Les déprogrammations d’opérations chirurgicales placent les médecins face à des choix éthiques
Alors que les services de réanimation sont confrontés à un afflux massif de patients atteints de la COVID-19, de plus en plus d’hôpitaux activent leur dispositif de crise et les déprogrammations des opérations chirurgicales « non urgentes » ou tout simplement « non- COVID-19 » se multiplient. Alors que l’inquiétude des médecins et des patients grandit, des voix s’élèvent pour que ces déprogrammations demeurent des décisions médicales prises au cas par cas et non pas des injonctions administratives déconnectées des réalités du terrain.
Priorité COVID-19
C’est l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes qui la première a donné des instructions de déprogrammation, et ce dès le 16 octobre dernier dans les départements de l’Ain et de la Savoie. Objectif : déprogrammer « toutes les activités opératoires et interventionnelles non urgentes et sans préjudice de perte de chance avérée à court terme pour les patients. Cette déprogrammation ne concerne pas, à ce stade, la chirurgie ambulatoire ni les activités programmées de médecine sauf adaptation locale nécessaire. » En effet, le 19 octobre 311 lits de réanimation sur 685 ouverts (contre 559 habituellement) étaient occupés par des patients covid-19 dans la région.
Le 26 octobre c’est au tour de l’ARS du Grand Est d’activer le plan blanc. Ainsi, tous les hôpitaux de la région peuvent redéployer les effectifs et décider de déprogrammation d’opérations chirurgicales afin de renforcer les capacités d’accueil en réanimation et d’organiser de façon différenciée la prise en charge des patients Covid-19.
En Île-de-France, l’ARS a donné le mardi 27 octobre des instructions similaires, mais avec un périmètre équivalent à celui de la première vague incluant les activités ambulatoires. Sont concernées « “toutes les activités chirurgicales (y compris ambulatoires) et médicales dès lors qu’elles sont consommatrices de ressources humaines qui pourraient être utilement affectées dans les services de soins critiques et de médecine Covid”.
Le 1er novembre le taux d’occupation des services de réanimation par les patients COVID avoisinait les 80 % en IDF avec 902 lits occupés. L’objectif de ces déprogrammations est d’atteindre une capacité de 1775 lits de réa d’ici le 3 novembre, seuil au-delà duquel les marges de manœuvre sont quasi inexistantes selon le directeur de l’ARS qui se confie au journal Le Monde.
A Marseille, cela fait deux fois en quinze jours seulement que l’AP-HM a fait croitre les capacités de ses services de réanimation de 30 lits supplémentaires. À tel point que neuf salles d’opérations ont dû stopper leur activité pour libérer infirmiers et anesthésistes au profit des unités COVID-19.
Les médecins déjà confrontés à des choix éthiques
Si en principe les urgences, la cancérologie, les prélèvements et greffes, les dialyses et la pédiatrie ne sont pas concernés par les déprogrammations, en pratique certains médecins sont d’ores et déjà confrontés à des choix éthiques.
C’est le cas du Pr Michaël Peyromaure, chef du service d’urologie du CHU Cochin à Paris qui se confie dans le JDD. “Je vais être obligé de sélectionner parmi les cancers. Un cancer de la prostate est moins urgent qu’un cancer de la vessie, donc il devra attendre. Et pour éviter d’encombrer les réanimations, même certains cancers de la vessie devront patienter alors qu’ils sont urgents.”
“Des patients âgés avec des comorbidités importantes, qui ont une atteinte très sévère du Covid, iront en réanimation. Ce sera peut-être au détriment des patients lourds chirurgicaux qui ont un cancer du foie, qui nécessitent une transplantation et qui peuvent être plus jeunes”, explique Barbara Hersant, chirurgien plasticien pour Europe1.
Les syndicats montent au créneau pour éviter les erreurs de la première vague
Les réactions des syndicats se multiplient ces jours derniers pour éviter que les décisions de déprogrammation soient prises en fonction de critères purement administratifs sans concertation avec les équipes médicales.
Le BLOC et AVENIR SPE rappellent dans un communiqué commun que la déprogrammation d’une intervention chirurgicale reste une décision médicale qui doit être prise par l’équipe anesthésiste-chirurgien afin de minimiser les effets délétères des retards de prise en charge.
Ils demandent instamment que les médecins spécialistes des plateaux techniques lourds soient systématiquement intégrés aux cellules de crise et non pas écartés comme cela se produit encore trop souvent. Ils rappellent que lors de la première vague les établissements ont démontré leur capacité à déprogrammer les interventions en moins de 24 h lorsque la situation sanitaire l’a exigé : il n’y a pas donc pas lieu d’anticiper exagérément les décisions de déprogrammation.
Ils sont par ailleurs favorables au maintien de l’activité chirurgicale pour les interventions ne nécessitant pas le recours aux unités de surveillance continue (USC).
Les Spécialistes CSMF “condamnent avec la plus grande fermeté les directions d’établissement qui ont déprogrammé des activités médicales et chirurgicales unilatéralement, sans discernement et sans décision de la communauté médicale.
Nous appelons les ARS et les directions d’établissement à intégrer la communauté médicale aux cellules de crises et à respecter les recommandations des Conseils Nationaux Professionnels et des sociétés scientifiques concernant les mesures à observer face à cette pandémie à Covid-19.
Les Spécialistes CSMF rappellent que la déprogrammation peut avoir des conséquences néfastes en termes de santé publique comme plusieurs publications récentes l’ont démontré. Ces déprogrammations ne peuvent relever que d’une décision médicale, seuls les médecins peuvent prendre cette décision dans le respect et le salut du patient.”
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