L’homme aux quatre mains "étranges"
Des neurologues français rapportent la survenue chez un même patient de quatre syndromes neurologiques différents touchant ses deux mains à des degrés divers. Ce cas clinique exceptionnel de " quatre mains ‘étranges’ pour deux mains après une lésion calleuse " est relaté dans la Revue Neurologique.
L’observation concerne un homme qui a fait un accident ischémique cérébral dans les heures qui ont suivi la mise à la plat d’un faux anévrysme de l’artère fémorale droite. Ce patient a développé une paralysie faciale droite de type central et une hypoesthésie de l’hémicorps droit. L’IRM cérébrale a révélé des hypersignaux étendus du corps calleux, siégeant surtout dans sa moitié gauche. Des hypersignaux bilatéraux ont également été observées dans la substance blanche sous-corticale dans les régions frontales péri- et supraventriculaires.
Dans les jours qui ont suivi cet accident, le patient, âgé de 68 ans et droitier, s’est plaint de difficultés gestuelles qui ne peuvent que surprendre par la richesse des anomalies affectant le comportement moteur des deux mains.
" Il se disait gêné par sa main gauche qui semblait ne pas lui obéir ou agir de façon incohérente dans les gestes de la vie quotidienne. Il disait aussi douter de l’appartenance de sa main droite dans certaines situations ", racontent les médecins de l’hôpital Pitié-Salpétrière et du Centre hospitalier Gilles de Corbeil.
L’examen du comportement moteur de la main gauche de ce patient a permis aux neurologues de les regrouper en trois catégories différentes : des perturbations en faveur d’une apraxie diagnostique, du syndrome dit de la main capricieuse, d’une apraxie calleuse. Quant aux perturbations perceptives de la main droite, elles étaient en rapport avec le signe dit de la main étrangère, associé à une agnosie tactile droite.
Quand une main refuse ce que fait l’autre
Les arguments en faveur d’une apraxie diagnostique tenaient au fait que " le patient relatait que lorsqu’il réalisait des gestes avec sa main droite, sa main gauche s’opposait à ceux-ci, empêchant leur bonne exécution et entraînait une gêne considérable dans la vie quotidienne. Par exemple, lorsqu’il essayait de déboucher une bouteille avec sa main droite, sa main gauche remettait le bouchon en place ". De même, lorsqu’il tentait d’ouvrir d’une porte avec sa main droite, la main gauche la repoussait. Une fois, le comportement déclenché, le patient ne pouvait le contrôler qu’en plaçant sa main gauche dans son dos.
Ce comportement anormal s’est heureusement estompé avec le temps : le patient ne s’en plaignait plus dix semaines après l’accident.
Le syndrome de la " main capricieuse " s’est traduit par le fait que " la main gauche du patient pouvait parfois prendre spontanément des objets en dehors de sa volonté ". Ainsi, pendant sa toilette, " il lui arrivait souvent de se trouver avec un savon dans chaque main, ce qui lui causait un intense sentiment de perplexité ".
Lors de leur examen du patient, les Drs Serge Bakchine et ses collègues lui ont demandé d’allumer une bougie en utilisant une boîte d’allumettes. " Le patient a commencé par sortir une allumette de sa boîte, puis sa main gauche a saisi spontanément la bougie et le patient, très perplexe, fut incapable d’accomplir la consigne ". Ils notent que chaque préhension involontaire de la bougie était accompagnée de ce commentaire : " ça y est, elle recommence encore ! ".
Les médecins ont par ailleurs observé que le patient manifestait une nette difficulté à réaliser sur commande verbale des gestes transitifs figurés, autrement dit des gestes sans objet réel avec la main gauche. Ceux-ci étaient très maladroits, à peine esquissés. " Lorsqu’ils étaient réalisés avec des objets réels, les gestes étaient de meilleure qualité, bien que toujours maladroits ". En revanche, les mêmes gestes réalisés avec la main droite étaient strictement normaux.
Ces derniers éléments sont caractéristiques d’une apraxie calleuse idéomotrice de la main gauche, notent les auteurs. Ils ajoutent que leur patient avait, au test d’écoute dichotique, une extinction auditive massive de l’oreille gauche, comme cela est classiquement le cas chez les patients ayant un hémisphère gauche dominant pour le langage.
Concernant cette fois la main droite, le patient présentait une anomie tactile : il ne pouvait ni dénommer l’objet qu’il palpait, ni expliquer ou mimer son usage. Ainsi, lorsque les médecins lui donner à palper un marteau, il était capable de dire qu’il s’agissait d’un objet long, métallique, froid et lourd, mais ne le reconnaissait pas. " Il n’avait pas accès au sens des objets palpés, tout en étant pourtant capable de reconnaître l’objet parmi d’autres ".
Ce comportement semble être typique d’une agnosie associative tactile associative, qui ne peut s’expliquer que par une dysconnexion calleuse. En effet, le déficit était restreint à la main droite, le patient pouvant parfaitement dénommer les objets palpés avec sa main gauche.
Quand la main gauche ne reconnaît pas la droite
Enfin, le signe de la main étrangère a été constaté par le patient lui-même. Appartenant au syndrome de dysconnexion calleuse, il se manifeste par le fait que le malade se plaint de ne pouvoir reconnaître aucune de ses mains comme sienne lorsqu’il les touche sans les voir, par exemple sous les draps de son lit.
Durant l’examen, cette anomalie a été constatée plus régulièrement lors de la palpation à l’aveugle de la main droite avec la main gauche. Ainsi, " lorsqu’on plaçait sa main droite dans le dos, le patient ne pouvait distinguer celle-ci de la main de l’examinateur, tout en reconnaissant qu’il touchait une main. Cette perte de l’intégration du schéma corporel, limitée à la main droite, persistait encore quatre mois après l’accident vasculaire cérébral.
Au total, l’examen neurologique de ce patient a donc permis de reconnaître l’association rare de quatre entités cliniques : main étrangère, apraxie diagnostique, main capricieuse et apraxie calleuse. " Il nous semble que ces syndromes présentent des faits sémiologiques distincts qui permettent de les individualiser, chacun comme une entité clinique séparée ", concluent les auteurs.
Source : Revue Neurologique, 1999, 11, 929-34.
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