Vaccination contre la dengue : la HAS émet des recommandations largement critiquées 

Vaccination contre la dengue : la HAS émet des recommandations largement critiquées  Face à la recrudescence des épidémies de dengue dans les territoires d’outre-mer, la Haute Autorité de santé (HAS) a publié des recommandations sur l’utilisation du vaccin Qdenga.

La vaccination ciblée concerne principalement les enfants et les adultes présentant des comorbidités. Si elles visent à protéger les populations les plus vulnérables, elles sont jugées trop restrictives par plusieurs experts et organisations consultés lors de la consultation publique.

Un contexte préoccupant dans les outre-mer

La dengue, maladie virale transmise par les moustiques du genre Aedes, est devenue un problème majeur dans les départements et régions d’outre-mer, avec une succession d’épidémies ces dernières années.

En Guadeloupe, plus de 13 000 cas ont été recensés entre janvier et juillet 2024, selon les autorités sanitaires, entraînant plus de 200 hospitalisations et plusieurs décès. La dernière épidémie s’était pourtant achevée en juillet 2023, mais une nouvelle phase épidémique a été déclarée dès novembre 2024. À La Réunion, entre 2018 et 2023, ce sont plus de 65 000 cas confirmés qui ont été rapportés, témoignant d’une circulation virale continue.

Cette recrudescence impose une forte pression sur les systèmes de santé locaux, particulièrement dans les périodes de pic épidémique. Aux Antilles et en Guyane, les enfants et les adultes sont les plus touchés. En revanche, à Mayotte et à La Réunion, ce sont principalement les adultes qui développent des formes graves, souvent aggravées par des comorbidités comme le diabète ou l’hypertension.

Si la dengue reste asymptomatique dans 50 à 90 % des cas, elle évolue vers des formes sévères dans environ 5 % des cas symptomatiques. Ces formes graves peuvent être mortelles, en particulier chez les personnes immunodéprimées ou souffrant de maladies chroniques comme la drépanocytose et l’insuffisance rénale.et le 2 ?

Une vaccination individuelle plutôt que collective 

La HAS recommande l’utilisation du vaccin Qdenga dans les territoires français d’Amérique (Antilles et Guyane), ainsi qu’à Mayotte et La Réunion. Deux populations prioritaires sont ciblées :

  • Les enfants de 6 à 16 ans avec un antécédent d’infection par la dengue ;
  • Les adultes de 17 à 60 ans présentant des comorbidités, avec ou sans antécédent d’infection.

Cette approche ciblée repose sur une analyse prudente du rapport bénéfices-risques. La HAS justifie ses choix par plusieurs éléments :

  • Un manque de données solides chez les personnes séronégatives : dans les essais cliniques, le vaccin Qdenga n’a pas démontré d’efficacité contre certains sérotypes (DENV-3 et DENV-4) chez les personnes n’ayant jamais été infectées. La HAS souligne que l’utilisation du vaccin chez ces populations pourrait présenter un risque théorique d’ADE (Antibody-Dependent Enhancement), un phénomène où les anticorps faciliteraient l’infection plutôt que de la combattre.
  • Une efficacité variable selon les sérotypes : le vaccin affiche une protection allant de 51,8 % contre DENV-3 à 80,2 % contre DENV-2 pour la dengue symptomatique. Les formes sévères n’ont pas pu être évaluées faute de données suffisantes.
  • Priorité aux populations à risque : en ciblant les enfants avec antécédent d’infection et les adultes comorbides, la HAS vise à protéger les groupes les plus vulnérables, en réduisant le risque d’hospitalisation et de mortalité dans les territoires d’outre-mer.

Le schéma recommandé comporte deux doses espacées de 3 mois, en dehors des périodes d’épidémie. Après une infection par la dengue, un délai de 6 mois est préconisé avant la vaccination.

La HAS souligne la nécessité d’une surveillance clinique renforcée pour certaines populations, comme les enfants drépanocytaires vaccinés. Le vaccin reste contre-indiqué chez les sujets immunodéprimés, les femmes enceintes et allaitantes.

Enfin, elle insiste sur la nécessité de maintenir les mesures de protection individuelle contre les moustiques (répulsifs, moustiquaires, vêtements couvrants) pour renforcer la lutte contre la dengue.

 

Un périmètre d’application jugé trop restreint

Dans ses recommandations, la HAS cible la vaccination pour les enfants de 6 à 16 ans ayant une preuve d’infection par la dengue et pour les adultes présentant des comorbidités. Mais ce choix est vivement critiqué. Plusieurs experts alertent sur le caractère trop restrictif de ces recommandations, qui pourraient limiter leur impact :

  • SPILF (Société de pathologie infectieuse de langue française) souligne :

    « Les recommandations font clairement le choix d’une stratégie vaccinale individuelle, restreignant les indications à une très faible proportion de la population vivant en zone endémique... L’impact potentiel d’une couverture vaccinale plus large semble avoir été totalement occulté. ».

  • Le COVARS insiste également sur la nécessité d’inclure des groupes plus larges :

    « Il apparaît indispensable d’étendre la vaccination aux tranches d’âge adulte correspondant aux pics d’hospitalisation pour formes graves dans les territoires français d’Amérique et de l’océan Indien. ».

