Le secret médical : de la théorie à la pratique (cas des violences conjugales)

Le secret médical : de la théorie à la pratique (cas des violences conjugales) Maître Fabrice Di Vizio, avocat spécialiste des médecins libéraux fait le point sur les obligations qui incombent aux médecins en matière de sécret médical et traite le cas particulier des violences conjugales.

« Admis dans l’intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés. »

Cet extrait du Serment d’Hippocrate est à l’origine du secret médical tel qu’on le connait aujourd’hui en France et tel qu’il est consacré par l’article R4127-4 du Code de la santé publique selon lequel :

« Le secret professionnel, institué dans l’intérêt des patients, s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi.

Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris. »

Si le secret est l’essence même de la relation patients-médecins, et constitue une obligation générale, encore faut-il s’entendre sur ce qu’il recouvre exactement, tandis que l’époque contemporaine faite de transparence plus ou moins raisonnée succombe volontiers à la tentation d’entailles plus ou moins profondes dans l’édifice de la confidentialité.

L’étendue du secret médical

Le secret médical constitue une obligation pour le praticien de ne pas révéler à un tiers au colloque singulier médecin-patient, quel qu’il soit, des informations de quelque nature que ce soit qu’il a eu à connaitre dans le cadre des soins qu’il a dispensés.

On voit bien que la confidentialité ne saurait concerner uniquement les seules données de santé, ou encore les seules confidences de nature médicale : c’est bien toutes les informations qui lui ont été communiquées et qui concernent son patient qui sont secrètes sans qu’aucun tri ne puisse s’opérer.

Il est même fait obligation au praticien de s’assurer du respect du secret médical par ses collaborateurs. L’article R. 4127-72 du Code de la santé publique prévoit ainsi que « Le médecin doit veiller à ce que les personnes qui l’assistent dans son exercice soient instruites de leurs obligations en matière de secret professionnel et s’y conforment ».

  • Les sanctions de la violation du secret médical
  • Tout d’abord, le médecin encourt des sanctions disciplinaires en cas de manquement au secret médical.

Celles-ci peuvent aller du simple avertissement à l’interdiction définitive d’exercer.

  • Ensuite, il existe une sanction pénale édictée à l’article 226-13 du Code pénal qui prévoit que :

« La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »

  • Enfin, le médecin peut voir sa responsabilité engagée sur le plan civil si la violation du secret a directement causé un dommage au patient, ce qu’il appartiendra à ce dernier de démontrer. À cet égard, on pourrait estimer qu’il existe nécessairement un dommage dès lors que le secret est violé en ce que la violation entraine un préjudice moral.

À ce stade de la réflexion, grande serait la tentation de considérer ces rappels comme inutiles, car évidents, mais la réalité de vingt ans de défense des médecins et l’expérience d’enseignant dans divers DIU de prestigieuses facultés de médecine me laissent sans voix face aux violations répétées et quasi quotidiennes du secret médical par les médecins, et ce en toute bonne foi…

Qui n’a jamais, au téléphone, rassuré la famille d’un patient, en lui indiquant que son état s’était amélioré et en décrivant celui-ci, ou au contraire aggravé.

Qui n’a jamais eu à répondre à la famille en colère d’un patient sur un défaut prétendu de prise en charge ?

Qui encore n’a jamais eu la tentation de remplir les questionnaires de santé émis par des compagnies d’assurance ?

On le voit au travers de ces exemples empruntés au quotidien, la question du secret médical est prégnante et une vision absolutiste n’irait pas sans poser soucis, de sorte que des autorisations et parfois des obligations de levée ont été instaurées.

  • Les autorisations et obligations de sa levée : cas particulier des violences conjugales

Il existe diverses autorisations et obligations à la levée du secret médical notamment prévues à l’article 226-14 du Code pénal et notamment au bénéfice des mineurs. On peut également citer à titre d’exemple, actualité oblige, l’obligation de déclarer à l’autorité sanitaire les maladies contagieuses diagnostiquées (article L3113-1 du Code de la santé publique).

