observatoires de la couverture vaccinale chez les patients pourraient être créés dans les hôpitaux pour faire le point en direct », propose Philippe Vanhems, PU-PH en épidémiologie à Lyon et membre du réseau I-REiVAC[20]. À titre d’exemple, en Angleterre, une application permet de compter en temps réel l’avancement de la vaccination contre la grippe.
En France, la couverture vaccinale antigrippe de la population est aujourd’hui fondée sur un système de mesure a posteriori, qui ne donne pas une vision de la couverture vaccinale en temps réel. S’appuyer sur l’expérience acquise sur la vaccination COVID — 19 (COVID Tracker[21]) est essentiel pour mesurer et améliorer l’évolution des couvertures vaccinales.
6 : Favoriser les vaccinations dès 65 ans avec un rendez-vous médical dédié
Afin de simplifier l’acte de vaccination, il conviendrait d’adresser des courriers pour établir un rendez-vous médical « vaccination » dès 65 ans intégrant la planification de la vaccination grippale, diphtérie-tétanos-polio, pneumocoque, zona et COVID-19. Ces rendez-vous vaccinaux devraient être réalisés par les professionnels de santé impliqués dans la vaccination (médecins, infirmiers-ères, sages-femmes et pharmaciens), en lien avec les URPS, les ordres, les associations de patients et les CPTS.
Composition du Groupe de travail du 5 février 2021
- Dr Martin Blachier, médecin de santé publique
- M. Daniel Guillerm, Président de la Fédération Nationale des Infirmiers (FNI)
- M. Henri Lanfry, directeur du site de production de vaccins Sanofi de Val-de-Reuil (Normandie)
- Dr Jean-Philippe Leroy, médecin au CHU de Rouen (Normandie) et coordonnateur de nombreuses campagnes de vaccination
- Dr Anne-Sophie Ronnaux-Baron, médecin de santé publique, porte-parole du collectif Immuniser Lyon (Auvergne-Rhône-Alpes)
- Dr Olivier Rozaire, pharmacien d’officine, président de l’URPS pharmaciens Auvergne-Rhône-Alpes
- M. Gérard Thibaud, patient, membre du collectif AVNIR et Vice-Président de Vacci’tanie (Occitanie)
- Pr Philippe Vanhems, PU-PH en épidémiologie à Lyon (Auvergne-Rhône-Alpes) et membre du réseau I-REiVAC
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[3] Entre le 13/10/2020 et le 19/10/2020 (1ère semaine de la campagne 2020-21), 5,5 millions de doses de vaccins antigrippe ont été délivrées, ce qui correspond à 50% du volume écoulé sur toute la campagne 2019 -2020 - source IQUVIA
[4] Les ventes cumulées en vaccin sur la campagne 2020-21 s’élèvent à 12 millions de doses vs 10,9 millions de doses sur la campagne précédentes source IQUVIA.
[6] dgs_urgent_n2020_59_mobilisation_stock_etat_vaccins_grippe.pdf (solidarites-sante.gouv.fr)
[7] Arrêté du 23 avril 2019 fixant la liste des vaccinations
[8] BO Santé 2020/8 bis : ste_20200008bis_0000_p000.pdf (solidarites-sante.gouv.fr)
[9] BO Santé 2020/10 bis (solidarites-sante.gouv.fr)
[10] Publics non prioritaires : il s’agit des personnes qui ne présentent pas de bon de prise en charge adressé par l’Assurance maladie ou édité par les professionnels de santé, des personnes qui ne présentent pas de prescription médicale ou qui ne se sont pas des professionnels de santé
[11] En France, la vaccination antigrippe est recommandée pour les Professionnels de santé et tout professionnel en contact régulier et prolongé avec des personnes à risque de grippe sévère : calendrier_vaccinal_29juin20.pdf (solidarites-sante.gouv.fr)
[14] Arrêté du 23 avril 2019 fixant la liste des vaccinations
[18] Etes-vous à jour de vos vaccinations ? (immuniser-lyon.org)
[19] https://www.vaccitanie.fr
[20] www.ireivac.fr
[21] VaccinTracker Covid19 : nombre de français vaccinés - CovidTracker
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