En pratique, la preuve d’infection antérieure exigée par la HAS est jugée impraticable dans les territoires concernés. Takeda, le laboratoire fabricant du vaccin Qdenga, met en garde :

« Beaucoup de sujets ignorent leur statut sérologique. L’exigence d’une preuve documentée ne tient pas compte des réalités de terrain, où plus de 75 % des infections sont asymptomatiques. ».

Des besoins spécifiques pour les populations à risque

Les recommandations actuelles ignorent certains groupes particulièrement vulnérables, notamment les adultes présentant des comorbidités et les patients drépanocytaires. Le COVARS alerte sur ce point :

« Il apparaît indispensable de faire une recommandation spécifique pour la population drépanocytaire des territoires français d’Amérique, chez l’enfant comme chez l’adulte. ».

De même, le Centre hospitalier universitaire de la Martinique relève que les enfants drépanocytaires nécessitent une attention particulière :

« Les bénéfices de la vaccination pour les enfants drépanocytaires n’apparaissent pas assez soulignés... Leur suivi régulier permettrait pourtant une inclusion facile dans des études longitudinales. ».

Elargir la vaccination pour un impact collectif

Un autre reproche majeur concerne l’absence d’une stratégie de vaccination collective. La SPILF souligne que restreindre l’accès à un petit groupe ne permet pas de réduire suffisamment la circulation virale :

« Une couverture vaccinale plus large aurait des bénéfices majeurs : effet ‘troupeau’ et diminution des risques de saturation des systèmes de santé en période hyper-endémique. ».

Ces critiques trouvent un écho dans les expériences internationales :

  • Au Brésil, où la dengue est endémique, les autorités sanitaires ont recommandé la vaccination avec Qdenga pour les populations allant jusqu’à 39 ans dans les régions les plus touchées. Cette approche a été justifiée par le besoin de protéger les adolescents et jeunes adultes, souvent exposés et plus à risque de complications graves.
  • En Argentine, une stratégie similaire a été adoptée, avec un élargissement de la vaccination à des groupes plus larges pour inclure les personnes à comorbidités et les populations résidant dans les zones à forte transmission.

Ces exemples montrent qu’une vaccination non limitée au statut sérologique ou à un groupe d’âge restreint peut contribuer à réduire la circulation virale et à protéger indirectement les populations les plus vulnérables.

De plus, l’OMS encourage une approche inclusive dans les zones endémiques :

« L’OMS recommande la vaccination sans restriction liée au statut sérologique des patients, dans les zones où la dengue est une menace pour la santé publique. ».

 Une couverture vaccinale plus large pourrait :

  • Réduire la circulation du virus en créant un effet "troupeau", bénéfique pour l’ensemble des populations.
  • Soulager les systèmes de santé  qui peinent à gérer les pics épidémiques, notamment en pédiatrie et en médecine adulte.
  • Répondre aux besoins spécifiques des adultes à risque, comme l’a rappelé le COVARS :

    « Il est indispensable de protéger des formes graves des adultes liées à des comorbidités telles que diabète et insuffisance rénale, particulièrement observées à La Réunion. ».

Une acceptabilité vaccinale en péril

La complexité des critères d’éligibilité et le ciblage trop restreint risquent également de nuire à l’adhésion des populations locales. La Société française de médecine des voyages (SMV) met en garde :

« Les critères d’éligibilité vaccinale interrogent par leur caractère restrictif... Cela risque d’alimenter la défiance des populations face à un vaccin qui pourrait pourtant être un outil majeur contre la dengue. ».

Le CHU de Martinique va plus loin en soulignant que des recommandations plus larges, associées à une stratégie pré-épidémique, auraient pu éviter des décès :

« Une recommandation de vaccination réactive en période pré-épidémique me semblerait indiquée en cas de circulation du DENV-2. Cela aurait pu éviter des décès. ».

Pour convaincre et ajuster la stratégie, plusieurs acteurs réclament :

  • Des études de Phase IV en vie réelle pour évaluer l’efficacité du vaccin contre les sérotypes DENV-3 et DENV-4.
  • Une surveillance rigoureuse des effets indésirables chez les populations vaccinées, en particulier les adultes et les enfants drépanocytaires.

Vers une stratégie plus ambitieuse ?

Les recommandations de la HAS, bien qu'importantes, suscitent des critiques majeures de la part des experts et des professionnels de santé. Leur caractère trop restrictif – tant en termes de populations ciblées que d’exigences d’éligibilité – limite leur portée alors même que la dengue continue de peser lourdement sur les territoires d’outre-mer.

Comme le souligne la SPILF :

« La dengue est un problème majeur de santé publique... Des recommandations aussi restrictives limitent leur impact sur la réduction des hospitalisations et des décès. ».

Face à une succession d’épidémies touchant des populations de plus en plus vulnérables, il apparaît essentiel de :

  • Étendre la vaccination aux adultes à risque, en alignant la stratégie française sur les recommandations plus inclusives de l’OMS ;
  • Inclure les territoires de l’océan Indien comme La Réunion et Mayotte, régulièrement touchés par des vagues épidémiques intenses ;
  • Simplifier les critères d’éligibilité, en abandonnant l’exigence de preuve d’infection antérieure, difficile à établir dans des contextes de forte circulation virale.

En s’appuyant sur les expériences internationales réussies (Brésil, Argentine) et en tenant compte des réalités locales, une stratégie vaccinale plus ambitieuse pourrait réduire significativement le fardeau de la dengue, prévenir les hospitalisations et sauver des vies.

 

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