Cet article n’ayant pas vocation à traiter de manière exhaustive l’ensemble des exceptions au secret médical, concentrons-nous sur une situation particulièrement d’actualité qu’est la révélation de violences conjugales.

Le gouvernement envisage actuellement d’étendre les permissions de levée du secret médical au profit de médecins qui souhaiteraient révéler des violences conjugales dont ils supposeraient l’existence. Toutefois, cette protection serait offerte aux femmes et non aux hommes, ce qui constitue là une curiosité difficile à justifier.

Si l’objectif poursuivi est assurément noble, il est en revanche permis de s’interroger sur l’opportunité d’une telle mesure qui n’est pas sans risque pour le praticien.

Tout d’abord, il faut rappeler qu’il n’est pas envisagé que le médecin demande son autorisation à sa patiente.

Ensuite cette révélation doit prendre la forme d’un signalement au Procureur de la République dans le cas où les violences mettraient en danger immédiat la vie de la victime et que celle-ci se trouverait sous l’emprise de son conjoint.

On voit que cette permission de lever le secret est encadrée et est subordonnée à la double condition que les violences mettraient en danger immédiat la vie de la victime et cumulativement que celle-ci se trouverait sous l’emprise de son conjoint

L’encadrement drastique de cette révélation rend ce texte totalement inutile et il est notoire qu’il s’agit en réalité plus d’un débat politique que juridique ou même médical…

Mais tout de même… : que se passera-t-il si le médecin fait un signalement à tort ? la patiente pourrait-elle imaginer de se retourner contre celui-ci, indiquant qu’elle n’était pas en danger immédiat ou encore qu’elle n’était pas sous l’emprise de son mari ?

Car, ne l’oublions pas : le principe, et l’ordre national y a lourdement insisté, est celui du secret, et l’exception, très encadrée et dérogatoire, celle de la révélation.

Donc cette révélation ne sera déontologiquement admissible et pénalement acceptable que si et seulement si les conditions posées par le texte sont réunies ! En manquerait-il une que le médecin pourrait être poursuivi pour violation du secret médical… par la patiente qu’il a entendu protéger.

Et qu’adviendra-t-il si le médecin fait un signalement qui, à terme, s’avère reposer sur une analyse erronée de la situation de danger, et aboutit à la relaxe ou tout simplement à l’absence de poursuites du mari prétendument violent ?

Ce dernier pourra assurément se retourner pénalement et déontologiquement contre lui…

On le voit, toucher au secret médical c’est toucher à la relation de soins elle-même, et c’est toujours s’exposer à des retours de bâton violents.

Ensuite, il convient de rappeler que toute exception faite au secret médical peut tenir éloigné(e) certain(e) patient(e) du cabinet médical. En effet, le conjoint violent, conscient du risque de dénonciation (au Procureur ou au Préfet, quelle que soit l’autorité qui sera choisie pour être le destinataire de ces informations), exercera peut-être une violence supplémentaire en empêchant son conjoint de consulter son médecin. Ainsi, l’instauration de ce mécanisme aura peut-être un effet contreproductif.

En conclusion, il s’agit d’un pis-aller : à défaut de réinstaurer la confiance des citoyens en leur justice, la seule vers laquelle une personne battue devrait en théorie rechercher protection, on choisit d’alourdir encore la charge des médecins, sachant qu’évidemment un tel signalement ne changera strictement rien à la situation de la femme battue dans la mesure où celui-ci ne peut être traité dans l’instant où il est fait de façon à permettre à la patiente, après avoir quitté le cabinet médical, de rentrer chez elle, son conjoint ayant été éloigné grâce à l’intervention du médecin !

En tout état de cause, le difficile choix de la violation du secret médical appartient à son dépositaire, et le choix doit être murement réfléchi, car, selon la formule de Léonard de Vinci : « Rien ne nous trompe autant que notre jugement »…

Le secret médical : de la théorie à la pratique (cas des violences conjugales) Maître Fabrice Di Vizio, avocat spécialiste des médecins libéraux

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